Économie solidaire : le Forum WeXchange 2025 révèle la force cachée du tiers-secteur

À Casablanca, la 4e édition du Forum WeXchange a mis en lumière le potentiel économique et social du tiers-secteur. Entre plaidoyer pour une loi-cadre et célébration de l’innovation sociale, la rencontre a dressé le portrait d’un écosystème aussi foisonnant qu’en attente de reconnaissance.
Le Forum WeXchange a réuni, le 21 octobre à Casablanca, tout un écosystème en effervescence. Dans l’auditorium, les discussions se sont enchaînées entre entrepreneurs sociaux, chercheurs, représentants publics et acteurs associatifs. Tous partageaient la même intuition, celle que l’économie solidaire n’est plus une utopie, mais une voie crédible pour conjuguer performance et équité.
Portée par la Fondation Abdelkader Bensalah, cette 4e édition a confirmé le rôle du Forum comme laboratoire d’idées et catalyseur d’initiatives. Sous le thème «Rôle économique du tiers-secteur, révéler la force cachée», la rencontre a ouvert un débat international sur la place que doit occuper le modèle solidaire dans le développement du Maroc.
Entre vision et réalité
«Le Maroc se trouve aujourd’hui à la croisée des chemins entre inclusion sociale, durabilité territoriale et équité économique», a souligné Tarik Maâroufi, directeur général de la Fondation Abdelkader Bensalah, à l’ouverture du Forum.
Selon lui, le tiers-secteur doit désormais être considéré non plus seulement pour son utilité sociale, mais pour sa contribution réelle à la performance économique du pays. Une approche partagée par Alexandre Lourié, directeur international du Groupe S.O.S, qui a rappelé que dans plusieurs pays européens, l’économie sociale et solidaire (ESS) représente jusqu’à 10% du PIB, contre à peine 2% au Maroc.
Les débats ont permis de croiser les regards et les expériences, notamment ceux de Malick Diop, président du Forum Africain de l’ESS, et de Marie-Christine Ladouceur-Girard, directrice générale de la Maison de l’Innovation sociale au Canada. Tous deux ont insisté sur la nécessité de doter le Maroc d’un cadre législatif clair pour canaliser les initiatives et garantir leur durabilité. «Sans loi-cadre, le tiers-secteur reste dans une zone grise, entre bonne volonté et précarité institutionnelle», a résumé un intervenant.
Une loi-cadre très attendue
Pour l’heure, le pays compte environ 187.000 associations actives et 60.000 coopératives, dont 7.730 féminines. Pourtant, seules 2.500 structures déclarent des salariés à la CNSS. Une réalité qui traduit le manque de structuration d’un secteur encore dépendant des financements publics et internationaux. Selon le CESE, l’ensemble de l’économie sociale et solidaire ne pèse que 1 à 2% du PIB national, alors que le Nouveau modèle de développement (NMD) fixe l’objectif de quadrupler cette contribution à moyen terme.
Le Forum a également été l’occasion de revenir sur les retards accumulés dans la promulgation de la loi-cadre sur l’économie sociale et solidaire. Un texte dont la conception remonte aux assises nationales de 2015 et qui demeure encore à l’étape de finalisation.
Intervenant lors des échanges, Lahcen Saadi, Secrétaire d’État chargé de l’Artisanat et de l’ESS, a reconnu l’ampleur des défis. Il a insisté sur «la nécessité d’un cadre juridique clair pour donner à l’économie solidaire les moyens d’exister pleinement dans le tissu productif national». Pour lui, «le Maroc dispose d’un potentiel humain immense et d’une tradition communautaire forte. Ce socle mérite aujourd’hui une reconnaissance légale à la hauteur de ses ambitions».
Innovation, inclusion et territoires
Au-delà des panels institutionnels, l’après-midi du Forum a offert un panorama vivant d’expériences concrètes. Ahmed Bendaji, président d’Open Village, a captivé l’auditoire en évoquant la force du maillage territorial comme moteur de transformation. Son association anime un réseau de villages partageant leurs pratiques pour résoudre ensemble les problématiques locales. Une illustration parfaite de ce que pourrait devenir le tiers-secteur marocain s’il bénéficiait d’un cadre favorable.
Dans un autre atelier, consacré au marketing social, les intervenants ont montré comment les outils de la communication peuvent servir la cause collective. D’autres cercles ont abordé les enjeux du financement, de la mesure d’impact et du renforcement des talents dans un secteur qui, jusqu’ici, reposait largement sur le bénévolat. L’idée de passer «de la donnée à la décision» a aussi suscité l’intérêt, rappelant que la transformation du tiers-secteur passera nécessairement par la professionnalisation et l’intégration des nouvelles technologies.
Huit initiatives distinguées
La journée s’est achevée sur une note à la fois inspirante et concrète. La remise des Moroccan Social Innovation Awards 2025 a donné un visage humain à tout ce qui s’était dit dans les panels. Huit initiatives ont été récompensées pour leur impact social et environnemental, incarnant l’esprit d’un tiers-secteur qui agit déjà, malgré l’absence de cadre légal.
Le Grand Prix est revenu à l’Association Amal pour son Café des Signes, premier espace au Maroc créé par et pour les personnes sourdes, symbole d’une inclusion rendue visible. Le Coup de cœur du jury a distingué AJAD pour son Forum international des innovations technologiques, dédié à la jeunesse et à la culture scientifique. D’autres projets, comme Colibghiti contre le gaspillage alimentaire, Femmes de la Terre pour l’autonomisation rurale ou encore AYNI, des lunettes intelligentes pour les malvoyants, ont rappelé que l’innovation sociale peut naître partout, des villes aux montagnes.
Ces initiatives racontent, chacune à sa manière, un Maroc qui invente ses propres solutions, entre solidarité, créativité et résilience. En célébrant ces lauréats, le Forum WeXchange a confirmé que le tiers-secteur ne relève plus de la philanthropie, mais bien de l’économie réelle. Il incarne un modèle de développement où l’humain et la valeur économique avancent enfin côte à côte.
Lahcen Saadi
Secrétaire d’État chargé de l’Artisanat et de l’Économie sociale et solidaire.
«Depuis 2013, le Conseil économique et social a souligné la nécessité d’un cadre juridique pour l’économie solidaire. Aujourd’hui, il faut franchir cette étape. Le gouvernement manifeste une volonté claire d’aller dans ce sens».
Tarik Maâroufi
Directeur général de la Fondation Abdelkader Bensalah.
«Nous sommes particulièrement satisfaits de cette édition, qui a mobilisé près d’une centaine de candidatures de qualité issues des douze régions du Royaume. Ces projets témoignent de la vitalité et de la créativité de l’écosystème marocain de l’innovation sociale. Nous félicitons l’ensemble des lauréats et saluons tout particulièrement l’Association Amal pour son engagement exemplaire et AJAD pour son idée novatrice».
Une loi-cadre qui se fait attendre
Dix ans après les Assises nationales de l’économie sociale et solidaire, le Maroc attend toujours l’adoption d’une loi-cadre dédiée au secteur. Le texte, élaboré sur la base des recommandations de 2015, vise à définir le périmètre de l’économie sociale, à encadrer ses acteurs et à créer des mécanismes de financement pérennes.
Selon le Secrétariat d’État chargé de l’Artisanat et de l’Économie sociale et solidaire, le projet est désormais finalisé et une version stabilisée circule entre les administrations concernées avant sa soumission au Parlement.
Cette loi, promise à plusieurs reprises, devrait permettre d’unifier les dispositifs épars qui encadrent aujourd’hui les associations, les coopératives et les fondations, tout en intégrant le tiers-secteur dans la stratégie nationale de développement. En attendant, le vide juridique freine encore la structuration du secteur et limite son accès au financement.
Pourtant, les bases sont posées, la reconnaissance institutionnelle est acquise et la volonté politique affichée. Le Forum WeXchange 2025 a d’ailleurs ravivé ce débat, confirmant que la loi-cadre reste la condition indispensable pour faire passer l’économie solidaire du statut d’initiative sociale à celui d’acteur économique à part entière.
Faiza Rhoul / Les Inspirations ÉCO