Éco-Business

Transition énergétique : les PME osent le pari de la décarbonation

Face à l’impératif de réduire les émissions de CO₂, le Royaume imprime la trajectoire de son tissu productif vers un modèle plus résilient et compétitif à l’international. Si la décarbonation s’impose comme une contrainte physique et économique, l’enjeu pour les entreprises est d’articuler transition écologique et compétitivité sans compromettre leur équilibre financier.

Malgré l’optimisme entretenu par certains observateurs, la réalité s’impose avec la rigueur des chiffres : plus de 43 milliards de tonnes de CO₂ sont émises chaque année à l’échelle mondiale, sans signe clair de ralentissement.

À ce rythme, l’ambition de contenir la hausse des températures sous la barre des 1,5°C paraît relever de la gageure, voire de l’utopie, si aucun virage radical n’est amorcé, estiment les experts. Loin de se limiter au déploiement de quelques panneaux solaires ou à de simples ajustements technologiques, la décarbonation sous-tend un véritable réaménagement de l’architecture économique, industrielle et sociale.

Les entreprises, en particulier, sont invitées à repenser leurs procédés et leurs débouchés sous peine de se retrouver pénalisées par les nouvelles règles du jeu mondial, à l’image du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières de l’Union européenne. Et pour un pays comme le Maroc, qui exporte massivement vers l’Europe, l’enjeu n’est rien moins que la préservation de sa compétitivité et de son rôle de locomotive régionale.

«À travers ce prisme, la question n’est plus de savoir si nous devons décarboner, mais comment transformer cette contrainte vitale en levier d’opportunités et de croissance durable», lance Mohammed Baraoui, directeur du Changement climatique et de la diversité biologique au sein du ministère de la Transition énergétique et du Développement durable, lors d’un panel sur les enjeux de la décarbonation tenue en marge du Sustainable Finance Summit.

Vulnérabilité énergétique
Signataire de l’Accord de Paris et pleinement engagé à l’horizon 2030, le Maroc a amorcé sa transition vers une économie plus verte. Le Plan Climat 2020-2030, en cours de déploiement, veut constituer «un cadre de convergence de différentes politiques sectorielles pour le développement d’un plan d’action climatique», rappelle Mohammed Baraoui.

Cet engagement, matérialisé par plusieurs documents stratégiques – de la Stratégie nationale de développement durable (SNDD) à la Stratégie nationale du carbone –, s’inscrit dans la perspective d’atteindre un mix électrique composé à 64% d’énergies renouvelables d’ici 2030 et la neutralité carbone à l’horizon 2050. Cette ambition n’est pas à l’abri de multiples menaces, au premier rang desquelles le stress hydrique. «Dans certaines régions du Sud, la pénurie d’eau se fait déjà sentir, affectant l’agriculture et la sécurité alimentaire. Il y a également un enjeu de la désertification, qui altère notre superficie agricole», alerte Mohammed Baraoui, évoquant également le risque croissant d’inondations et d’érosion côtière. Dans ce paysage économico-climatique, la nouvelle taxation carbone européenne (Mécanisme d’ajustement carbone aux frontières) apparaît comme un autre défi.

«C’est un point qui pèse énormément sur l’économie, et les entreprises sont censés se préparer pour garder et préserver leur compétitivité à l’international. Près de 65 % des exportations pourraient être impactées à terme par cette taxe carbone, plaçant les entreprises devant l’obligation de repenser leurs modèles», insiste Baraoui.

Dans cette optique, le Royaume mise sur l’énergie verte, épaulé par l’expertise de l’Agence marocaine pour l’énergie durable (MASEN). «Nous avons déjà un pipeline de projets, qui totalisent 3800 MW», confie Yassmina Bensoud, représentante de MASEN, avant de détailler les plans relatifs au gigantesque complexe solaire de Midelt, lequel doit abriter trois projets totalisant plus de 1,5 GW. «Certains incluent des installations de batteries de stockage qui permettent de fournir de l’électricité pendant la journée mais également de répondre aux besoins durant les pics de consommation», précise-t-elle. Les prochaines phases, avec lancement de la construction d’un premier projet et sélection de soumissions concurrentes pour les projets suivants, montrent la cadence soutenue que s’est fixée l’agence. «On peut dire qu’on aurait pu atteindre l’objectif des 52% de capacités installées en énergies renouvelables bien avant 2030», se réjouit Bensoud. Parmi les exemples emblématiques de la réussite de ces programmes, la responsable cite le repowering du parc éolien de Koudia El Baida : «Sur un même site, on a réussi à doubler la capacité de ce parc-là qui est passé de 50 à 100 MW», indique-t-elle, rappelant qu’il s’agit «d’un projet co-développé entre MASEN et un développeur privé, entièrement financé par cinq banques commerciales, nationales et internationales». Preuve, selon elle, de la maturité du secteur marocain et du potentiel d’attractivité qu’il recèle.

Pour une transition plus «inclusive»
Si l’essor des énergies renouvelables représente une priorité, la maîtrise des émissions demeure un impératif tout aussi essentiel.

«Pour une bonne stratégie de décarbonation, il est essentiel de mesurer ce qu’on cherche à réduire», lance Loïc Jaegert-Huber, directeur régional Afrique du Nord chez Engie, rappelant qu’une comptabilisation précise des émissions directes et indirectes (scopes 1, 2 et 3) est un prérequis incontournable.

«Nous, on s’est fixé chez Engie un objectif très concret du net zéro carbone d’ici 2045, à la fois pour nous et pour l’ensemble de nos clients», souligne-t-il.

«L’on parle notamment des mécanismes d’ajustement de carbone aux frontières», ajoute Jaegert-Huber, conscient que la mise en place de cette taxe est, pour certains, source d’inquiétudes, mais constitue aussi «une opportunité pour le Maroc, parfaitement positionné d’un point de vue géostratégique et doté d’un potentiel renouvelable énorme».

La multinationale, leader de la transition énergétique, se propose ainsi d’accompagner les industriels dans l’élaboration de leur feuille de route bas-carbone : audit des process, planification des investissements en efficacité énergétique, valorisation des ressources en eau ou en déchets.

Face aux impératifs de transition, le financement reste un enjeu central. En ce sens, les banques déploient des mécanismes dédiés pour soutenir les projets liés à la décarbonation. Parmi eux, le GEFF (Green Economy Financing Facility), mis en place par la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD) avec le soutien de l’Union européenne et du Fonds vert pour le climat (GFC), accompagne les entreprises marocaines dans leurs investissements verts.

«Travailler avec la BNP dans le cadre du programme GEFF nous a permis d’accéder à des ressources financières et à une expertise essentielle pour notre développement», explique un industriel spécialisé dans la fabrication d’emballages.

«Cette ligne de financement nous a permis de moderniser notre production avec une nouvelle ligne de fabrication de biscuits d’une capacité de 7.260 tonnes par an, augmentant notre production de 23,3 % tout en réduisant notre consommation d’énergie et nos émissions de CO₂, estimées à 559 tonnes d’équivalent CO₂.»Ce soutien a également facilité la transition post-loi 77.15 qui interdit l’usage des sacs en plastique.

«Le fait d’avoir un accompagnement de 10% nous a permis déjà d’orienter notre acquisition en matériel vers du matériel beaucoup plus performant et de réduire la partie déchets de plus de 8%», affirme un fabricant de carton.

À l’image des grandes banques internationales, la holding mère de la BMCI s’est positionnée très tôt dans le financement des projets verts. «Historiquement, la banque est engagée depuis les années 2000, dès la signature des Equator Principles», rappelle Abdelmajid Fassi Fihri, Regional Head of Corporate and Institutional Banking Africa au sein de BNP Paribas.

L’abandon progressif du financement des industries les plus polluantes (charbon, pétrole) s’est accompagné de la montée en puissance d’un «nouveau business» où dominent les énergies renouvelables et les solutions de décarbonation. En ce sens, l’accompagnement des petites et moyennes entreprises exportatrices s’est avéré un créneau porteur, notamment en matière de sensibilisation.

«Ce mécanisme de taxe carbone aux frontières arrive demain, et les PME qui exportent risquent de se retrouver bloquées», prévient Fassi Fihri, insistant sur la nécessité d’intervenir en amont pour conseiller et structurer économiquement le basculement vers de nouveaux procédés industriels.

«Il faut des banquiers qui ne soient pas seulement des vendeurs de produits financiers, mais de véritables conseillers capables de partager les bonnes pratiques et d’aider à mesurer l’impact réel de chaque investissement».

Vers une compétitivité verte
Si la décarbonation demande des efforts soutenus, l’ensemble des intervenants s’accorde sur le fait qu’elle offre des perspectives inédites de compétitivité pour le tissu productif local. Projets solaires, programmes éoliens, modernisation industrielle ou optimisation de la consommation en eau…, autant de chantiers qui convergent pour positionner le Royaume comme acteur majeur de la transition énergétique en Afrique.

Mais au-delà de la simple contrainte réglementaire, il s’agit de répondre à un besoin vital de préservation des ressources naturelles et de compétitivité économique. Car, réduire l’empreinte carbone s’avère avant tout une contrainte économique et physique. La modernisation des infrastructures énergétiques suppose des investissements conséquents, avec des arbitrages souvent serrés.

D’un côté, les impératifs réglementaires poussent à accélérer la transition, de l’autre, la réalité des coûts impose une progression maîtrisée. L’enjeu est de concilier transition écologique et compétitivité sans fragiliser l’équilibre financier des entreprises.

Deux accords pour booster la transition durable

Lors de la deuxième édition du Sustainable Finance Forum, organisé à Casablanca, la BMCI a officialisé deux alliances stratégiques destinées à structurer davantage la finance verte au Maroc. En partenariat avec la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD), l’établissement bénéficiera de la troisième ligne de financement Green Economy Financing Facility (GEFF III), dotée d’un enveloppe de 35 millions d’euros.

Ce dispositif vise à accompagner les entreprises locales dans leur transition écologique en finançant des projets liés à l’efficacité énergétique, aux énergies renouvelables, à la gestion durable de l’eau, à la réduction des déchets et à l’économie circulaire. En complément, une assistance technique gratuite sera mise à disposition pour les aider à structurer des investissements verts compétitifs.

Cette initiative prolonge les engagements de la BMCI, qui avait déjà mobilisé les lignes GEFF I et GEFF II, respectivement de 20 et 25 millions d’euros. En parallèle, la banque a signé un second accord avec EcoVadis, acteur reconnu de l’évaluation de la performance RSE des entreprises.

Ce partenariat introduit un mécanisme de financement indexé sur des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG). Concrètement, les entreprises les mieux notées en matière de responsabilité sociétale pourront accéder à des conditions de financement plus avantageuses, renforçant ainsi l’incitation à adopter des pratiques durables.

Ayoub Ibnoulfassih & Yann Daryl / Les Inspirations ÉCO



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