Maroc

Transmission successorale et holding : les pièges à éviter en matière de traitement fiscal

La DGI clarifie les conditions du sursis d’imposition dans les restructurations patrimoniales, soulignant l’importance de la pleine propriété des titres. Dans un récent courrier, le fisc détaille les impacts fiscaux de deux scénarios de démembrement de titres au profit d’une holding. Zoom sur cette redéfinition des règles de la transmission patrimoniale.

«La transmission a un coût, même lorsqu’elle est différée». C’est, en substance, le message que laisse transparaître l’administration fiscale.

Dans un courrier daté du 21 avril 2025, la Direction générale des impôts (DGI) apporte d’importantes précisions sur le régime fiscal applicable aux opérations de restructuration impliquant un démembrement de droits sociaux au profit d’une holding.

Sollicité pour commenter cette prise de position, Abdelmejid Faiz, Tax Partner chez Ernst & Young et Associés, met en lumière les implications de cette clarification pour la transmission successorale et l’optimisation patrimoniale. Il détaille notamment les conditions à remplir pour bénéficier du régime de neutralité fiscale prévu à l’article 161 ter du Code général des impôts (CGI).

Contexte et enjeux des opérations envisagées
L’actionnaire personne physique, détenteur de participations dans plusieurs sociétés marocaines, envisage une double opération : transférer ses titres à une holding (HoldCO) et préparer sa succession via un démembrement de droits sociaux.

L’objectif est de dissocier la nue-propriété (transférée aux ayants droit) de l’usufruit (conservé par l’actionnaire), tout en bénéficiant du régime de sursis d’imposition sur les plus-values prévu à l’article 161 ter-III du CGI.

Deux scénarios sont étudiés. Le premier consiste en un apport initial des titres à la holding, suivi d’un démembrement et d’une donation de la nue-propriété. Le second implique un démembrement préalable des titres des sociétés opérationnelles, puis un apport concomitant à la holding de l’usufruit (par l’actionnaire) et de la nue-propriété (par les ayants droit).

Face à cette situation, la DGI précise que le sursis fiscal n’est applicable que si les titres apportés à la holding et ceux reçus en contrepartie sont en pleine propriété, condition essentielle pour respecter l’esprit du législateur visant à faciliter les restructurations patrimoniales sans contournement fiscal.

Option 1 : Un risque de levée du sursis fiscal
La DGI indique clairement que «le transfert de la nue-propriété par voie de donation aux ayants droit entraîne l’imposition de la plus-value résultant de l’apport entre les mains de la personne ayant effectué ledit apport».

Dans cette option, l’apport initial des titres à la holding ouvre bien droit au sursis d’imposition, car il remplit les critères de l’article 161 ter-III : transfert de la totalité des titres à une holding soumise à l’IS. Toutefois, le démembrement ultérieur des titres de la holding et la donation de la nue-propriété sont assimilés à une «cession» des titres reçus en rémunération de l’apport. Une interprétation qui entraîne la levée immédiate du sursis et impose la plus-value latente à l’IR, selon les règles de droit commun.

Pour l’actionnaire, cette imposition anticipée réduit l’avantage fiscal escompté, transformant un report d’impôt en une charge immédiate. Les ayants droit, bien qu’acquérant la nue-propriété sans taxe directe, devront ultérieurement composer avec des droits de succession lors de la réunion de la pleine propriété. Quant à la holding, si sa structure juridique reste intacte, le choc fiscal subi par l’actionnaire peut compromettre la rentabilité globale de l’opération, notamment si les liquidités nécessaires à l’acquittement de l’impôt n’ont pas été anticipées.

Cette option, bien que séduisante en apparence, révèle donc un risque majeur de déséquilibre économique et fiscal.

Option 2 : Une solution alignée sur l’esprit du législateur
La DGI valide la seconde option en soulignant que «l’opération d’apport concomitant à la holding de l’usufruit par l’actionnaire et de la nue-propriété […] est éligible au bénéfice du régime fiscal prévu par l’article 161 ter-III», à condition que les titres soient reçus par la holding en pleine propriété. Une approche qui repose sur un mécanisme précis : le démembrement préalable des titres des sociétés opérationnelles permet aux ayants droit d’apporter la nue-propriété et à l’actionnaire de transférer l’usufruit à la holding.

Ainsi, la réunion de l’usufruit et de la nue-propriété au sein de la holding restaure la pleine propriété des titres, respectant strictement les exigences de l’article 161 ter-III du CGI. Le sursis d’imposition reste intact, car aucun acte de cession ou de donation des titres reçus en contrepartie de l’apport n’intervient lors de cette opération.

Pour l’actionnaire, ce montage garantit un report de l’IR sur la plus-value jusqu’à une éventuelle cession future des titres de la holding, préservant ainsi sa trésorerie. Les ayants droit bénéficient d’une transmission anticipée de la nue-propriété sans taxation immédiate, la pleine propriété s’acquérant automatiquement au décès de l’usufruitier, sans déclencher de droits de mutation.

Enfin, la holding consolide un patrimoine unifié, optimisant la gestion des dividendes et les leviers fiscaux, tout en sécurisant la pérennité du groupe familial. Ainsi, sur l’option 1, «en cas de cession ou de donation des titres reçus en rémunération dudit apport […] le sursis de paiement susvisé est levé». Sur l’option 2, «l’opération […] est éligible au bénéfice du régime fiscal […] dès lors que la holding bénéficie d’un apport de titres de capital en pleine propriété». Tel est en substance ce que dit la DGI.

Enjeux économiques et successoriaux
Disons que le courrier de la DGI confirme une volonté d’accompagner les restructurations patrimoniales, «visant l’accompagnement de la restructuration des entreprises familiales», tout en posant un garde-fou juridique : le démembrement ne doit pas précéder l’apport à la holding sous peine de neutraliser le sursis fiscal. Une position qui soutient la transmission et lutte contre les abus, rappelant que la fragmentation artificielle de la propriété des titres sape l’esprit du régime de faveur.

Pour les professionnels, cette décision impose des ajustements stratégiques. Les fiscalistes et notaires doivent désormais privilégier l’option 2 dans leurs conseils, intégrant une logique de démembrement post-apport pour concilier optimisation fiscale et transmission progressive.

Les commissaires aux comptes, quant à eux, voient leur rôle renforcé dans le contrôle de la traçabilité des apports et du respect des conditions légales, garantissant que la pleine propriété des titres soit établie dès l’entrée dans la holding. Un cadre qui renforce la sécurité juridique des montages, mais exige une rigueur accrue dans leur exécution, soulignant que la réussite d’une restructuration dépend autant de sa conformité formelle que de son adéquation aux objectifs économiques et familiaux.

Un équilibre délicat entre optimisation et sécurité juridique

Le courrier de la DGI rappelle que la réussite d’une restructuration patrimoniale repose sur une articulation précise des étapes juridiques et fiscales. L’option 2, bien que techniquement complexe, offre une sécurité juridique et un avantage fiscal pérenne.

En revanche, l’option 1, plus intuitive, expose l’actionnaire à un risque fiscal immédiat. Ainsi, pour les entreprises familiales, la planification successorale doit anticiper les implications fiscales dès la conception de la holding. Pour ce qui est de l’administration fiscale, ce courrier renforce la prévisibilité du droit, essentielle pour encourager l’investissement et la transmission d’entreprises.

Bilal Cherraji / Les Inspirations ÉCO



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