Informel : derrière les chiffres du HCP

Pourquoi les unités de production et des emplois informels ont-elles sensiblement augmenté entre 2014 et 2023 ? Qu’est-ce qui explique l’engouement des entrepreneurs informels pour les services ? Comment interpréter la baisse de la part de l’informel dans la production et la richesse nationale ? Éléments de réponse avec Faouzi Morji, professeur d’économétrie appliquée à la Faculté des sciences juridiques, économiques et sociales de l’Université Hassan II-Casablanca.
La dernière enquête du Haut-Commissariat au Plan (HCP) sur la situation du secteur informel au Maroc a permis de mesurer l’ampleur du phénomène qui ne cesse de prendre de l’ampleur au fil des ans.
L’importante hausse des unités de production informelles (UPI) non agricoles, dont le nombre a bondi de plus de 353.000 pour atteindre environ 2,3 millions d’UPI en 2023 – dont 77,3% de micro-unités urbaines – confirme ce dynamisme. La création de 157.000 postes supplémentaires entre 2014 et 2023, pour atteindre 2,5 millions d’emplois, démontre la capacité du secteur à absorber une masse critique d’actifs. Alors, comment comprendre cette évolution remarquable ?
«Ces chiffres sont cohérents avec la logique économique dans le sens où la progression des unités de production non structurées est liée à l’économie de la débrouille», affirme Faouzi Morji, professeur d’économétrie appliquée à la Faculté des sciences juridiques, économiques et sociales (FSJES) de l’Université Hassan II-Casablanca, interrogé par les Inspirations ÉCO.
«On constate la croissance de la population en âge de travailler et des demandeurs d’emploi. Ceux qui ne trouvent pas de travail se tournent vers l’économie de la débrouille et créent leurs propres activités. Et cela vient gonfler l’effectif du secteur informel», ajoute-t-il.
Les services, un investissement moins capitalistique
L’autre révélation importante de ce sondage, c’est l’engouement des entrepreneurs informels pour les services dont la part dans les activités des UPI a augmenté entre 2014 et 2023 pour s’établir à 28,3% des activités des UPI, derrière le commerce qui concentre 47% des projets, en dépit d’une baisse de son attractivité.
Cette petite mutation est également perceptible dans la production informelle, où la part des services est passé de 18,6% à 24%, alors que celle du commerce (30%) est en deçà des 34,7% de 2014.
D’après notre interlocuteur, l’explication est simple : «Les gens qui ne trouvent pas d’emplois privilégient souvent les activités qui ne nécessitent pas beaucoup de financements, en investissant dans des unités de production moins capitalistiques. C’est ce qui explique l’augmentation de la part du secteur des services dans la production informelle. Il faut aussi savoir qu’en général l’informel se caractéristique par une bonne flexibilité d’adaptation à la demande».
Une valeur ajoutée sous-estimée
À en croire le HCP, globalement, la production informelle, bien qu’ayant atteint 226,3 milliards de dirhams (MMDH), en hausse de 22,3% par rapport à 2014, a vu sa part dans la production nationale (hors agriculture et administration publique) passer de 15% à 10,9% en 2023. Même constat pour la valeur ajoutée du secteur.
Malgré une hausse à 138,97 MMDH, sa contribution à la richesse nationale s’élevait à 13,6%, contre 16,6% en 2014. Rapporté au PIB nominal du Maroc estimé à 1.463 MMDH en 2023, ce pourcentage passe à 9,5%.
Mais pour Faouzi Morji, ce taux serait sous-estimé.
«Le pourcentage de 9,5% de la valeur ajoutée du secteur informel sur le PIB national est un peu réducteur, sachant que l’étude n’a pas intégré les autres activités de l’économie non observée», argumente-t-il.
S’agissant de la baisse de la part de l’informel dans la production nationale, il soutient qu’«elle est probable», mais estime que là aussi, «il y a une sous-estimation de l’apport économique de l’informel» au regard de l’approche restrictive de l’enquête du HCP.
Privilégier les mesures fiscales incitatives
En effet, l’institution dirigée par Chakib Benmoussa précise, dans le préambule de son rapport, que ce sondage a été réalisé entre avril 2023 et mars 2024, auprès de 12.391 UPI ne disposant pas d’une comptabilité. Autrement dit, l’étude n’a pas pris en compte les activités illicites ou illégales, ni la production volontairement non déclarée d’entités du secteur formel, pour éviter les obligations fiscales ou administratives.
Au regard du poids économique significatif de l’informel, le professeur d’économétrie appliquée invite le gouvernement à privilégier un meilleur encadrement du secteur en lieu et place de mesures contraignantes.
«L’Etat devrait mettre en œuvre des mesures fiscales incitatives et simplifier les procédures administratives pour encourager l’intégration de l’informel dans le tissu économique national. Il faut aussi encourager le développement des unités de production et attendre leur maturité pour leur imposer des obligations fiscales», recommande-t-il.
Faouzi Morji
Professeur d’économétrie appliquée à la FSJES de l’Université Hassan II – Casablanca
«Les gens qui ne trouvent pas d’emplois privilégient souvent les activités qui ne nécessitent pas beaucoup de financements, en investissant dans des unités de production moins capitalistiques. C’est ce qui explique l’augmentation de la part du secteur des services dans la production informelle. Il faut aussi savoir qu’en général l’informel se caractéristique par une bonne flexibilité d’adaptation à la demande.»
Elimane Sembène / Les Inspirations ÉCO