Feuille de route AMITH 2025-2028 : l’ultime chance pour la transformation textile ?

Alors que le Maroc maintient son 8e rang de fournisseur textile de l’UE, sa croissance atone et sa dépendance à l’Espagne (61,8%) révèlent des fragilités structurelles. La feuille de route AMITH 2025-2028, axée sur la durabilité et l’innovation, peine à concrétiser ses ambitions face à la concurrence asiatique.
Modernisation énergétique, académies de design, missions à New York…, autant de chantiers qui peinent à masquer l’essentiel : une productivité en berne et des clients qui fuient (-9% pour les exportations vers la France). La dernière newsletter de l’Association marocaine des industries du textile et de l’habillement (AMITH) de juillet 2025 révèle un secteur textile-habillement à la croisée des chemins.
Sous la présidence d’Anass El Ansari, il poursuit une transformation structurelle axée sur «une vision claire : une industrie textile marocaine plus durable, compétitive et tournée vers l’international».
Toutefois, les données Eurostat soulignent des performances qui nécessitent une analyse nuancée des enjeux sous-jacents.
Performance commerciale : résilience relative mais vulnérabilités persistantes
La position du Maroc comme 8e fournisseur de l’UE en habillement (1.129.571 k€ à fin mai 2025) révèle une résilience modeste mais des fragilités structurelles.
Avec une progression annuelle de +5% contre +29% pour le Cambodge ou +22% pour la Chine, le secteur marocain affiche une croissance atone, se maintenant au même rang depuis 2023 tandis que les leaders asiatiques creusent l’écart – la Chine dominant le marché avec 9,3 millions de k€. Une stagnation compétitive qui masque des disparités géographiques marquées : l’Espagne absorbe 60,7% des exportations marocaines vers l’UE (685,798 millions d’euros, +11%), compensant partiellement le recul français (-6% à 219.550 €), tandis que l’Allemagne émerge comme relais de croissance (+21% à 75,332 millions d’euros).
Cette dépendance excessive au marché ibérique, couplée à une érosion globale des ventes (-8% à fin avril 2025, à 13,921 milliards de DH), souligne des défis profonds : pression concurrentielle accrue, coûts énergétiques pénalisants et difficultés à pénétrer de nouveaux marchés malgré les missions prospectives en Pologne et Allemagne. Comme on peut le constater, la diversification reste embryonnaire face à l’hégémonie espagnole, limitant la résilience du secteur aux chocs régionaux.
Dynamique produit : entre déclin des basiques et timide montée en gamme
L’analyse par famille de produits révèle une restructuration en cours du portefeuille export marocain. Les segments à forte intensité de main-d’œuvre comme le pantalon (-14%), le pullover (-20%) et les sous-vêtements (-22%) subissent un déclin prononcé, tandis que les produits à plus forte valeur stylistique tels que les robes (+2%) et t-shirts (+2%) résistent mieux. Une évolution qui traduit une timide montée en gamme vers des articles moins standardisés, où le savoir-faire marocain en matière de finition et de réactivité pourrait constituer un avantage comparatif.
Néanmoins, cette transition reste fragile face à la concurrence asiatique agressive. Le Cambodge affiche ainsi une croissance de +46% sur la même période, soulignant l’insuffisance de l’innovation produit et des gains de productivité dans l’industrie marocaine. C’est dire que les défis structurels persistent, notamment celui de transformer l’argument «qualité-durabilité» en avantage compétitif tangible face à des rivaux à bas coûts et mieux intégrés dans les chaînes de valeur globales.
Internationalisation : une offensive prometteuse mais encore déconnectée des résultats
Cela dit, l’AMITH orchestre une diplomatie économique ambitieuse, multipliant les initiatives pour renforcer le rayonnement international. La mission stratégique en Pologne a établi un groupe de travail bilatéral visant une «intensification des échanges», tandis que le pavillon «The Moroccan Heritage» à New York a exposé auprès de donneurs d’ordres exigeants la trilogie «qualité, réactivité, durabilité» à travers 11 entreprises.
Parallèlement, la mission B2B à Düsseldorf a mis en avant la «flexibilité et réactivité» des industriels marocains auprès de poids lourds comme C&A ou S.Oliver. Des actions qui convergent vers un objectif clé : positionner le Maroc comme «un partenaire de sourcing fiable et durable», selon la déclaration du salon new-yorkais affirmant que «le Maroc est plus que jamais prêt à répondre aux exigences du marché mondial».
Pourtant, cette dynamique contraste avec la stagnation des parts de marché européennes (8erang inchangé depuis 2023) et la baisse globale des exportations (-8%), révélant un décalage entre l’image promue et la compétitivité réelle. Ainsi, l’enjeu critique réside désormais dans la consolidation opérationnelle de ces ouvertures diplomatiques en contrats durables.
Modernisation industrielle : une ambition structurelle en quête de concrétisation
La feuille de route de modernisation du secteur textile marocain s’articule autour de trois piliers complémentaires mais encore fragmentés. Sur le front énergétique, le partenariat avec le programme PEEM (GIZ/AMEE) cible dix entreprises pour réduire de 10% leur consommation énergétique, facilitant l’accès aux financements verts afin de contribuer à l’objectif national SNEE 2030 (-20% d’énergie finale d’ici 2030).
La transformation numérique progresse via des initiatives comme la masterclass «IA appliquée au textile» au CTTH de Tanger, promouvant l’automatisation industrielle et l’analyse avancée des données, tandis que le projet TECHTEX déploie une plateforme MOOC pour développer les textiles techniques via une «culture de l’innovation».
Enfin, la dimension formation-gouvernance s’incarne dans l’Académie de Mode Casablanca valorisant le «Design Made in Morocco» ainsi que la feuille de route AMITH 2025-2028 prévoyant la «modernisation (industrie 4.0, traçabilité, énergies propres)» et le transfert du siège à Rabat.
Une transformation stratégique en attente de consolidation
Le mois de juillet 2025 illustre la dualité du secteur textile marocain : une dynamique stratégique proactive – marquée par des missions diplomatiques ciblées (Pologne, Allemagne), une présence remarquée à Première Vision New York et des initiatives de modernisation énergétique et numérique – se heurte à des faiblesses structurelles persistantes.
Malgré l’ambition portée par Anass El Ansari de «faire rayonner le textile marocain», trois vulnérabilités majeures subsistent : une compétitivité fragile face à la fulgurante croissance asiatique (+29% pour le Cambodge), une dépendance excessive au marché espagnol (61,8% des parts UE), et une innovation produit encore périphérique incapable de contrebalancer le déclin des segments basiques (-20% pour les pullovers).
C’est dire que la réussite de cette transformation dépendra désormais de l’exécution rigoureuse de la feuille de route 2025-2028, exigeant une accélération des gains de productivité, une diversification réelle des marchés au-delà de l’Espagne et une valorisation concrète des projets comme TECHTEX ou le PEEM. Sans cette consolidation opérationnelle, le rayonnement international promis risque de rester un horizon lointain plutôt qu’une réalité tangible pour cette industrie exportatrice non négligeable pour le Royaume.
Filet ouvert : des vulnérabilités systémiques à surmonter
La compétitivité industrielle marocaine bute sur des obstacles structurels persistants. L’argument de «proximité avec l’Europe», régulièrement mis en avant lors des missions B2B, ne suffit pas à compenser une productivité inférieure à celle de la Turquie, dont les exportations vers l’UE reculent moins fortement (-6% en 2025 contre -15% sur trois ans pour le Maroc).
Le déséquilibre géographique reste criant : l’Espagne absorbe 61,8% des exportations marocaines vers l’UE à fin mai 2025, créant une dépendance dangereuse tandis que la France poursuit son recul (-9% depuis 2023).
Par ailleurs, l’innovation peine à se traduire en diversification économique réelle : le projet TECHTEX sur les textiles techniques constitue une avancée symbolique, mais son poids dans les exportations demeure marginal et non quantifié, limitant la capacité du secteur à monter en gamme face à la concurrence du Vietnam ou du Bangladesh. Ces fragilités combinées – déséquilibre commercial, innovation insuffisamment valorisée, déficit de productivité – entravent la résilience d’un secteur pourtant vital pour l’économie nationale.
Bilal Cherraji / Les Inspirations ÉCO