Silicon clash : quаnd lа Сhinе débrаnсhе l’Аmériquе

Par Nour Моhаmmеd Rіdа
Président fondateur du CMEADD / Professeur à Al Akhawayn University et à la Faculté de droit – Fès.
Le 12 avril 2025, un communiqué apparemment banal, émanant du ministère chinois de l’Industrie, a provoqué un véritable séisme financier à l’échelle mondiale. En moins de 48 heures, le géant américain Intel a vu sa capitalisation boursière chuter de 100 milliards de dollars.
En cause, la décision des autorités chinoises d’interdire à toutes les agences gouvernementales et entreprises publiques d’acheter des puces électroniques américaines. Derrière cette mesure apparemment défensive, se profile en réalité une stratégie mûrement réfléchie : Pékin accélère la construction d’un écosystème technologique autonome, libéré de la dépendance aux États-Unis.
Une frappe chirurgicale sur une cible affaiblie
Depuis plus d’une décennie, Intel a vu son hégémonie s’éroder. En 2011, l’entreprise détenait 80% du marché des processeurs pour PC. Fin 2024, elle n’en contrôlait plus que 57%, affaiblie par des retards technologiques majeurs (notamment sur les nœuds 10nm et 7nm), par une concurrence féroce d’AMD, mais aussi par la montée en puissance de nouveaux acteurs comme Apple ou Amazon, qui conçoivent dorénavant leurs propres puces.
Sur le plan financier, les signaux sont tout aussi préoccupants : plus de 8 milliards de dollars de pertes nettes en 2023, un plan de licenciement de 1.200 salariés au dernier trimestre 2024, et une forte dépendance au marché chinois, qui représentait à lui seul 27% de son chiffre d’ affaires en 2024, soit environ 22 milliards de dollars.
C’est ce contexte de vulnérabilité qu’a exploité Pékin pour porter un coup stratégique a Intel, et non à Nvidia ou TSMC, moins dépendants de la Chine. Résultat, le cours d’Intel a plongé de 18,3%, entrainant dans sa chute |’ensemble du secteur, avec un repli de 4,2% de l’indice PHLX des semi-conducteurs.
Clean Silicon : le plan chinois d’une insurrection technologique silencieuse
Cette décision s’inscrit dans une politique de long terme baptisée Clean Silicon. L’ objectif est clair :
d’ici 2027, éliminer toute dépendance aux technologies américaines dans les secteurs jugés stratégiques (télécommunications, énergie, administrations). Une première étape est fixée pour le début de l’année 2026, puisque 80% des systèmes informatiques du gouvernement central chinois devront fonctionner uniquement avec des puces locales.
La Chine ne se contente pas de restreindre l’accès, elle reconstruit, en accéléré, un monde technologique parallèle, piloté par l’État et appuyé sur des entreprises comme Huawei, Semiconductor manufacturing international corporation (SMIC) ou Loongson.
Huawei face au silence des machines : la puissance d’un État qui grave l’impossible
L’automne 2024 marque un tournant majeur. Huawei dévoile son Mate 70 Pro, un smartphone doté d’une puce Kirin gravée en Snm par SMIC, sans recours aux équipements avancés d’ASML, notamment les machines EUV.
Grâce àdes procédés complexes de lithographie DUV et de multipatterning, les ingénieurs chinois ont relevé un défi que beaucoup jugeaient insurmontable. Le succès est immédiat, puisque plus de 45 millions d’unités ont été vendues en six mois, avec un bond de 47% du chiffre d’ affaires de SMIC.
Pour les experts, c’est un basculement historique. La chaîne d’approvisionnement chinoise fonctionne dorénavant de manière autonome, soutenue par l’État à hauteur de 58 milliards de dollars d’investissements publics annuels.
Quand la barrière devient tremplin : l’embargo américain, catalyseur chinois
La stratégie américaine, qui visait à freiner la Chine en limitant son accès aux technologies de pointe, semble aujourd’hui contre-productive. Pékin a riposté en contournant les blocages et en investissant massivement
dans |’innovation domestique. Malgré les 19 milliards de dollars débloqués par le Chips and Science Act, Intel peine à suivre le rythme. Le projet-phare Silicon Heartland, une usine dernier cri dans l’Ohio, accuse déjà un an de retard et n’ouvrira pas avant fin 2026. Pendant ce temps, TSMC démarre sa production en 3nm, en Arizona.
L’après-Intel : Le crépuscule d’un titan des semi-conducteurs ?
La crise n’épargne personne. Avec la baisse des commandes, les prix flambent. Ainsi, HP et Dell annoncent une hausse de 12% à 17% sur leurs ordinateurs portables. Les services cloud, les technologies de santé, l’intelligence artificielle ou encore la logistique sont également touchés. La guerre des puces a un coût, et il est déjà palpable. La question n’est plus simplement économique, elle devient existentielle.
En effet, la chaîne mondiale des semi-conducteurs pourrait bientôt se passer des États-Unis. Et Pékin entend bien le prouver à grande échelle. Malgré ses partenariats stratégiques (AWS, Pentagone), Intel n’a pas encore reconquis sa crédibilité.
Sa puce 18A, très attendue, n’entrera en production massive qu’a la mi-2026, un retard considérable face à Samsung et TSMC. Mais au-delà du cas Intel, c’est un ordre technologique mondial qui vacille. La Chine ne se limite plus à riposter, elle redéfinit les règles du jeu. Et selon certains experts, la prochaîne salve pourrait viser les exportations de terres rares, de gallium ou les composants pour l’IA.
Souveraineté numérique : la nouvelle matrice de la puissance mondiale
Le monde entre dans une nouvelle phase. Une question capitale se pose : une puissance qui a façonné l’ère des semi-conducteurs peut-elle survivre à sa propre dépendance ? Derrière l’annonce discrète d’avril 2025 se cache bien plus qu’une mesure administrative. C’est la fin d’une époque, celle de la mondialisation fondée sur |’interdépendance naïve. Désormais, la souveraineté technologique devient le nouvel étalon de la puissance.