Maroc

Enseignement : 92% des enseignants satisfaits malgré une charge administrative étouffante

Avec 92% d’enseignants satisfaits, le Maroc affiche une résilience éducative remarquable. Pourtant, le rapport TALIS 2024 de l’OCDE expose des fractures criantes : retard numérique, charge administrative étouffante et autonomie limitée menacent cette dynamique. Zoom sur les leviers pour une transition inclusive.

Le Maroc est-il en train de rater le virage de l’éducation du XXIe siècle ?
La question est posée, et l’enquête TALIS 2024 que vient de publier l’OCDE apporte des éléments de réponse. Menée auprès de 280.000 enseignants dans 55 systèmes éducatifs, elle révèle des dynamiques qui méritent d’être scrutées et analysées.

Pour le Maroc, si la satisfaction professionnelle est élevée (92%, contre 89% dans l’OCDE), des fractures profondes persistent en matière d’équité, de numérique et de développement professionnel. Pour les acteurs économiques – du secteur public aux EdTech – ces données dessinent un paysage d’opportunités et de risques concrets.

Une démographie enseignante jeune, mais sous-tension
Selon l’enquête de l’OCDE, le corps enseignant marocain présente une vitalité démographique notable avec un âge moyen de 39 ans, inférieur à la moyenne OCDE (45 ans) et une proportion significative de jeunes enseignants (24% ont moins de 30 ans contre 10% dans l’OCDE). Une jeunesse qui constitue un atout dynamique pour l’innovation pédagogique, mais révèle simultanément des déséquilibres profonds.

Par exemple, la sous-représentation féminine est frappante, avec seulement 46% de femmes enseignantes contre 70% dans la zone OCDE. Une situation qui limite la diversité des approches éducatives et prive le système de compétences pédagogiques différenciées.

Par ailleurs, le secteur souffre d’une faible attractivité pour les profils en reconversion professionnelle. Seuls 1% des enseignants sont issus d’une seconde carrière (contre 8% en moyenne OCDE), ce qui indique un déficit d’ouverture aux compétences transversales venues d’autres secteurs. Si la jeunesse du corps enseignant offre une flexibilité théorique, elle exige en réalité des investissements massifs en accompagnement professionnel.

D’ailleurs, à peine 13% des enseignants novices bénéficient d’un mentorat structuré, un taux moitié moins élevé que la moyenne OCDE (26%). Pour les acteurs économiques, notamment les recruteurs et les organismes de formation, cette configuration ouvre un marché stratégique.

Le secteur privé pourrait pallier ces lacunes via des programmes de mentorat ciblés, inspirés des modèles préconisés par l’OCDE comme en Islande ou en Australie où près d’un cinquième des enseignants proviennent de reconversions professionnelles soutenues par des dispositifs d’intégration robustes.

Adaptabilité culturelle vs retard numérique
Le Maroc démontre des forces remarquables dans la gestion pédagogique de la diversité culturelle et linguistique, avec 80% des enseignants capables d’adapter leur enseignement à des contextes multiculturels (dépassant la moyenne OCDE de 63%). Une agilité interculturelle, nourrie par la réalité sociale marocaine où 47% des enseignants exercent dans des écoles comptant plus de 10% d’élèves non-arabophones, qui contraste vivement avec les retards accumulés dans la transition numérique.

Seuls 26% des enseignants utilisent l’intelligence artificielle dans leur pratique contre 36% dans l’OCDE, principalement pour des tâches de préparation de cours. Les freins infrastructurels sont criants : 76% déplorent un manque d’équipements adaptés (un écart de 39 points par rapport à la moyenne OCDE), tandis que 61% expriment un besoin urgent de formation en IA.

Paradoxalement, ceux qui utilisent ces technologies s’en servent déjà pour personnaliser les supports pédagogiques (53%), révélant un potentiel inexploité. Pour les entreprises locales du secteur EdTech, ce double constat dessine une opportunité marché stratégique, notamment dans le développement de solutions low-cost adaptées aux zones rurales mal desservies.

Toutefois, 68% des enseignants avouent ne pas maîtriser ces outils, créant un gap de compétences qui exige une réponse coordonnée. Les acteurs privés doivent impérativement construire des partenariats avec l’État pour déployer des formations hybrides (numériques et présentielles) ciblant spécifiquement les lacunes identifiées, transformant ainsi un défi structurel en levier d’innovation éducative inclusive.

La bombe à retardement du développement professionnel, on en parle ?
La formation initiale des enseignants marocains révèle des lacunes structurelles, avec 36% des jeunes diplômés qui jugent sa qualité insatisfaisante (contre 25% dans l’OCDE). Une déficience qui se concentre sur deux champs critiques : seulement 47% estiment être bien préparés à la pédagogie multiculturelle et 56% aux compétences socio-émotionnelles, pourtant essentielles dans un contexte où 82% des enseignants gèrent quotidiennement la diversité ethnique ou linguistique des élèves.

Pourtant, le véritable gouffre réside dans la formation continue. 74% des enseignants marocains dénoncent l’absence de soutien institutionnel et le manque d’incitations financières ou professionnelles, bloquant ainsi leur montée en compétences. Une carence qui est particulièrement aiguë dans le domaine numérique, où 54% réclament urgemment des méthodes pédagogiques intégrant le digital.

Paradoxalement, ce déficit offre une opportunité stratégique aux acteurs privés. Avec seulement 11% des jeunes enseignants envisageant de quitter la profession (contre 20% dans l’OCDE), le développement professionnel devient un levier clé de rétention. Les investisseurs doivent prioriser des micro-certifications reconnues, notamment en IA – identifiée par 61% des enseignants comme besoin prioritaire – pour transformer le risque de décrochage en fidélisation durable des talents.

Satisfaction fragile, stress latent…
Malgré un taux de satisfaction professionnelle record (92%), le bien-être des enseignants marocains est miné par des pressions opérationnelles invisibles. La surcharge administrative émerge comme un facteur de stress majeur : 70% subissent un volume excessif de corrections, tandis que 68% déplorent un nombre trop élevé d’heures d’enseignement. Des contraintes qui se répercutent directement sur la santé physique, avec 17% des enseignants signalant des impacts «importants» (contre 8% dans l’OCDE) – un écart qui traduit l’urgence d’alléger la charge cognitive.

Concrètement, les enseignants marocains consacrent 6,2 heures hebdomadaires aux seules corrections, soit 35% de plus que la moyenne OCDE (4,6 heures), réduisant d’autant leur capacité à innover pédagogiquement. Pour les entreprises du secteur EdTech et de l’IA générative, ce constat valide un marché immédiat. Des outils d’automatisation des corrections ou d’optimisation de la planification des cours pourraient libérer jusqu’à 30% du temps enseignant – un gain transformable en investissement pédagogique.

L’analyse économique est sans appel : chaque heure «sauvée» représente un potentiel de productivité éducative accru, ouvrant la voie à des solutions technologiques low-cost immédiatement scalables dans les zones rurales où les ressources sont les plus limitées.

Statut social vs autonomie : le paradoxe marocain
Le Maroc présente un cas unique de dissonance professionnelle : 50% des enseignants estiment jouir d’une reconnaissance sociale élevée (contre 22% dans l’OCDE). Pourtant, cette estime ne se traduit pas en autonomie opérationnelle.

L’OCDE souligne leur faible implication dans les politiques scolaires, tandis que 11% de ceux disposant d’une liberté curriculaire ne bénéficient d’aucune évaluation régulière – privant le système de feedbacks essentiels à l’évolutivité pédagogique. Un décalage entre prestige et pouvoir d’action qui constitue un risque latent pour la rétention des talents, d’autant que la satisfaction professionnelle (92%) repose aujourd’hui sur des bases fragiles.

Pour les décideurs publics, l’enjeu réside dans l’intégration effective des enseignants aux réformes éducatives, conformément aux préconisations TALIS de gouvernance collaborative. Le secteur privé, quant à lui, pourrait trouver ici un créneau stratégique : développer des plateformes de feedback collaboratif ou des outils d’intelligence collective permettant de canaliser l’expertise terrain vers les processus décisionnels. Sans cette médiation, la valorisation sociale restera un leurre, menaçant à terme l’attractivité d’une profession pourtant vitale pour le capital humain national.

Les priorités pour une transition éducative rentable

Le diagnostic TALIS 2024 révèle un Maroc éducatif résilient mais inabouti, où la jeunesse enseignante motivée (92% de satisfaction) et l’adaptabilité culturelle (80%) sont freinées par des lacunes infrastructurelles et formatrices. Pour transformer cet écosystème en levier économique, trois axes s’imposent aux acteurs publics et privés.

Premièrement, l’investissement dans l’IA éducative via des partenariats public-EdTech gagnerait à cibler les zones mal équipées (76% des enseignants dénoncent le manque d’équipements), en développant des solutions low-cost d’automatisation pédagogique déjà plébiscitées pour les corrections et préparations de cours.

Deuxièmement, la restructuration de la formation continue exige des incitations financières et des parcours modulaires certifiants – notamment en compétences numériques (61% des enseignants réclament une formation IA) – pour combler les lacunes de la formation initiale jugée insatisfaisante par 36% des jeunes diplômés.

Troisièmement, la réduction de la charge administrative (6,2 h/semaine perdues en corrections) par l’automatisation libérera un temps convertible en innovation pédagogique. Comme le résume Mathias Cormann, secrétaire général de l’OCDE, «des enseignants compétents constituent la clé de voûte des systèmes éducatifs performants».

Le Maroc détient les atouts humains ; son défi est désormais de bâtir un écosystème où efficience rime avec équité, transformant les enseignants – reconnus mais sous-équipés – en architectes d’une croissance nationale inclusive.

Bilal Cherraji / Les Inspirations ÉCO



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