Autoconstruction des MRE : les règles de la contribution sociale de solidarité

Face à l’essor des projets d’autoconstruction des MRE, la DGI précise les règles de la Contribution sociale de solidarité. Exonération sous 300 m² pour l’habitation principale, barème progressif au-delà et double déclaration obligatoire révèlent un équilibre fragile entre soutien à la diaspora et contraintes administratives. Détails.
Alors que les livraisons de ciment au Maroc affichent une croissance robuste (+11% en glissement annuel à fin juillet 2025, atteignant 8,29 millions de tonnes), portée par le béton prêt à l’emploi (+64%) et les mortiers (+99%), la saison estivale voit affluer, comme chaque année, les Marocains résidant à l’étranger (MRE). Ces derniers, motivés par des mesures incitatives lancent souvent des projets d’autoconstruction.
Dans ce cadre, la Direction générale des impôts (DGI) a récemment publié un guide fiscal clarifiant la Contribution sociale de solidarité sur les livraisons à soi-même – une mesure ciblant spécifiquement les constructions d’habitation principale.
Ce que dit le guide fiscal : exonération sous conditions
Le guide souligne une exonération clé : «Si vous vous livrez une unité de logement à usage d’habitation principale dont la superficie construite n’excède pas 300 m², vous serez exonérés.» Cependant, cette exonération tombe dès que la superficie dépasse ce seuil, avec un barème progressif : 60 DH pour une superficie variant de 301 à 400 m², 100 DH de 401 à 500 m² et 150 DH au-delà de 500 m².
Ce qu’il est important de noter, c’est que l’exonération ne s’applique pas aux logements destinés à la vente ou la location, même sous 300 m². Le dispositif vise explicitement l’habitation principale, définie comme un «logement indivisible ayant fait l’objet d’une autorisation de construire».
Obligations déclaratives
Pour les projets excédant 300 m², la DGI impose un double impératif déclaratif, générant une charge administrative à ne pas négliger.
Premièrement, la déclaration annuelle du coût de construction (formulaire ADP112B-19I) doit être déposée électroniquement avant le 28 février de chaque année, couvrant la période des travaux jusqu’à l’obtention du permis d’habiter. Elle exige un relevé exhaustif des factures (via le modèle ADP113B-19I), incluant les coûts hors TVA, les identifiants fiscaux des fournisseurs et les références de paiement. Comme le précise le guide, «la première déclaration doit être accompagnée d’une attestation d’architecte ou d’une copie du contrat pour les marchés clés en main», ajoutant une étape de certification technique.
Deuxièmement, la déclaration spécifique à la contribution sociale (ADP110B-19I) doit être soumise dans un délai strict de 90 jours après la délivrance du permis d’habiter, avec obligation de joindre ce permis et l’autorisation de construire originelle.
Ainsi, les risques sont palpables : un retard déclenche des contrôles fiscaux, tandis qu’une incohérence entre le coût global final déclaré et les relevés annuels peut susciter des redressements. Une mécanique qui crée un véritable parcours d’obstacles, où la dernière déclaration agit comme un point de convergence critique exigeant une traçabilité parfaite des dépenses.
Enjeux d’une mesure symbolique
L’analyse croisée révèle des tensions et paradoxes sous-jacents. Sur le plan juridique, le seuil de 300 m², bien qu’aligné sur les standards des résidences principales, introduit une logique redistributive par la progressivité du barème (60 à 150 DH).
Toutefois, «la modestie du montant (plafonné à 150 DH) contraste avec la lourdeur procédurale, incitant potentiellement les MRE à fragmenter leurs projets en unités inférieures à 300 m² pour échapper aux déclarations», réagit un analyste.
Sur le plan économique, dans un marché immobilier stable mais miné par l’inflation des coûts, cette contribution représente moins de 0,01% du coût d’une villa de 500 m² (estimé à 1,5–2 MDH), limitant son impact réel malgré son objectif affiché d’équilibre entre solidarité nationale et soutien aux MRE. Ajouter à cela que la complexité administrative risque de décourager les auto-constructeurs, accentuant leur recours aux promoteurs – secteur bénéficiant de l’industrialisation croissante (BPE +64%, préfabrication +19%).
Sur le plan structurel, cette dynamique renforce l’avantage comparatif des promoteurs, capables d’absorber les contraintes réglementaires, tandis que l’autoconstruction régulée perd en attractivité face à la montée en puissance des matériaux standardisés.
Les enseignements du modèle marocain
Ce dispositif fiscal agit comme un révélateur de l’approche des autorités. D’une part, il concrétise une inclusion fiscale des MRE par un double mécanisme : exonération généreuse, sous 300 m² pour l’habitation principale familiale, contre une contribution symbolique (60 à 150 DH) au-delà, traduisant une volonté d’équilibre entre soutien à la diaspora et solidarité nationale.
D’autre part, il expose un certain nombre de contradictions, notamment un dilemme administratif où la simplicité du barème proportionnel est annulée par une complexité déclarative chronophage, créant un fardeau disproportionné pour des montants négligeables.
Surtout, le seuil de 300 m² dévoile une vision politique binaire : «en assimilant les surfaces supérieures à de l’investissement spéculatif, il méconnaît les besoins des familles élargies marocaines où les résidences supérieures à 300 m² sont souvent des projets de vie intergénérationnels», nous signale-t-on.
Enfin, l’explosion des livraisons de ciment dans le BPE (+64%) et les mortiers (+99%) valide un alignement sectoriel inquiétant sur une standardisation industrielle, marginalisant l’artisanat local au profit de matériaux préfabriqués – une uniformisation qui érode la diversité architecturale tout en accélérant l’urbanisation.
L’équilibre entre intention et réalité
Le guide fiscal comble un vide informationnel crucial pour les MRE, offrant une transparence à saluer sur leurs obligations. Si l’exonération sous 300 m² constitue une bouffée d’oxygène pour les petits projets, le «marathon déclaratif» imposé au-delà – avec ses déclarations annuelles, attestations d’architecte et délais stricts – reste, pour notre analyste, inadapté à des auto-constructeurs souvent éloignés sur le plan géographique et administratif.
Dans un contexte où les coûts de construction s’envolent, la contribution sociale, bien que symbolique, interroge la cohérence d’un système qui sollicite la solidarité des MRE tout en alourdissant leurs démarches. Disons que l’avenir du modèle marocain repose sur sa capacité à transformer cette transparence en véritable simplification, alignant enfin les moyens sur les ambitions affichées.
Bilal Cherraji / Les Inspirations ÉCO