Perspectives de croissance et notation financière : quels enjeux en période de Covid-19 ?
Par Khalid Benali
Expert en économie
Le FMI a publié, en date du 6 avril, les perspectives de croissance et d’évolution de l’économie marocaine pendant l’année 2021. Cette institution a ainsi prévu un taux de croissance de 4,5%, contre 4,2% pour la Banque mondiale (BM), 4,6% pour le Haut-commissariat au plan (HCP), 5,3% pour Bank Al-Maghrib (BAM) et 5,2% pour le ministère de l’Économie, des finances et de la réforme de l’administration. À noter que ces prévisions sont fondées sur l’hypothèse d’une reprise économique, d’une campagne de vaccination selon le calendrier prévu et d’une limitation de la propagation de la Covid-19 et de ses variants. Il convient, à cet égard, de constater que la maîtrise de ces hypothèses à caractère exogène, d’ailleurs valables pour tous les pays à l’échelle mondiale, dépend de l’évolution du mode gestion de la production et de la distribution des vaccins caractérisé à l’heure actuelle par un «après moi, le déluge» qui risque de freiner toute vision d’immunité collective synonyme d’une reprise économique et d’un retour à la normale sécurisé.
Vaccins : le défi de la livraison des doses
Le Maroc reste, malgré les efforts entrepris pour assurer la vaccination de 80% de sa population, tributaire de la disponibilité des vaccins sur le marché et d’une gouvernance solidaire entre tous les pays en matière de distribution des vaccins. La poursuite du mode de gestion et de distribution actuel sans vision solidaire, qui prévaut actuellement à l’échelle internationale, risque de favoriser la propagation ainsi que les mutations de la Covid-19 et reporter la reprise économique et le retour à la normale à une échéance ultérieure indéterminée. Concernant les prévisions chiffrées, il importe de relever que les taux de croissance, bénéficiant d’un effet mécanique de la hausse, suite à une année de contraction à 7%, prévus par le FMI, la BM, le HCP, BAM et le ministère des Finances, sont supérieurs à 4%. La différence entre les prévisions du HCP, du FMI et de la BM et celles de BAM et du ministère chargé des Finances résulte de l’hypothèse relative à la récolte céréalière (75 millions de quintaux pour les premiers contre 95 millions de quintaux pour les seconds) avec une consolidation à 3,2% sous l’hypothèse d’un retour à une production céréalière moyenne de 75 millions de quintaux. À cet égard, il importe de relever que 20 millions de quintaux représentent environ 0,7% de croissance supplémentaire, ce qui nous amène à nous interroger sur le niveau élevé de dépendance du secteur agricole vis-à-vis de la pluviométrie annuelle, et ce, malgré la mise en œuvre, depuis plus de 10 ans, du Plan Maroc Vert, dont l’objectif était de diversifier et de moderniser le secteur agricole à travers des mécanismes de substitution et de rationalisation de l’exploitation pour justement réduire le niveau de cette dépendance. Des choix de substitution entre et au niveau des secteurs agricoles et non-agricoles couplés avec l’accélération des différents plans relatifs aux deux secteurs précités à travers une orientation vers des activités et des produits à fort potentiel pourraient être les nouveaux leviers de création de richesse sur lesquels il faudrait miser dès à présent. Concernant l’abaissement par Standard & Poor’s de la note souveraine du Maroc de «BBB-» à «BB+» avec perspectives stables, passant ainsi en catégorie spéculative, il s’explique, selon l’agence de notation, par la détérioration de la situation budgétaire du Maroc, caractérisée par des déficits budgétaires plus élevés que prévu sur la période 2021-2024, la dette publique nette atteignant environ 72% du PIB, ainsi que les risques budgétaires liés aux niveaux des passifs éventuels suite à l’augmentation des garanties accordées par l’État aux entreprises des secteurs public et privé. À cet égard, il y a lieu de signaler, selon les données du ministère des Finances, que la dette du Trésor de notre pays, à l’instar de la quasi-totalité des pays à l’échelle mondiale, devrait passer de 64,9% en 2019 à environ 76% en 2020, soit une hausse estimée à 11 points. Ce constat, quoiqu’il puisse être expliqué, en grande partie, par le contexte de crise matérialisé par des charges exceptionnelles et par la dépréciation du PIB, générant ainsi une hausse d’environ 11 points du ratio de dette du Trésor rapporté au produit intérieur brut (65% à 76%), ne reflète guère la réalité de la dette marocaine. Les normes de Maastricht ont fixé les fameuses règles budgétaires d’un État : 3% de déficit au maximum et un plafond de 60% d’endettement public par rapport au PIB comme règles d’or de l’équilibre. Mais ces normes sont mises en veilleuse par la quasi-totalité des économies :
le niveau de la dette mondiale est équivalent à plus de 3 fois le produit intérieur mondial ! Notons que la dette publique des États membres de l’Union européenne, selon le site Toute l’Europe, a atteint 97,3% du PIB au troisième trimestre 2020, contre 95% à la fin du deuxième trimestre 2020. De prime à bord, il convient de mentionner que les agences de notation financière visent l’évaluation du risque de non-remboursement de la dette ou d’un emprunt émis par un État ou par des entreprises (publiques ou privées) en attribuant des notes de solvabilité destinées aux investisseurs en se basant en général, pour la notation des économies, sur la situation économique, la politique monétaire et la politique budgétaire. Si ce dispositif de notation a été considéré adéquat en période normale, il n’en est pas de même dans un contexte de crise sanitaire, similaire à celle que vit le monde actuellement, qualifié de cas de force majeure ayant grippé l’économie mondiale et remis en question la réalité et la capacité des indicateurs économiques, retenus lors des notations attribuées avant février 2020, à faire formuler des notations objectives qui renseignent sur la réalité du niveau de la dette des pays. Il serait opportun d’entamer les réflexions en vue de mettre en place un nouveau dispositif de notation qui tienne compte des crises futures et des cas de force majeure et qui reposerait sur une appréciation de la dette sur la base des flux au lieu des stocks en examinant la capacité des recettes dégagées par l’État à couvrir la charge de la dette, sachant que les nouvelles approches préconisent de retenir le paiement des intérêts comme charge de la dette, étant donné que le principal est remboursé souvent in fine, dans la pratique, par de nouvelles levées qui viennent remplacer les anciennes.
Une stratégie bien ficelée
Le mode de gestion de la crise sanitaire adopté par notre pays depuis le début du confinement sur instructions royales dans le cadre de la Commission de veille économique et les mesures qui ont été adoptées sur :
• le plan social : à travers les mesures visant le service des indemnités et des aides respectivement aux assurés à la Caisse nationale de sécurité sociale dont les employeurs ont cessé leurs activités ou les secteurs dont l’activité est toujours suspendue (tourisme, évènementiel…) et aux bénéficiaires du RAMED et les travailleurs non-salariés relevant du secteur informel.
• le plan monétaire : des mesures ont été entreprises à travers la révision à la baisse du taux directeur de Bank Al-Maghrib à 1,5% pour stimuler la demande et l’investissement à travers la confection des produits d’emprunts spécifiques avec une garantie de l’État destinée aux acteurs du secteur privé….
• Sur le plan budgétaire : il importe de relever que la loi modificative de la loi de finances 2020 a été adoptée pour prendre en charge les mesures prises dans le cadre de la loi de finances rectificative. La loi de finances au titre de l’exercice 2021 a, d’une part, maintenu le dispositif d’octroi de crédit à titre incitatif moyennant la sauvegarde des postes d’emplois pour éviter l’arrivée des nouveaux chômeurs sur le marché du travail avec, toutefois, deux projets structurants et innovateurs, à savoir le Fonds Mohammed VI pour l’investissement pour stimuler et permettre le financement des chantiers structurants, et la loi-cadre portant généralisation de la protection sociale pour lutter contre la pauvreté et la précarité. Les mesures précitées, qui ont été adoptées pour répondre à des besoins spécifiques au contexte socioéconomique de notre pays, ont permis d’assurer une reprise avec un taux de croissance de plus de 4% et réduire en quelque sorte les conséquences négatives sur certains secteurs en raison des décisions de confinement/déconfinement prises pour lutter contre la propagation du virus. Certes, les pouvoirs publics ont pris des engagements économiques, sociaux, monétaires et budgétaires qui vont se traduire par un besoin de financement, mais le retour escompté de ces mesures, si on examine cet aspect du point de vue patrimoine de l’État, sur l’économie et la population n’est pas négligeable. Par ailleurs, et compte tenu de la reconnaissance internationale de la gestion de la crise sanitaire par notre pays et des moyens mis en œuvre pour assurer la vaccination de 80% de la population, les notations établies par les agences internationales, en période de crise ou de force majeure internationale, auraient été plus justifiées si les décisions prises par les pays pour lutter contre la propagation des virus avaient été intégrées dans le barème de notation, étant donné que le retour à la normale ne peut être assuré en l’absence de mesures collectives et harmonisées à tous les niveaux.