Taxe carbone : le Maroc veut verdir son économie sans sacrifier sa compétitivité
L’introduction d’une taxe carbone dans la Loi de finances 2025 marque un tournant décisif dans la stratégie environnementale du Maroc. Cette initiative, inspirée des expériences internationales, soulève des interrogations sur ses répercussions économiques et son potentiel à transformer durablement le secteur industriel national.
Le Maroc franchit une étape majeure dans sa lutte contre le réchauffement climatique avec l’annonce de cette taxe au niveau de la Loi de finances 2025. En adoptant ce dispositif, qui rompt avec la politique fiscale traditionnelle, le gouvernement vise à concilier transition écologique et compétitivité économique.
Dans un contexte mondial où les pressions pour réduire les émissions de CO₂ se multiplient, le Maroc s’appuie sur des modèles tels que le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF) de l’Union Européenne (UE) pour s’adapter aux exigences des marchés internationaux.
Toutefois, l’impact de cette taxe, aussi bien sur le plan économique qu’environnemental, dépendra des modalités de sa mise en œuvre et des mesures d’accompagnement proposées aux secteurs exposés, selon le rapport «Flash strategy taxe carbone» de BMCE Capital global research (BKGR).
Le précédent européen
L’UE a déjà mis en place un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF), visant à protéger son industrie tout en limitant les émissions mondiales. Ce système impose une taxe aux produits importés en fonction de leur empreinte carbone, réduisant ainsi les risques de concurrence déloyale de la part de pays moins exigeants en matière environnementale. Pour les exportateurs marocains, se conformer à des standards similaires devient crucial pour maintenir leur accès au marché européen, principal partenaire commercial du Royaume.
Le Maroc semble s’orienter vers une taxe progressive, inspirée du modèle européen, afin de préserver la compétitivité de secteurs sensibles comme la cimenterie et la sidérurgie. Cette progressivité offrirait aux entreprises un délai pour repenser leurs processus industriels et s’adapter à de nouvelles normes environnementales, comme le souligne le rapport de BKGR.
Des impacts à surveiller
Les secteurs les plus concernés par la taxe sont ceux à forte intensité en CO2, comme la cimenterie et la sidérurgie. Cependant, ces industries restent relativement protégées, car la majeure partie de leur production est destinée au marché local.
En revanche, des secteurs stratégiques tels que l’agroalimentaire et le textile pourraient subir des effets négatifs si le MACF venait à être élargi, note BKGR. La mise en place de cette taxe pourrait entraîner des coûts supplémentaires pour les industries énergivores, notamment la cimenterie, la sidérurgie et le secteur chimique.
Selon BKGR, près de 10% des exportations marocaines pourraient être affectées si le MACF s’étendait à d’autres secteurs comme l’agroalimentaire. En outre, une diminution de 5,72% des exportations marocaines pourrait survenir si les entreprises n’adoptent pas des pratiques permettant de réduire leur empreinte carbone.
Avec 65% de ses exportations destinées au marché européen, le Maroc se retrouve particulièrement vulnérable aux évolutions des normes environnementales internationales. La redistribution des recettes générées par la taxe, sous forme de subventions ou de soutiens financiers, sera donc cruciale pour garantir une transition équilibrée et socialement acceptable.
Une taxe pour verdir l’économie
L’introduction de la taxe carbone au Maroc s’inscrit dans les engagements climatiques du Royaume, notamment ceux pris lors de la COP22 à Marrakech. En imposant un coût aux activités les plus polluantes, le gouvernement espère inciter les entreprises à adopter des pratiques plus respectueuses de l’environnement.
BKGR estime que ce mécanisme pourrait être mis en place progressivement, afin de trouver un équilibre entre incitation et impact financier.
Au-delà de la réduction des émissions, la taxe carbone vise également à stimuler les investissements dans les technologies vertes et à renforcer l’utilisation des énergies renouvelables. Avec son potentiel important dans ce domaine, le Maroc dispose d’une opportunité unique de transformer cette contrainte environnementale en levier de compétitivité.
Le pays ambitionne ainsi d’attirer des investissements dans les énergies vertes, avec un plan d’investissement de 15 milliards de dirhams prévu d’ici 2027.
Des impacts à maîtriser
Toutefois, la mise en place de cette taxe n’est pas sans défis. Elle pourrait entraîner des coûts supplémentaires pour les industries énergivores, affectant potentiellement leur compétitivité sur les marchés internationaux. Le rapport de BKGR met en garde contre ces risques économiques, insistant sur l’importance d’un accompagnement ciblé pour ces secteurs vulnérables.
En parallèle, les recettes générées par la taxe carbone pourraient être utilisées pour financer la transition écologique. Une redistribution équitable, notamment sous forme de subventions aux projets verts ou d’aides aux ménages vulnérables, sera essentielle pour garantir l’acceptabilité sociale de cette réforme.
Vers une économie durable et compétitive
Malgré les incertitudes, la taxe carbone représente une véritable opportunité pour le Maroc de renforcer sa position dans les chaînes de valeur mondiales. En favorisant une économie décarbonée, le Royaume pourrait non seulement améliorer sa réputation écologique, mais aussi attirer des investisseurs soucieux de durabilité. Pour assurer le succès de cette mesure, il sera nécessaire de conjuguer pragmatisme et ambition.
«Bien que perfectible, la taxe carbone reste un outil clé de la transition écologique. Son adoption constitue une étape cruciale pour l’évolution énergétique du Maroc. La réussite de sa mise en œuvre dépendra de l’équilibre entre efficacité économique, soutenabilité sociale et compétitivité des entreprises, et devra s’accompagner d’une vision stratégique globale et inclusive», conclut le rapport de BKGR.
Faiza Rhoul / Les Inspirations ÉCO