Opinions

Consommation : le piège des promotions, entre illusion d’aubaine et peur de manquer

Par RAIS Fatimazahra
Professeure chercheure à l’ISGA Fès-Edvantis Higher Education Group

«-30%, -50%, offres flash»… Les remises ont envahi notre quotidien au Maroc. Elles tapissent les rayons des hypermarchés, défilent sur nos écrans et s’imposent jusque dans nos poches via des notifications instantanées. La promotion est devenue une langue universelle, au point d’éclipser la valeur réelle des produits. Mais derrière ce décor saturé d’étiquettes rouges se cache une mécanique redoutable : celle qui transforme l’achat réfléchi en réflexe impulsif, en jouant sur nos émotions les plus profondes.

L’économie de la remise permanente
Autrefois, les soldes d’été ou d’hiver rythmaient le calendrier commercial. Aujourd’hui, la remise est permanente, ritualisée. Les enseignes ont compris qu’il ne s’agit plus seulement de vendre un produit, mais de vendre l’idée d’une “bonne affaire”. Ainsi s’installe une économie de la remise continue, où le prix de référence n’a plus de sens. Le consommateur n’achète plus en fonction de la valeur perçue, mais en fonction du sentiment d’avoir «gagné» sur le prix affiché.

La psychologie de l’étiquette
La promotion n’est pas un cadeau : souvent il s’agit d’une mise en scène. L’étiquette barrée opère comme un trophée anticipé, une récompense psychologique qui flatte l’ego du consommateur. Derrière cette dramaturgie, trois ressorts dominent :
• L’ancrage : un prix gonflé au départ rend la réduction spectaculaire.
• La rareté : “valable 48 heures”, “derniers exemplaires” — une urgence artificielle qui pousse à l’action.
• La gratification immédiate : l’illusion d’un gain instantané, plus fort que la réflexion rationnelle.
Mais le levier le plus puissant, c’est le FOMO — Fear of Missing Out. La peur viscérale de rater une occasion, de passer à côté d’une opportunité que d’autres saisiront. C’est cette crainte sociale et psychologique qui verrouille la décision : mieux vaut acheter tout de suite, quitte à regretter plus tard, plutôt que de courir le risque de manquer “l’affaire du siècle”.

Entre besoin et illusion
Dans un Maroc marqué par la tension sur le pouvoir d’achat, les promotions apparaissent comme un rempart. Elles donnent l’impression de soulager le budget, alors qu’elles peuvent l’épuiser par une succession d’achats non planifiés. Le consommateur n’est pas naïf : beaucoup savent que derrière certains “prix choc” se cache un simple jeu d’écriture. Mais face à l’angoisse de rater l’occasion, l’acte d’achat devient moins un choix qu’un réflexe.

Quand la confiance vacille
À force de multiplier les rabais artificiels, les enseignes jouent avec le feu. Car si tout est toujours en promotion, rien n’est jamais une véritable affaire. La valeur des produits se dilue, et la confiance du client s’érode. Une société de consommation où la remise devient permanente est aussi une société où la loyauté du consommateur s’effrite : plus méfiant, plus sceptique, parfois cynique.

Une responsabilité partagée
Accuser uniquement le consommateur serait une erreur. Les promotions sont un écosystème où chaque acteur a sa part :
• Les enseignes doivent sortir de la spirale des rabais fictifs et redonner au prix sa transparence. Un tarif clair inspire plus de fidélité qu’une avalanche de fausses bonnes affaires.
• Les marques gagneraient à se distinguer autrement que par l’étiquette rouge. Miser sur la qualité, la durabilité et l’innovation reste le meilleur antidote à la banalisation du prix.
• Les pouvoirs publics ont un rôle à assumer. Encadrer strictement les pratiques promotionnelles trompeuses, sanctionner les abus et protéger les ménages : autant de leviers déjà actionnés ailleurs, que le Maroc gagnerait à adopter.

De la remise à la valeur
Les promotions ne sont pas condamnables en soi. Elles font partie du commerce moderne et répondent à une attente culturelle. Mais elles ne devraient pas gouverner la totalité de nos choix. Le défi est de dépasser la culture de la remise pour instaurer une culture de la valeur : acheter moins mais mieux, préférer la transparence à l’illusion, la confiance à la peur de manquer. Car derrière chaque étiquette rouge se joue bien plus qu’un calcul de dirhams : ce qui se joue, c’est la relation de confiance entre le consommateur, le marché et la société tout entière.



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