Taxe carbone européenne : l’industrie marocaine sous pression

Le CESE a rendu public un avis très attendu portant sur l’impact du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières de l’Union européenne (MACF), qui entrera en vigueur en janvier 2026. Si, à court terme, les exportations marocaines semblent peu exposées, l’avis souligne que le pays devra accélérer sa transition bas carbone pour préserver sa compétitivité et transformer cette contrainte en opportunité. Il ne s’agit plus seulement de préserver l’accès au marché européen, mais bien de redéfinir le modèle industriel.
Quelques jours après avoir relativisé les effets immédiats de la future taxe carbone européenne, le débat s’élargit avec la publication d’un avis détaillé du Conseil économique, social et environnemental (CESE). À moins de quinze mois de l’entrée en vigueur du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF), le Maroc est appelé à anticiper pour ne pas avoir à subir, sous peine de voir s’effriter la compétitivité de certains secteurs clés.
L’avis du CESE confirme que seules 3,7% des exportations marocaines vers l’UE seront concernées par le MACF dans un premier temps. L’essentiel de cette part (2,9%) provient du secteur des engrais azotés. Les autres filières touchées, comme l’acier ou le ciment, restent marginales. Mais le répit pourrait être de courte durée. Bruxelles a déjà annoncé son intention d’étendre progressivement le mécanisme à de nouveaux produits, aux émissions indirectes et aux biens manufacturés. Les exportations marocaines d’automobiles, de produits agricoles, de textile ou encore de l’aéronautique pourraient être directement impactées.
«Les contraintes environnementales imposées sur certains produits pourraient non seulement accroître la complexité administrative des échanges, mais également générer des coûts additionnels pour les exportateurs et les industriels marocains», dixit le rapport. Ainsi, l’accélération du process de l’appareil productif s’impose au risque d’une marginalisation progressive sur le principal marché du Royaume.
Des failles persistantes
Certes le Maroc a multiplié les initiatives depuis plusieurs années, mais le CESE pointe certaines fragilités. Le coût élevé de la modernisation pour les PME, l’accès limité à l’électricité verte, notamment pour les industries de moyenne tension, et le manque de compétences spécialisées pour calculer et certifier les bilans carbone, peuvent représenter des obstacles. Autant de freins qui, sans réponse rapide, risquent de transformer le MACF en barrière commerciale plutôt qu’en opportunité.
Pour y remédier, le Conseil recommande de mettre en place une instance nationale dédiée à l’accompagnement du MACF, de créer un fonds spécifique de soutien aux PME exportatrices et de renforcer la coopération avec l’Union Européenne pour la reconnaissance des systèmes marocains de certification.
«L’ambition visée à long terme consiste à permettre au Maroc de se positionner comme une base de production et d’exportation de produits bas carbone, en cohérence avec ses engagements nationaux de réduction des émissions de gaz à effet de serre et avec les normes internationales pertinentes », explique Abdelkader Amara, président du CESE.
L’autre entrave se situe au niveau des ressources qualifiées. Dans ce sens, le CESE insiste sur l’instauration dans les universités de formations spécialisées pour développer les compétences en matière de calcul du bilan carbone. Au final, il s’avère impératif de se doter d’un comité de suivi des chantiers engagés. Si l’impact immédiat du MACF semble limité, il n’en demeure pas moins un signal fort.
Pour les industriels marocains, l’heure n’est plus à l’attentisme. Investir dans la décarbonation devient une condition sine qua non pour rester compétitif sur le premier marché du Royaume. Par ailleurs, les recettes générées sont estimées entre 2,7 et 3 milliards de dirhams. Plus qu’un défi, ce mécanisme européen pourrait constituer une chance historique, celle d’accélérer l’industrialisation durable du pays et de le hisser dans les chaînes de valeur mondiales de demain.
Abdelkader Amara
Président du CESE
«L’ambition visée à long terme consiste à permettre au Maroc de se positionner comme une base de production et d’exportation de produits bas carbone, en cohérence avec ses engagements nationaux de réduction des émissions de gaz à effet de serre et avec les normes internationales pertinentes.»
Une stratégie bas carbone bien engagée
Depuis plusieurs années, le Maroc s’est inscrit dans une trajectoire ambitieuse : atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050. La Stratégie nationale bas carbone prévoit des mesures concrètes, allant de la généralisation progressive d’une taxe carbone nationale au développement d’un marché domestique du carbone aligné sur les standards internationaux.
Les autorités ont aussi lancé des programmes d’accompagnement. Le fonds des zones industrielles durables (FONZID) a été renforcé, le programme Tatwir Économie verte cible les TPE et PME industrielles, tandis que l’Office chérifien des phosphates (OCP) déploie une feuille de route volontariste pour réduire ses émissions.
Sur le plan énergétique, l’Office national de l’électricité et de l’eau (ONEE) a, de son côté, mis en place des bilans carbone de l’électricité fournie et une certification provisoire d’origine renouvelable, afin d’anticiper les nouvelles contraintes européennes.
Maryem Ouazzani / Les Inspirations ÉCO