Opinions

Commerce international : du papier au numérique

Par Mehdi Kettani
Avocat spécialisé en droit numérique

La conférence de la Banque européenne de reconstruction et de développement (BERD) sur la digitalisation des documents du commerce international a eu lieu le jeudi 3 juillet 2025 à Casablanca, au Four Seasons Hotel. Organisée par la BERD en partenariat avec la Chambre de Commerce Internationale Maroc (CCI Maroc), elle a abordé le thème de la dématérialisation des supports papiers essentiels au commerce international à travers plusieurs panels auxquels ont participé des experts de plusieurs nationalités.

Elle a consacré la nécessité de réaliser un travail de réforme législative et règlementaire afin d’aligner le cadre juridique national sur les standards internationaux et permettre une digitalisation sécurisée des documents utilisés communément dans le cadre du commerce transfrontalier.

Pourquoi digitaliser la chaîne documentaire
Le commerce international s’appuie encore sur une chaîne documentaire foisonnante : connaissements maritimes, lettres de change, warrants, certificats d’origine, factures, documents d’assurance et de crédit documentaire.

On estime que des milliards de nouveaux documents sont créés chaque année et que moins de 0,1 % seulement sont véritablement dématérialisés de bout en bout, ce qui entretient des coûts de traitement et des délais logistiques et financiers, ainsi que des risques de fraude liés à la duplication et à la circulation parallèle d’originaux papier.

La compétitivité des opérateurs se joue désormais dans la capacité à substituer à l’original papier un équivalent électronique qui en reproduit toutes les fonctions juridiques : identification fiable, intégrité, « possession » comprise comme contrôle exclusif, et transfert opposable.

Quel est l’état actuel du droit marocain, quelles sont ses limites et quel est l’intérêt d’un cadre «type MLETR»
Depuis 2007, la Loi n° 53-05 pose le principe d’équivalence juridique entre l’écrit électronique et l’écrit papier et organise leur valeur probante. Le DOC consacre cette équivalence aux articles 417-1 et 417-2. La Loi n° 43-20 modernise la signature électronique : elle reconnaît plusieurs niveaux (simple, avancée, qualifiée) et réaffirme l’admissibilité probatoire de la signature non qualifiée, la fiabilité du procédé étant appréciée par le juge. L’horodatage électronique est, par ailleurs, déjà pratiqué.

Ce socle est suffisant pour les documents ordinaires ; il n’organise pas encore, toutefois, la catégorie juridique du document transférable électronique ni, surtout, la possession/contrôle exclusif et son transfert. En effet, l’équivalence écrite/électronique ne crée pas, à elle seule, l’équivalence fonctionnelle de la possession : un PDF peut être copié à l’infini, alors que l’original papier est unique.

En l’absence de règles spécifiques, il reste difficile de prouver qui exerce le contrôle exclusif d’un document électronique et quand ce contrôle a été valablement transféré. Ce vide fonctionnel est précisément comblé par la Loi type de la CNUDCI sur les documents transférables électroniques (MLETR), qui organise l’identification du document, la préservation de son intégrité, le contrôle exclusif par une personne identifiée et le transfert opposable de ce contrôle (notamment articles 10 à 12).

Que prévoit La MLETR
La MLETR ne se borne pas à valider l’écrit électronique ; elle recrée en numérique les fonctions juridiques du titre papier. Au moyen d’une méthode fiable et technologiquement neutre, le document électronique doit être identifié comme l’unique document concerné, préserver son intégrité, être placé sous le contrôle exclusif d’une personne identifiée et faire l’objet d’un transfert de contrôle constatable et opposable. Ces exigences assurent aux documents transférables électroniques des effets équivalents à ceux des originaux papier.

Combler les écarts entre le droit marocain et la logique MLETR
Premièrement, l’identification et l’unicité du document doivent être affirmées. Le droit marocain admet l’écrit électronique et sa valeur probante (Loi n° 53-05 ; DOC, art. 417-1 et 417-2), mais il ne qualifie pas encore un « document transférable électronique » comme objet juridique unique. La MLETR, au contraire, exige qu’un document électronique puisse être identifié de manière fiable comme l’unique document qui incorpore les droits en cause (art. 10).

Deuxièmement, l’intégrité doit être garantie tout au long du cycle de vie du document. Les textes marocains offrent déjà des mécanismes d’intégrité, de signature et d’horodatage (Loi n° 53-05 ; Loi n° 43-20). Il convient néanmoins d’inscrire, pour les titres transférables, une exigence explicite de préservation d’intégrité assortie de journaux d’événements et de modalités de conservation et de révocation.

Troisièmement, la notion de contrôle exclusif — équivalent fonctionnel de la possession — doit être introduite. C’est l’élément qui manque le plus. En droit marocain, rien n’établit aujourd’hui qu’une personne déterminée exerce seule le contrôle d’un document électronique et que ce contrôle empêche toute autre personne d’agir simultanément. La MLETR considère que l’exigence de possession est satisfaite lorsqu’une méthode fiable identifie la personne en contrôle et garantit l’exclusivité de ce contrôle (art. 11).

Quatrièmement, le transfert du contrôle doit être organisé. Le régime actuel n’offre pas de mécanisme sectoriel permettant de constater et d’opposer un transfert de contrôle d’un document électronique, à l’image de la remise de l’original papier ou de l’endossement. La MLETR encadre ce transfert afin qu’il soit traçable, concomitant au dessaisissement du cédant et opposable aux tiers (art. 12).

Enfin, l’interopérabilité et la neutralité technologique doivent être élevées au rang de principes applicables aux documents transférables électroniques. Le cadre marocain est déjà neutre en matière probatoire ; il convient de prolonger cette neutralité par des standards d’échange et des profils techniques qui assurent la circulation des documents entre transporteurs, assureurs et établissements bancaires.

Ces écarts ne sont pas purement théoriques : leur résorption justifie une réforme. En conférant une existence juridique claire au document transférable électronique et en sécurisant le contrôle exclusif et son transfert, le Maroc réduira les délais de mise à disposition des marchandises, accélèrera les financements documentaires, limitera les fraudes par double présentation et abaissera les coûts de traitement. Les bénéfices économiques et opérationnels seront ainsi directement corrélés aux ajustements juridiques ici décrits.



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