Opinions

Stocks des promoteurs immobiliers : recul dans l’effort de convergence comptable-fiscale ?

Par Khalil Mekouar
Expert-comptable D.P.L.E, commissaire aux comptes

Alors que le Maroc affiche une volonté politique de convergence fiscale-comptable, la récente interprétation de la DGI concernant les promoteurs immobiliers jette un doute sur la cohérence du système.

Depuis des années, le Maroc cherche à renforcer la cohérence entre les règles comptables et fiscales. La loi-cadre n°69-19 portant réforme fiscale a marqué un tournant en affirmant cette volonté. Pourtant, certaines positions récentes de l’administration fiscale, notamment à l’égard des promoteurs immobiliers, suscitent des interrogations sur la portée réelle de cet engagement. Cet article propose une lecture simplifiée, mais rigoureuse, de cette problématique à travers trois axes : un rappel du cadre légal, une explication de la position de la DGI, puis une mise en lumière des impacts de cette divergence.

1. Une convergence nécessaire entre fiscalité et comptabilité : rappel du cadre légal
La loi-cadre N°69-19 portant réforme fiscale, insiste clairement dans son article 3 sur la nécessité de rapprocher les règles fiscales des normes comptables. Cette disposition traduit une volonté politique forte : celle de donner aux entreprises un environnement lisible, équitable et sécurisé.

En parallèle, l’article 61 du Code général des impôts définit ce qu’est une «société à prépondérance immobilière». Il précise qu’une société entre dans cette catégorie si plus de 50% de son actif brut est composé de biens immobiliers ou de titres de sociétés immobilières.

Toutefois, l’article précise également que les immeubles affectés à l’exploitation industrielle, commerciale ou professionnelle ne doivent pas être pris en compte dans ce calcul. Or, selon la réglementation comptable marocaine, les stocks des promoteurs immobiliers font pleinement partie du cycle d’exploitation, car il s’agit d’immeubles destinés à la vente, dans le cadre de l’activité normale de l’entreprise.

Le cycle d’exploitation désigne en effet l’ensemble des opérations réalisées de manière courante dans l’objectif de produire ou vendre des biens ou services. À ce titre, les immeubles en stock sont des éléments d’exploitation, et non des actifs immobilisés passifs.

2. Une position controversée de l’administration fiscale
En avril 2025, la DGI a publié une réponse qui modifie cette lecture : selon elle, les immeubles en stock des promoteurs doivent désormais être inclus dans le calcul du seuil des 50% pour déterminer si une société est à prépondérance immobilière. Cette interprétation change profondément la donne.

Elle va en effet à l’encontre de trois piliers :
• Le texte clair de l’article 61 du CGI qui exclut les biens affectés à l’exploitation;
• Le cadre comptable marocain qui intègre ces biens dans les stocks et donc dans l’activité courante;
• L’esprit même de la loi-cadre sur la réforme fiscale qui prône une meilleure convergence et lisibilité des règles.
Cette divergence n’est d’ailleurs pas isolée. Plusieurs autres écarts existent entre la fiscalité et la comptabilité sur le plan législatif. Il s’agit de :
• L’imposition des écarts de conversion passifs;
• Les règles restrictives sur la déductibilité des provisions;
• La limitation de certains taux d’amortissement;
• Les différences dans la valorisation des immobilisations en devises, etc.

3. Les conséquences concrètes de cette divergence
La décision d’inclure les stocks immobiliers dans le calcul de la prépondérance immobilière a plusieurs effets négatifs. D’abord, d’un point de vue général, la divergence entre les règles comptables (objectives et normées) et l’interprétation fiscale (souvent changeante) crée un climat d’incertitude pour les entreprises. Cela peut être perçu comme arbitraire :

une entreprise applique les normes en vigueur, mais se voit imposée sur une base modifiée unilatéralement. Ensuite, cette insécurité entraîne des coûts supplémentaires : recours à des conseils juridiques, procédures contentieuses, et temps administratif accru. Cela affaiblit directement l’objectif annoncé de convergence.
Pour les promoteurs immobiliers en particulier, les effets sont encore plus lourds.
Le classement en SPI soumet les cessions de titres à l’impôt sur le revenu au titre des plus-values immobilières (IR/PI) plus contraignant que celui des valeurs mobilières (IR/VM) :
nécessité de dépôt de la caution, délais de vérification plus longs, contrôle renforcé.
Cela freine la liquidité et la flexibilité des investissements dans le secteur.
Cela envoie un mauvais signal aux investisseurs étrangers ou institutionnels, qui craignent un traitement fiscal imprévisible particulièrement lors de la sortie des investisseurs.

La volonté politique de rapprocher la fiscalité et la comptabilité est louable. Mais pour qu’elle se concrétise, elle doit s’accompagner de décisions administratives cohérentes avec les textes en vigueur. L’inclusion des stocks des promoteurs dans le calcul de la prépondérance immobilière constitue une rupture avec les règles comptables et avec l’esprit de la loi-cadre. Cette divergence, au lieu d’apporter de la clarté, crée confusion, insécurité juridique et pénalise un secteur stratégique. Il est donc urgent de réévaluer cette position pour restaurer la confiance et aller réellement vers une convergence fiscale-comptable au service du tissu économique marocain.



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