Opinions

digital : quand l’intelligence artificielle bouscule l’université marocaine : révolution ou illusion ?

Par Manal El Mizani
Enseignante-chercheure à l’ISGA de Casablanca

L’intelligence artificielle (IA) est sur toutes les lèvres. Elle fascine autant qu’elle inquiète, mais une chose est sûre : elle transforme en profondeur nos modes de vie, de consommation, de travail… et, désormais, notre façon d’apprendre. Dans les universités marocaines, l’intégration de l’IA n’est plus une option futuriste, mais une nécessité urgente pour préparer des diplômés à un monde dominé par la donnée et l’automatisation.

Des opportunités pédagogiques inédites
Imaginez un enseignant capable d’adapter instantanément son cours au niveau de chaque étudiant, un tuteur disponible 24h/24 pour répondre à toutes les questions, ou encore un système d’alerte qui signale en temps réel les risques d’échec afin d’intervenir avant qu’il ne soit trop tard. Tout cela n’est plus un rêve : ce sont les applications concrètes de l’intelligence artificielle dans l’enseignement supérieur.

Grâce à l’apprentissage automatique, les universités peuvent analyser le parcours des étudiants, détecter leurs lacunes et proposer un accompagnement sur mesure. Les plateformes d’apprentissage adaptatif, déjà courantes dans plusieurs pays, personnalisent les contenus pédagogiques en fonction des forces et faiblesses de chacun, favorisant ainsi la réussite académique. Quant aux assistants virtuels, ils répondent instantanément aux questions administratives ou académiques, libérant un temps précieux pour les enseignants.

Le Maroc avance… à petits pas
Conscient de ces enjeux, le Maroc a commencé à intégrer l’IA dans son système éducatif. La création de la Maison de l’Intelligence Artificielle à Oujda et l’inclusion de l’IA dans les stratégies nationales témoignent d’une volonté politique réelle. Les universités adoptent progressivement des plateformes numériques, comme Moodle ou Google Classroom, et explorent l’usage de l’IA pour enrichir la pédagogie. Cependant, ces initiatives restent limitées et souvent concentrées dans les grandes villes.

Quand l’exemple international inspire l’université marocaine
Un exemple international éclaire la voie : l’Université Paris-Saclay, en France, a misé sur l’IA pour transformer son enseignement. Grâce à ses plateformes d’apprentissage adaptatif, les étudiants bénéficient de parcours individualisés, avec des recommandations de ressources selon leurs résultats aux évaluations.

Ses assistants virtuels allègent la charge administrative des enseignants et garantissent un accès immédiat à l’information. Plus ambitieux encore, Paris-Saclay a créé son école dédiée à l’IA, la SaclAI-School, formant des centaines d’étudiants aux métiers d’avenir et développant la recherche collaborative avec plus de 1.200 chercheurs et enseignants-chercheurs.

Des défis à la hauteur des promesses
Au Maroc, l’intégration de l’IA reste confrontée à plusieurs obstacles majeurs. Le premier est l’infrastructure numérique, encore insuffisante, notamment dans les régions rurales. Sans équipement informatique performant ni connexion internet de qualité, l’IA reste une illusion.

Le deuxième défi est la formation des enseignants : il ne suffit pas de disposer d’outils numériques si les pédagogues n’y sont pas formés et accompagnés. Enfin, l’IA soulève des questions éthiques cruciales, notamment la protection des données personnelles et le risque de renforcer les inégalités d’accès aux technologies.

Vers un modèle marocain de l’intelligence artificielle éducative
Pour que l’intelligence artificielle devienne un véritable levier de transformation et non un simple gadget technologique réservé à quelques élites, il est indispensable d’investir massivement dans les infrastructures numériques.

Chaque université, y compris celles situées dans les zones les plus éloignées, doit disposer d’une connexion haut débit et d’équipements informatiques performants. Il est également essentiel de former les enseignants et les cadres universitaires à l’utilisation pédagogique de l’IA, en mettant en place des programmes de formation continue adaptés à leurs besoins.

Par ailleurs, le développement de partenariats internationaux, comme l’a fait Paris-Saclay, permettra au Maroc de bénéficier des meilleures pratiques et d’accélérer l’innovation dans ce domaine.

Enfin, renforcer la recherche appliquée en intelligence artificielle apparaît comme une priorité, afin que le Royaume ne se contente pas d’être un simple utilisateur, mais devienne un véritable producteur de solutions adaptées à son contexte.

L’IA, un levier d’équité et d’inclusion ?
Au-delà des performances académiques, l’IA peut aussi contribuer à réduire les inégalités. Les plateformes d’apprentissage adaptatif et les assistants virtuels peuvent pallier certaines limites du système éducatif classique, notamment l’encadrement limité dans les amphithéâtres surchargés. Mais attention :
si l’accès aux technologies reste inégalitaire, l’IA risque au contraire d’accentuer la fracture numérique entre étudiants des grandes villes et ceux des zones rurales.

Une révolution à saisir… maintenant
Les chiffres sont clairs : selon l’UNESCO, d’ici 2030, 85% des emplois nécessiteront des compétences numériques avancées. Former aux technologies émergentes, dont l’IA, n’est plus un choix stratégique, c’est un impératif économique et social. Le Maroc a les talents et la volonté politique pour relever ce défi. Reste à accélérer la mise en œuvre, à mobiliser les ressources et à instaurer une vision nationale partagée entre l’État, les universités et le secteur privé.

L’intelligence artificielle ne remplacera jamais l’intelligence humaine, mais elle peut l’augmenter. Entre révolution pédagogique et mirage technologique, tout dépendra de la capacité du Maroc à transformer ses ambitions en actions concrètes, pour que l’université marocaine devienne non seulement un lieu d’enseignement, mais un véritable laboratoire d’innovation au service du développement national.



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