Opinions

Le projet de loi de Finances 2021 : gare aux solutions de facilité !

Par Abdeslam Seddiki / économiste et ex-ministre de l’Emploi et des affaires sociales

Dans une quinzaine de jours, le projet de loi de Finances (PLF) pour 2021 sera déposé devant le Bureau de la Chambre des Représentants, donnant ainsi le coup d’envoi au marathon budgétaire. Entre-temps, il fera l’objet d’une adoption prochaine en Conseil des ministres dans ses grandes orientations, avant d’être examiné en détail par le Conseil de gouvernement. Mais le ministre de l’Économie, des finances et de la réforme de l’administration en a d’ores et déjà dévoilé les grandes lignes et les priorités devant les deux commissions de finances parlementaires réunies le 28 septembre dernier, lesquelles priorités ont été définies dans le document ministériel intitulé «Rapport préalable au Budget» (www.finances.gov.ma). La prochaine loi de Finances, comme la loi de Finances rectificative qui l’a précédée, intervient dans un environnement, international comme national, qui demeure incertain et dans une conjoncture pour le moins difficile, d’autant plus que la bataille contre la pandémie de Covid-19 est loin d’être gagnée, en l’absence d’un vaccin qui n’interviendrait, dans le meilleur des cas, qu’au courant de l’année prochaine. On comprend dès lors les difficultés rencontrées à élaborer un Budget qui réponde à la fois aux exigences de la relance économique et de la préservation de l’emploi, aux impératifs de la satisfaction des besoins de la population et aux nécessités de la mobilisation des moyens conséquents. Exercice d’autant plus risqué que les marges de manœuvre se rétrécissent face aux multiples incertitudes. Ainsi, les résultats prévus pour l’année en cours ne sont guère réjouissants. Juste suffisants pour éviter le naufrage ! La croissance économique serait de l’ordre de -5,8% (révisée à la baisse par rapport aux prévisions de la loi de Finances rectificative) ; le déficit budgétaire serait de 7,5%, en aggravation de 4 points par rapport aux prévisions, suite notamment à une érosion des recettes ordinaires (fiscales et non fiscales) évaluée à près de 48 MMDH ; les recettes touristiques baisseraient de plus de moitié ; les IDE reculeraient à 1,5% du PIB contre 2,9% du PIB en 2019 ; seuls les transferts des RME ont résisté à la crise en enregistrant une baisse modérée de 5%, donnant un léger répit au compte courant qui dégagerait un déficit de 6% du PIB (au lieu des 8,6% prévus par la LFR).

Dans une telle situation de repli de l’activité économique, le chômage ne ferait qu’augmenter, atteignant des niveaux inégalés notamment dans les rangs des jeunes, des femmes et des personnes fragiles. Le taux de chômage en milieu urbain avait déjà dépassé la barre des 15% au deuxième trimestre de l’année, et il est fort à craindre que ce taux grimpe à 20% à fin 2020. En retenant les hypothèses d’une campagne agricole de 70 millions de quintaux, d’un cours du baril à 50 dollars, du gaz butane à 350 dollars la tonne, d’une maîtrise de l’épidémie, de la réouverture des frontières à partir du premier trimestre de 2021, du regain de la confiance des ménages et des investisseurs, d’une reprise chez nos principaux partenaires… les services du ministère tablent sur un taux de croissance de 4,8% pour 2021 et une croissance moyenne de 4,5% pour la période triennale 2021-2023. Sur cette base, le PLF 2021 fixe les orientations et priorités suivantes: l’activation des grands projets de réforme annoncés par le roi dans le dernier discours du Trône ; l’accélération de la mise en œuvre des réformes portant notamment sur la santé, l’enseignement, la formation professionnelle, l’INDH, les énergies renouvelables, les grandes stratégies de développement dans les secteurs de l’eau, de l’agriculture et l’industrie et l’amélioration des mécanismes de la régionalisation avancée. À cette fin, le gouvernement serait appelé à mobiliser une enveloppe additionnelle de 33,2 MMDH affectés à la généralisation de l’AMO, à l’éducation et à la santé qui verront leurs effectifs renforcés respectivement de 17.000 et 5.500 postes, aux dépenses du personnel, à la Caisse de compensation et aux régions, sans oublier les 1,5 MMDH consacrés à l’organisation des élections. Comment financer ces 33 MMDH ? On l’ignore pour l’instant, mais on peut affirmer, sans être contredit, que le gouvernement n’a d’autre choix que de recourir à nouveau à l’emprunt, comme il vient de le faire, tout récemment, en levant 1 milliard de dollars à l’international. Pour ce qui est des mesures relatives à la réduction du train de vie de l’administration, y compris la suppression de nouveaux postes budgétaires – à l’exception des départements jugés prioritaires -, elles auraient tout au plus valeur d’exemple sans impact significatif sur les finances de l’État. Car là où l’argent existe, on n’oserait pas y aller, ni y toucher. Sinon, comment peut-on expliquer autant d’atermoiements et d’hésitations à mettre sur le tapis la réforme fiscale dont tout le monde, et en premier lieu le gouvernement, a souligné l’urgence et la nécessité lors des assises de Skhirat de mai 2019 ? Certes, on peut toujours arguer que la conjoncture n’est pas favorable au lancement d’une telle réforme. Au contraire, c’est dans les moments de crise que les grandes réformes sont mises en œuvre. Tout le monde sait qu’il n’y a pas d’accouchement sans douleur, sauf à recourir à la césarienne, avec le coût exorbitant que celle-ci exige. Les solutions de facilité ne sont généralement pas les meilleures. Elles permettent seulement de gagner un peu de temps et de colmater les brèches. Notre pays a besoin de plus que ça pour répondre aux attentes de la population. Pour l’instant, l’espoir réside dans le plan de relance, dont on attend la déclinaison sectorielle et territoriale. Il ne faut surtout pas le faire éclater en «pièces détachées» avant de lui fixer le cap et d’en définir les objectifs. Car l’efficacité de tout plan est largement tributaire de son niveau de cohérence. 



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