Opinions

Le Mondial du Qatar : un rendez-vous à marquer d’une pierre blanche

Par Aicha AIT BERRI*
Ex-inspectrice de l’enseignement secondaire. Diplômée de l’INALCO (Sorbonne).

C’est la première fois qu’un pays arabe organise ce prestigieux événement. Certes, la Coupe du monde n’est pas qu’un jeu, ni une simple compétition entre les meilleures équipes du monde. C’est une arène géopolitique, diplomatique, économique, et culturelle. En effet les intérêts et les enjeux liés aux manifestations sportives fortement médiatisées, comme la Coupe du monde ou les Jeux olympiques, sont énormes. Pour étayer cette assertion, examinons certains aspects de cette coupe, la prestation du Maroc et son impact. La désignation d’un pays arabo-musulman pour l’organisation de cette compétition internationale a laissé sceptiques les pays occidentaux sur sa capacité à relever le défi. En effet, le Qatar a fait l’objet de dénigrements sur la manière dont on lui a confié l’organisation de cette manifestation et sur sa capacité à honorer son engagement, avant d’être attaqué sur les conditions de travail des ouvriers. La dernière tentative de nuire à cet événement est cette provocation flagrante voulant faire de lui une tribune pour des valeurs controversées dans le monde et choquantes pour le monde musulman. Au grand dam des pays réticents, le Qatar a relevé le défi avec brio, et a même damé le pion à tous les pays organisateurs qui l’ont précédé : les infrastructures grandioses, la capacité et le confort des structures d’accueil, l’organisation irréprochable, la sécurité bien assurée, la tolérance dans le respect des valeurs de l’islam ; autant d’aspects qui ont fait de cette manifestation un tournant dans l’histoire du football.

L’impact de cette coupe sur les représentations est considérable. La première est qu’en foot, rien n’est joué d’avance et que tous les pronostics peuvent être déjoués. Ainsi, ce Mondial a connu des surprises de taille, telles que la défaite de l’Argentine face à l’Arabie saoudite. C’était aussi l’occasion pour des équipes comme le Maroc, le Japon, la Corée du Sud de montrer leur capacité à se mesurer aux ténors mondiaux et à gagner même si la coupe a été, in fine, remportée par l’Argentine, une grande nation du football. Pour le Maroc, cette coupe du Qatar est à marquer d’une pierre blanche. C’est un miracle qui s’y est produit ; un fait glorieux qui a fait vibrer – bien au-delà de notre pays et de notre continent- des populations qui se sont identifiées à nous. Au-delà de cette belle performance des talentueux Lions de l’Atlas, leur participation a été l’occasion pour montrer le vrai visage du Maroc et des pays musulmans. Elle est venue remettre en question les acquis biaisés, corriger bien des représentations et des clichés que «les autres», en particulier l’Occident, se sont forgés sur eux. Il est vrai que toutes les campagnes de sensibilisation aux valeurs africaines et musulmanes, tous les discours académiques sur la question, n’ont pas réussi à se hisser à l’effet produit par cette manifestation mondiale qui a reflété une belle image concrète de notre pays. Cette expression «laysa man raa ka man sami3a», (celui qui a vu n’est pas comparable à celui qui a entendu), vient confirmer cette idée. La force de l’image est incontestable, son impact sur l’imagination et l’affect est indéniable. Elle imprègne à jamais l’imaginaire. Le film «Les indigènes» a été plus éloquent, plus convainquant que tous les plaidoyers sur le rôle crucial des combattants africains dans l’indépendance de la France et l’injustice qu’ils ont subie.

Quelles sont les valeurs honorées lors de cette compétition ?
Le Qatar a donné une belle leçon de tolérance, laquelle tolérance se conçoit dans le respect des valeurs du pays hôte. Aucune concession face à toute revendication qui puisse constituer une provocation pour les traditions locales ou porter préjudice à un quelconque pays. Ainsi, l’étendard arc en ciel n’a pas eu droit de cité dans le ciel de Doha.

De plus, l’équipe de Regragui a montré que le succès s’élabore dans la solidarité du groupe, l’ambiance conviviale et l’esprit d’équipe. Il faut rendre hommage à cet homme qui a su fédérer les joueurs autour de lui, tenant même à donner aux plus jeunes de ses joueurs l’opportunité d’inscrire leur nom dans ce Mondial. La médaille de bronze n’est pas plus importante que la déception et la frustration qu’auraient éprouvées ces jeunes s’ils n’avaient pas joué.  N’a-t-il pas affirmé que la 3e et la 4e place sont celles des «cons» ? Par ailleurs, les Lions de l’Atlas ont montré que rien n’est impossible, que l’effort et la persévérance sont payants quand on porte bien l’objectif dans son cœur et qu’on y croit fermement. «Ndirou nnya» est l’expression magique que le coach emploie pour galvaniser les joueurs. Aussi peut-on considérer l’équipe marocaine comme un phare qui éclaire le chemin pour les autres, ceux qui s’identifient à lui. C’est ainsi qu’une certaine confiance en soi et l’espoir de réussir ont été insufflés aux laissés pour compte. Et Dieu sait combien ils sont nombreux. Par ailleurs, la culture marocaine était présente à travers les costumes, les produits d’artisanat, mais surtout à travers la place prestigieuse qu’occupent les liens familiaux. En effet, la relation des joueurs avec leurs parents a été portée au diapason. La vénération de leurs parents, en particulier leurs mères, a forcé l’admiration. Ainsi, cette coupe a été l’occasion pour ces jeunes sportifs de rendre un hommage solennel aux parents qui sont vénérés et placés sur un piédestal. Ne se sont-ils pas sacrifiés et n’ont-ils pas enduré les travaux les plus pénibles pour donner à leurs enfants les moyens de mener une vie digne et de réaliser leurs rêves ? Cette reconnaissance des joueurs envers leurs mères, et l’amour qu’ils vouent à ces dernières, a été l’objet de bien des débats. La comparaison avec le traitement réservé aux séniors dans d’autres pays était inévitable. Il est vrai que dans le monde musulman, on admet que la vénération des parents est un devoir sacré. Elle aide à réussir dans la vie et à gagner une bonne place dans l’au-delà. Il y a le «merdi lwalidin», celui qui jouit de la bénédiction de ses parents ; il y a aussi «maskhout lwalidin», celui qui est poursuivi par la malédiction de ses géniteurs. Bien des versets coraniques recommandent le respect des parents et leur obéissance. L’image de Hakimi et Boufal déposant un baiser sur la tête de leurs mères est une couronne que l’amour et la gratitude font arborer à ces femmes militantes qui ont su, malgré les conditions de vie pénibles, inculquer à leurs enfants le goût de l’effort, l’amour de la patrie et l’attachement aux valeurs de leur culture d’origine. Ne dit-on pas que derrière la réussite de tout homme, il y a une femme ?

Les prosternations des jeunes sur la pelouse, qu’ils soient perdants ou gagnants, est une autre manière solennelle d’exprimer leur spiritualité et leur gratitude envers Dieu. «Qui n’exprime pas sa gratitude envers les gens, ne le fait pas envers Dieu», est un hadith souvent évoqué. La reconnaissance est une valeur forte portée aussi bien par les joueurs que par le public, qui encourage et valorise les efforts consentis par l’équipe et le parcours effectué. Même après les défaites des deux derniers matchs et les larmes amères qui ont été versées, tout le monde s’accorde à rendre hommage à cette équipe qui a réalisé un exploit historique, faisant vibrer les masses. En guise de remerciements, un accueil chaleureux et solennel leur a été réservé, à leur retour, aussi bien par la population qui s’est massée tout au long de leur parcours que par SM Le Roi qui a eu la haute sollicitude de les recevoir, accompagnés de leurs mères, pour les décorer de Ouissams royaux. Notons aussi que l’attachement à la patrie est exprimé par tous les Marocains, qu’ils vivent au pays ou à l’étranger. Les joueurs de l’équipe nationale, évoluant sous d’autres cieux, ont choisi, malgré les tentations, de défendre les couleurs de leur pays d’origine. Et nos compatriotes du monde entier ont soutenu, sans réserve, les Lions de l’Atlas et célébré leurs victoires. Il est vrai que nous n’habitons pas un pays ; c’est plutôt le pays qui nous habite et on le porte en nous, même quand on vit ailleurs. Tous nos compatriotes, jeunes et moins jeunes, hommes et femmes, voire enfants en bas âge, ont arboré les couleurs du Maroc, suivi les différents matchs avec ferveur, célébré ses victoires dans la liesse et la communion populaires. Bref, on peut dire que les Marocains, de toutes conditions, se sont réconciliés avec leur identité, et cette compétition a consolidé leur attachement à leur culture. Force est de constater aussi que la ferveur patriotique a libéré la femme de certaines contraintes culturelles et l’a encouragée à investir massivement un espace public, où elle était minoritaire, pour participer à l’écriture de cette épopée. Réconciliées avec ce jeu considéré comme plutôt viril et masculin, les femmes ont investi les gradins et d’autres espaces publics comme les cafés. Même dans les localités les plus reculées, la femme a fait sauter le verrou qui lui interdisait l’accès à des lieux réservés aux hommes. Certains cafés étaient réservés exclusivement aux femmes ; chose inédite jusqu’à ce jour. Par ailleurs, il convient de noter que les victoires de notre équipe ont adouci les mœurs, réveillant un sentiment de fierté, un élan de solidarité dans le monde musulman et chez les marginalisés de tout bord. Il est vrai que ces peuples ont su se hisser au dessus des divergences politiques entre certains gouvernements pour rendre les frontières caduques afin d’entrer en communion, ne formant plus qu’une seule nation qui vibre au rythme des compétitions. Alors qu’on commençait à douter de la sincérité du slogan «khawa, khawa» de nos frères algériens, ceux-ci se sont joints à nous pour partager notre joie, prouvant ainsi combien nos liens sont solides. Cette épopée a ainsi consolidé les liens avec des populations avec lesquelles nous partageons des appartenances d’ordre linguistique, géographique, religieuse. Par ailleurs, cette manifestation a été l’occasion de montrer combien la femme marocaine, même baignant dans une culture étrangère, a réussi à inculquer à ses enfants une bonne éducation basée sur le respect des parents, sur l’amour de la patrie et sur l’attachement aux valeurs de l’islam. Et les joueurs, sur lesquels les caméras du monde entier étaient braqués durant ce Mondial, se sont révélés d’excellents ambassadeurs : ils ont su, de par leur combativité, leur modestie, leur conduite irréprochable, leur générosité et leur éloquence donner une belle image du pays et de l’islam en honorant ostensiblement ses valeurs. Aussi ont-ils réussi à imposer le respect du monde entier et à inspirer l’amour et la fierté de ceux qui s’identifient à eux. En résumé, les représentations biaisées qui se sont heurtées à des vérités insoupçonnées seront certainement corrigées en faveur de l’image du Maroc, du monde musulman et de la femme marocaine. On peut dire que ce Mondial, qui a rétabli certaines vérités, est une revanche sur l’arrogance et le chauvinisme du monde occidental. Il a fait mordre la poussière au complexe de supériorité, redonnant confiance et espoir à toutes les nations qui en faisaient les frais. Et l’impact sur le secteur touristique, sportif et éducatif… sera sans doute considérable. Le meilleur est à venir !

*Bio-express  

Aicha Ait Berri est ex-inspectrice de l’enseignement secondaire. Diplômée de l’INALCO (Sorbonne), elle est docteure en littératures et civilisations. Elle est l’auteure de nombreux articles publiés dans la presse locale et nationale, tels que Le Maroc diplomatique, quid, Maroc hebdo, la revue des arts de l’oralité… Elle est aussi auteure de contes et de recueils de poésie : «La valse d’un regard embrumé», «À l’ombre des obsessions»…). Elle se consacre, depuis qu’elle est à la retraite, au travail associatif.



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