Technologie : quand l’IA menace la créativité et l’authenticité des marques

Par Omar Benjelloun andaloussi
Professeur-chercheur en marketing et business développement
Depuis quelques années, l’intelligence artificielle (IA) s’est imposée comme un levier incontournable du marketing et de la communication digitale. Chatbots intelligents, génération automatisée de contenus, campagnes publicitaires dopées par l’IA…, les promesses sont séduisantes : rapidité, efficacité et réduction des coûts. Au Maroc, près de 65% des entreprises ayant amorcé leur transformation digitale déclarent intégrer au moins un outil d’IA dans leurs opérations marketing ou relation client (source : Agence de développement du digital, 2024). Mais derrière cette fascination se dessine une menace insidieuse : la dépendance aux outils d’IA risque d’éroder la créativité humaine, de standardiser les discours de marque et, à terme, de fragiliser l’authenticité perçue par les consommateurs.
Chatbots : la relation client sous pilotage automatique
Les chatbots se sont multipliés dans les banques, les télécoms et l’automobile. Ces dispositifs ont permis d’accélérer la prise en charge et de fluidifier l’expérience client. Toutefois, les limites apparaissent rapidement :
– Interactions stéréotypées :
les réponses automatisées peinent à refléter la richesse émotionnelle d’un échange humain.
– Perte d’empathie : face à des situations sensibles (réclamations, insatisfaction), les clients expriment souvent une frustration quand «la machine» ne comprend pas la nuance.
– Uniformisation des discours :
plusieurs entreprises marocaines, utilisant les mêmes modèles, reproduisent des réponses quasi identiques, réduisant la différenciation entre marques.
Selon une enquête de l’Observatoire Maroc Digital (2024), 58% des consommateurs marocains préfèrent encore un contact humain lorsqu’il s’agit de résoudre un problème complexe.
Contenus automatisés : efficacité au détriment de l’originalité
Les outils d’IA générative sont de plus en plus utilisés pour produire des articles, des posts sur les réseaux sociaux ou même des scripts publicitaires. Pour les marques marocaines, cela permet de nourrir en continu leurs plateformes numériques dans un contexte où près de 84% des internautes marocains sont actifs sur les réseaux sociaux (Hootsuite & DataReportal, 2024).
Le risque ?
– Des contenus rapides mais interchangeables, difficilement différenciables d’une marque à l’autre.
– Une perte de créativité narrative : l’IA se base sur des modèles prédictifs qui tendent à reproduire ce qui existe déjà, sans apporter de véritables ruptures créatives.
– Un biais culturel : les modèles entraînés sur des bases de données globales peinent à intégrer les spécificités linguistiques marocaines (darija, amazigh), ce qui limite leur pertinence locale.
Publicités générées par IA : productivité ou perte de sens ?
Les solutions d’IA permettent désormais de créer en quelques secondes des visuels, vidéos et slogans publicitaires. Au Maroc, plusieurs agences digitales expérimentent déjà des outils comme DALL·E ou Runway pour accélérer la conception de campagnes.
Cependant, si cette automatisation séduit par sa rapidité, elle soulève de sérieuses interrogations :
-Uniformisation visuelle : les mêmes styles graphiques générés par IA se retrouvent dans des campagnes de secteurs différents.
-Atteinte à l’authenticité : les consommateurs marocains, de plus en plus attentifs aux valeurs de transparence et de proximité, risquent de percevoir ces contenus comme artificiels.
-Risques de dérives éthiques : manipulation d’images, deepfakes ou représentations biaisées peuvent nuire à la réputation d’une marque.
Selon une étude de Kantar Maroc (2024), 72% des consommateurs déclarent accorder plus de confiance aux campagnes où la créativité humaine est visible (mise en scène locale, storytelling culturel).
Vers un équilibre nécessaire entre IA et créativité humaine
L’IA n’est pas à rejeter, mais à encadrer. Utilisée intelligemment, elle peut libérer du temps pour que les marketeurs se concentrent sur la créativité, l’innovation et la relation humaine. Mais une dépendance excessive risque de vider les marques de leur substance, en transformant leur communication en une simple suite d’automatismes sans âme.
Pour le Maroc, où la dimension culturelle et relationnelle joue un rôle central dans le lien marque-consommateur, l’enjeu est encore plus crucial. Il s’agit de trouver un équilibre subtil :
• Combiner IA et créativité humaine pour conserver l’authenticité.
• Adapter les outils aux langues et codes locaux pour éviter une communication hors-sol.
• Former les équipes marketing afin de garder la maîtrise stratégique des choix créatifs et éthiques.
En guise de conclusion, les marques marocaines entrent dans une ère décisive. L’IA, si elle est utilisée sans discernement, menace la créativité et l’authenticité qui constituent leur capital symbolique. Mais en s’appuyant sur la complémentarité entre intelligence humaine et intelligence artificielle, elles peuvent transformer cette menace en opportunité.
Car, au final, ce qui fidélise un client au Maroc, ce n’est pas la perfection d’un algorithme, mais l’émotion et la sincérité d’une relation de marque.