Opinions

La Trump-ette des douanes : le Made in Morocco à l’épreuve du repli américain

Par Nour Mohammed Rida
Président fondateur du Centre marocain des études africaines et du développement durable (CMEADD)

Le monde commercial tremble à nouveau. Trump revient et avec lui, ses super-taxes douanières qui font trembler aussi bien les «partenaires» que les adversaires. Un coup de massue pour les marchés mondiaux qui pensaient avoir tourné la page du protectionnisme américain. Et le Maroc dans tout ça ? Pris entre l’Atlantique et la Méditerranée, le Royaume doit maintenant jongler avec cette nouvelle réalité. Et si certains observateurs estiment que le Maroc a été épargné et que l’impact de nouvelles stratégies «Trumpiennes» sera minime, une analyse approfondie de la situation économique et géopolitique démontre plutôt le contraire. Le Royaume sera bel et bien affecté, soit directement, soit indirectement, à travers un certain effet domino qui pourrait nous atteindre par ricochet.

D’ailleurs, le 5 avril 2025, le Maroc a écopé d’une imposition de 10%, malgré l’existence d’un accord de libre-échange entre les deux pays (2006). Mais alors pourquoi ?

Pourquoi le Maroc malgré l’accord de libre-échange (ALE) ?
L’inclusion du Maroc malgré un ALE s’explique par ce qu’on appelle les « barrières non tarifaires » (obstacles au commerce autres que les droits de douane, comme les quotas, normes techniques, réglementations sanitaires ou procédures administratives).

Elles concernent des restrictions sur les aliments pour animaux, la complexification des procédures administratives, la contrefaçon, ainsi que l’imposition par l’État marocain de normes antipollution Euro 6B, qui contraignent les véhicules étrangers à être équipés de systèmes spéciaux de traitement des gaz afin de limiter les émissions polluantes, alors que les normes américaines, appelées EPA standards (Environmental protection agency standards), se montrent moins strictes.

Toutes ces mesures, qui compliquent l’accès au marché marocain, ont poussé Trump à nous imposer une taxe de 10% au lieu d’une exonération totale prévue par l’accord de libre-échange avec les États-Unis et même si, depuis la mise en œuvre de l’ALE en 2006, la balance commerciale a toujours été favorable à Washington.

Répercussions systémiques : l’effet papillon du protectionnisme américain
À moyen et long terme, cette stratégie protectionniste fera des vagues dans le commerce mondial aussi rapidement qu’un éclat de tonnerre dans un ciel serein. En effet, si l’UE, principal partenaire commercial du Royaume, subit une récession ou une inflation à cause de cette politique isolationniste américaine, le Maroc serait, implicitement mais certainement, affecté en raison de la réduction des investissements directs étrangers ou encore d’une augmentation, même temporaire, de l’inflation.

De même, les tensions commerciales entre les États-Unis et la Chine entraîneront des hausses de prix qui finiront par se répercuter sur plusieurs produits. Donc, si notre pays n’est pas au centre de ce drame économique, il n’est certainement pas un simple figurant en arrière-plan.

Répercussions instantanées : le mirage de l’insignifiance
A priori, l’impact immédiat semble limité, d’abord parce que seulement 3% des exportations marocaines sont destinées aux États-Unis, alors que le Maroc ne représente que 0,06% du total des échanges commerciaux des États-Unis, une proportion quasi insignifiante dans les statistiques commerciales américaines. Ironie de l’Histoire, les produits marocains pourraient gagner des parts de marché par rapport aux concurrents européens, frappés d’un droit de douane plus élevé de 20%.

Néanmoins, la réalité s’avère un peu plus complexe et le mirage de l’illusion est souvent plus séduisant que la réalité du désert. Nous savons que, depuis plusieurs décennies, le secteur des phosphates a toujours occupé une place prépondérante dans l’économie nationale.

Toutefois, depuis 2020, le groupe OCP est pris dans un différend commercial dont les développements ont été aussi imprévisibles qu’étonnants. Tout commence en juin 2020, lorsque Mosaic Company, une entreprise américaine spécialisée dans la production et la commercialisation d’engrais phosphatés et potassiques, dépose une plainte, non pas devant une juridiction commerciale internationale indépendante, tel que l’organe de règlement des différends de l’OMC, mais auprès d’administrations américaines : le département américain du Commerce (DOC) et la Commission américaine du commerce international (ITC).

Mosaic Company accuse essentiellement l’OCP d’avoir été subventionnée, «illégalement», par le gouvernement marocain et demande en conséquence l’imposition de ce qu’on appelle dans le jargon spécialisé un «relèvement des droits compensateurs sur les importations d’engrais phosphatés». Quelques mois, plus tard, en février 2021, le ministère américain du Commerce, sans grande surprise, donne raison à sa compagnie nationale et impose un droit de douane de 19,97%, avant que la Cour internationale de commerce des États-Unis ne réduise ce droit à 14,21%, en avril 2023. Mais, en 2024, le département du Commerce américain rehausse ces droits à 16,81% jusqu’en 2026, avec effet rétroactif pour toutes les importations effectuées depuis 2022. Et comme si tout cela ne suffisait pas, le nouveau droit de douane de 10%, portera le taux d’imposition effectif à 26%, plaçant l’OCP dans une position de désavantage concurrentiel insurmontable.

Ainsi, l’imposition de 10% de droits de douane sur le Maroc, bien qu’elle paraisse insignifiante à première vue, impacte considérablement notre économie. Et pendant que les barrières tarifaires «Trumpiennes» s’élèvent, notre compétitivité s’érode dans ce désordre mondial, forçant notre tissu économique à absorber les chocs directs et collatéraux d’une décision unilatérale et implacable.



Droits de douane américains : malaise ambiant chez les exportateurs marocains


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