Appels d’offres : quels secteurs clés sont désormais exemptés?

Maître Deryany Reda
Avocat d’affaires
L’arrêté n° 363/25 élargit la liste des prestations éligibles aux contrats de droit commun, incluant désormais le cannabis. Détails sur les mécanismes de transparence et les risques pour les PME.
Pouvez-vous détailler les principales prestations ajoutées à la liste des contrats de droit commun dans les marchés publics marocains ? En quoi cette extension diffère-t-elle des régimes précédents ?
Tout d’abord, il convient de poser le contexte du recours des établissements publics aux contrats de droit commun qui demeure une exception à la règle générale des modes de passation des marchés publics.
Le décret n° 2-22-431 relatif aux marchés publics pose les principes directeurs de la passation des marchés publics. Le maître d’ouvrage, qui serait en l’occurrence un établissement public, doit respecter l’égalité du traitement des concurrents et la transparence dans le choix de l’attributaire du marché.
A cet égard, il est un certain nombre de prestations pour lesquels le décret autorise le choix libre du prestataire pour certaines activités sans passer par un appel à la concurrence. C’est ce qu’on appelle les contrats de marchés publics soumis au droit commun. Le décret les définit comme des contrats qui ont pour objet la réalisation de prestations déjà définies quant aux conditions de leur exécution et de leur prix et que le maître d’ouvrage ne peut ou qu’il n’a pas intérêt à modifier.
Néanmoins, le décret pose des garde-fous pour limiter le recours à ce type de contrat et ne pas créer de brèche vidant le décret de sa finalité.
L’annexe 1 du décret dresse la liste des prestations pouvant faire l’objet d’un marché public soumis au droit commun. Cette liste étant limitative, seules les prestations y figurant peuvent faire l’objet d’un contrat de droit commun. Depuis la publication du décret et son entrée en vigueur, cette liste a été progressivement incrémentée pour comprendre de nouvelles activités. En mars 2025, un nouvel arrêté a été publié au Bulletin officiel pour ajouter les prestations liées au cannabis.
En effet, l’arrêté n°363/25 du ministre délégué auprès de la ministre de l’Économie et des Finances, chargé du Budget, daté du 11 février 2025 complétant la liste des prestations pouvant faire l’objet de contrats ou de conventions de droit commun vient d’être publié au Bulletin officiel n° 7387 du 17 mars 2025.
Quelle est, selon vous, motive cette évolution ? S’agit-il de simplifier les procédures pour les entreprises, d’attirer des investisseurs étrangers ou d’adapter le cadre légal aux secteurs innovants (ex : numérique, énergies vertes) ?
La possibilité ouverte aux établissements publics de recourir à un contrat de droit commun peut être motivée par plusieurs facteurs. D’abord, à travers la définition accordée par le décret. L’article 4 prévoit que les marchés publics passés par des contrats de droit commun ont pour objet la réalisation de prestations dont le maître d’ouvrage ne peut ou n’a pas intérêt à en modifier les conditions d’exécution ou le prix.
Ensuite, les conditions de réalisation de certaines prestations pourraient être plus importantes que leur prix pour déterminer le choix de l’attributaire du marché (location d’espace publicitaire, location d’immeubles, achat de nom de domaine, etc.).
Enfin, le développement de l’économie et la mouvance de la politique économique tend à favoriser certains secteurs d’activité, tel a été le cas pour le dernier arrêté ajoutant les prestations liées au cannabis à la liste des prestations pouvant faire l’objet d’un contrat de droit commun.
Comment cette flexibilisation affectera-t-elle les PME marocaines face aux grands groupes internationaux ? Y a-t-il des garde-fous pour éviter une concurrence déloyale ?
Bien sûr. Le décret prévoit des formalités de publicités obligeant les établissements publics à déclarer tous leurs marchés conclus par des contrats de droit commun.
A ce titre, les établissements publics sont tenus de publier sur le portail des marchés publics, une liste comportant le nombre et le montant global des contrats de droit commun conclus au titre de l’année budgétaire antérieure, classés par nature de prestations.
Cette solution demeure néanmoins faible, compte tenu du fait que l’identité des attributaires n’est pas dévoilée mais simplement la nature de la prestation et son prix.
Par ailleurs, il a été récemment créé, par le décret n° 2.22.78 du 22 avril 2024, un Observatoire marocain de la commande publique (OMCP) pour assurer la collecte des données relatives à la commande publique, leur traitement, analyse et publication.
L’OMCP est amené à jouer un rôle central dans la promotion de bonnes pratiques de gouvernance et de gestion des marchés publics au Maroc, en veillant à ce que ces processus soient menés de manière transparente et efficace.
L’usage accru des contrats de droit commun implique-t-il un recours plus fréquent à l’arbitrage, notamment international, en cas de litiges ? Comment concilier cela avec les principes du droit administratif marocain ?
Non, pas vraiment. Les établissements publics peuvent recourir à l’arbitrage quel que soit le mode de passation. L’article 17 de la loi 95-17 relative à l’arbitrage et à la médiation prévoit que les entreprises publiques soumises au droit des sociétés commerciales, les établissements et institutions publics peuvent conclure des conventions d’arbitrage. La passation d’un marché par appel d’offres n’empêche donc pas un établissement public de prévoir la compétence de l’arbitrage au lieu des juridictions étatiques.
Quelles sont les nouvelles obligations de compliance pour les entreprises souhaitant répondre à ces appels d’offres ? Risque-t-on des contentieux liés à l’interprétation des clauses contractuelles ?
Les sociétés commerciales souhaitant conclure un contrat de droit commun avec un établissement public ne devraient pas voir leur responsabilité engagée dès lors que la prestation sur laquelle porte ce contrat figure dans la liste des prestations de l’annexe 1 du décret.
De même, plusieurs litiges ont été tranchés par la Commission nationale de la commande publique (CNCP) qui donne son avis sur l’interprétation des textes, évitant souvent de désengorger les tribunaux administratifs pour des questions d’interprétation. Les avis de la CNCP sont accessibles en ligne sur le site du Secrétariat général du gouvernement (SGG) pour plus de transparence.
Cette réforme s’inspire-t-elle de modèles étrangers (ex : droit français, directives UE) ? Pourrait-elle renforcer l’attractivité du Maroc dans des secteurs clés comme les infrastructures ou les PPP ?
Le droit marocain des marchés public a ses spécificités dictées par la réalité du marché local. Le recours aux contrats de droit commun pour la passation des marchés publics est également prévu par le droit français mais dans des conditions différentes.
Observez-vous des disparités sectorielles ? Par exemple, les services consultatifs ou technologiques bénéficieront-ils davantage de cette évolution que les travaux publics traditionnels ?
Bien sûr, il y a des secteurs plus impactés que d’autres par cette absence de la concurrence.
Cette liste est-elle appelée à s’élargir davantage ? Envisage-t-on une refonte plus profonde du Code des marchés publics pour s’adapter aux enjeux post-Covid (relance économique, souveraineté stratégique) ?
La liste des prestations pouvant faire l’objet d’un contrat de droit commun a été étendue plusieurs fois depuis la sortie du décret. Elle est appelée à s’étendre davantage pour s’adapter aux besoins de l’économie et aux contraintes des établissements publics.
Bilal Cherraji / Les Inspirations ÉCO