Financement public des partis politiques : 22 MDH en attente de restitution

Quinze partis politiques doivent restituer 21,96 millions de dirhams au Trésor public. C’est ce que révèle la Cour des comptes dans son rapport d’audit 2023. Malgré des progrès notables dans la justification des dépenses, des défaillances comptables persistent chez plusieurs formations bénéficiant du financement public.
La gestion financière des partis politiques reste marquée par des irrégularités persistantes. Dans sa synthèse publiée le 27 avril 2025, la Cour des comptes révèle qu’un montant de 21,96 millions de dirhams (MDH) reste encore à restituer au Trésor public par quinze formations politiques, et ce, malgré les améliorations constatées dans la justification des dépenses.
L’audit des comptes au titre de l’année 2023, mené conformément à l’article 147 de la Constitution, a porté sur 27 partis politiques ayant produit leurs comptes, représentant des ressources globales de 104,97 MDH. Si la Cour salue une nette progression, avec des dépenses non justifiées ayant chuté de 26% en 2022 à 6,27% en 2023, elle pointe du doigt la persistance de défaillances comptables et appelle à une régularisation urgente des sommes dues à l’État.
Cette situation intervient dans un contexte où le financement public constitue désormais la part majoritaire des ressources des partis (58%), soulignant l’importance d’une gestion transparente et rigoureuse des fonds publics accordés aux formations politiques.
Situation financière globale : ressources et dépenses déclarées
Pour l’année 2023, les ressources globales déclarées par les 27 partis politiques se sont élevées à 104,97 MDH. Le financement public en a constitué la part majoritaire avec 60,48 MDH (58%), tandis que les ressources propres ont atteint 44,49 MDH (42%).
Le financement public annuel a ainsi représenté une part croissante par rapport à 2022 (53%), mais sa répartition demeure hétérogène. Cinq partis en dépendent quasi-totalement, alors que seize autres n’ont bénéficié d’aucun soutien public, faute de remplir les conditions légales. Les ressources propres ont, quant à elles, connu une baisse significative de 38% par rapport à 2022, principalement due au recul des produits non courants et des cotisations des adhérents. Le soutien public effectivement accordé par l’État (60,38 MDH) a représenté 43% des crédits ouverts (140 MDH).
Ce montant est en baisse de 25,5% par rapport à 2022, en raison du non-versement du soutien supplémentaire pour missions et études en 2023. Seuls le Parti des Néo-Démocrates (PND) a bénéficié d’une contribution pour son congrès national (375.000 DH), et l’Union Socialiste des Forces Populaires (USFP) pour l’encouragement de la représentativité politique des femmes (100.813,20 DH). La concentration des ressources reste notable, neuf partis cumulant 92% du total.
Du côté des dépenses, le montant total déclaré s’est élevé à 91,37 MDH, dominé par les frais de gestion (92,35%) et l’acquisition d’immobilisations (5,56%). Une forte concentration est également observée, trois partis (Rassemblement National des Indépendants, Parti Authenticité et Modernité, et Parti de l’Istiqlal) ayant exécuté 68% des dépenses totales.
Les frais de gestion (84,39 MDH) ont légèrement baissé (-5,55%) par rapport à 2022, avec comme postes principaux les dépenses de personnel (25%) et les charges de location (18%). Les dépenses pour l’organisation des congrès nationaux se sont chiffrées à 1,21 MDH (concernant trois partis), et celles pour l’encouragement de la représentativité féminine à 144.018,85 dirhams (exclusivement par l’USFP).
Principales observations de l’audit
L’audit a révélé des insuffisances persistantes, bien qu’en amélioration sur certains aspects. Concernant les ressources, un montant de 1,72 MDH (affectant huit partis) a fait l’objet d’observations. Celles-ci incluent des ressources propres non appuyées par des pièces justificatives pour 853.164,60 DH (PJD, PUD, PCI et PAAT, notamment) et des encaissements en numéraire dépassant le plafond légal de 10.000 dirhams pour un total de 865.900 dirhams (PND, Équité, PCI, FFD et PCS).
S’agissant des dépenses, 5,73 MDH (soit 6,27% du total des dépenses déclarées par l’ensemble des partis) ont présenté des lacunes en matière de justification, un chiffre en nette baisse par rapport aux 26% de 2022. Ces insuffisances concernent principalement des salaires non appuyés par les pièces requises (3,40 MDH pour six partis, marquant une nette amélioration par rapport aux 17 partis de 2022), des paiements de loyers non justifiés (60. 834,83 DH pour six partis), et d’autres dépenses hors salaires et charges locatives non documentées (1,34 MDH pour huit partis).
De plus, 0,42% des dépenses totales étaient appuyées par des pièces insuffisantes ou non libellées au nom du parti. La Cour a noté positivement l’absence de cas de non-respect du plafond légal de paiement en numéraire et d’utilisation du soutien aux frais de gestion à des fins non prévues.
Concernant le suivi du soutien supplémentaire de 2022 pour études, les partis RNI, PAM, PI, USFP et PJD ont produit les livrables ou restitué les fonds non utilisés.
La Cour a réitéré la nécessité d’harmoniser le cadre juridique de ce soutien. Enfin, à fin mars 2025, 35,92 MDH de soutien indu, non utilisé ou non justifié, ont été restitués au Trésor par 24 partis (période 2022-2024), mais un reliquat de 21,96 MDH reste à restituer par 15 partis.
Production des comptes et évaluation de la gestion financière et comptable
La production des comptes annuels demeure un enjeu. Sur 33 partis, 27 ont déposé leurs comptes, dont 22 dans le délai légal. Six partis (MDS, PRD, PRV, PAA, PFC et UNFP) n’ont pas produit leurs comptes. Parmi ceux déposés, 23 ont été certifiés par des experts-comptables (19 sans réserve et 4 avec réserves), tandis que quatre autres n’ont pas obtenu de certification (Annahda, PSD, PDN, PAAT).
Les réserves émises portent souvent sur l’absence de manuel de procédures, la faiblesse du contrôle interne, des lacunes dans le suivi des immobilisations, le non-respect du Code du travail ou la non-comptabilisation des amortissements. Des insuffisances ont également été relevées chez huit partis concernant la production de l’État des informations complémentaires (ETIC) ou des relevés bancaires.
Plus largement, 23 partis ont montré des faiblesses dans leur gestion comptable, telles que le non-respect des modèles ETIC, la non-comptabilisation des montants à restituer ou le non-respect de principes comptables fondamentaux.
L’évaluation de la gestion interne, basée sur les réponses de 22 partis à un questionnaire, a souligné la persistance de plusieurs défis. Les effectifs salariés (entre 244 et 254 sur 2021-2023) sont inégalement répartis (61% concentrés dans deux partis) et les qualifications varient (35% de cadres).
La formation continue reste rare. Si 20 partis disposent de structures territoriales et 18 d’organisations annexes, l’adoption de budgets formellement approuvés et décentralisés est limitée. Les procédures internes (recouvrement des cotisations, gestion des dépenses et suivi du patrimoine) sont souvent absentes ou peu formalisées chez une part significative des partis.
Les recommandations clés
Face à ces constats, la Cour des comptes exhorte les partis politiques à une gestion financière et comptable plus rigoureuse. Il doivent impérativement produire leurs comptes annuels dans les délais, dûment certifiés et intégralement justifiés. Ils leur faut également restituer au Trésor les fonds indûment perçus, non utilisés ou employés à des fins non conformes.
Pour rappel, ceux-ci s’élèvent globalement à 21,96 MDH. Une tenue comptable conforme aux principes en vigueur, incluant l’enregistrement précis de toutes les opérations et des montants à restituer, est essentielle. Pour y parvenir, le renforcement des capacités internes par l’adoption de manuels de procédures, la clarification des rôles et la formation continue du personnel est primordial.
Concernant le ministère de l’Intérieur, la Cour préconise une «action incitative ferme» de sa part «invitant» les partis à régulariser leur situation financière vis-à-vis du Trésor. Elle suggère par ailleurs d’organiser des formations ciblées pour les cadres des partis, d’élaborer un guide de procédures comptables et d’envisager un système d’information comptable commun pour améliorer l’efficacité.
Enfin, une harmonisation du cadre réglementaire régissant le soutien public avec la loi organique sur les partis et le Code des juridictions financières est jugée cruciale pour optimiser l’efficience du soutien annuel supplémentaire et en garantir l’atteinte des objectifs.
Mehdi Idrissi / Les Inspirations ÉCO