Culture

Colloque : l’UM6P rend hommage à Frantz Fanon

L’Université Mohammed VI Polytechnique organise un colloque international à l’occasion du centenaire de la naissance du penseur indépendantiste Frantz Fanon. Un évènement qui reflète la richesse des réflexions au Maroc.

Né le 20 juillet 1925 à Fort-de-France, en Martinique, Frantz Fanon est mort le 6 décembre 1961 aux États-Unis, emporté à 36 ans par une leucémie. Il aurait donc eu 100 ans cette année. À cette occasion, l’Université Mohammed VI Polytechnique (UM6P), de Benguerir, organisait les 25 et 26 juin un «Colloque international sur le centenaire de la naissance de Frantz Fanon (acte II)», sous-titré : «Le retour de la décolonialité ? Frontières, souverainetés nationales et désaliénation».

La guerre et l’hôpital
Le jeune Fanon s’était engagé en 1943 dans l’armée française de Libération, ralliant le général de Gaulle. Blessé, il est décoré et obtient une bourse pour faire sa médecine en métropole. Il a aussi découvert le racisme de ses compatriotes et la société coloniale d’Alger, lors d’un bref séjour sous l’uniforme. Il soutient la candidature d’Aimé Césaire, en 1945.

À Lyon, il suit aussi les cours de philosophie de Maurice Merleau-Ponty. Interne à l’hôpital de Saint-Alban, en Lozère, il y rencontre le psychiatre François Tosquelles, le directeur de l’établissement. Celui-ci, républicain espagnol réfugié en France, vient de sauver la vie de ses malades, menacés par le régime de Vichy, en ouvrant les portes de l’hôpital et en inventant une forme de soins qui fera école dans le monde entier, à l’origine de ce qui s’appellera l’antipsychiatrie.

C’est dire qu’en 1953, à son arrivée à Blida, en Algérie, Frantz Fanon a déjà côtoyé certains des esprits les plus brillants de la résistance et de l’anti-conformisme qui viennent de vaincre le nazisme. Son travail clinique va très vite devenir une réfutation des préjugés racistes qui dominent la médecine coloniale.

Fanon expose ainsi que beaucoup de pathologies des colonisés qu’il doit soigner ne sont pas dues à leur «race» supposée, mais sont des symptômes de la violence coloniale, précisément. Les effets de cette violence, prévient-il juste avant la guerre, s’expriment d’abord entre les colonisés eux-mêmes, mais finiront, tôt ou tard, par se retourner contre leur source : le système colonial. Il va lui-même rejoindre le FLN et devoir fuir à Tunis la répression française. Nommé ambassadeur itinérant du Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA), il remplira plusieurs missions diplomatiques sur le continent africain.

Une œuvre majeure
Les textes laissés par Frantz Fanon sont importants. Il suffit d’en lire quelques pages pour être frappé de leur actualité. Si la domination coloniale directe a (presque) disparu, ses remarques sur les risques de décompensation, et donc de passage à l’acte psychotique, induit par le racisme subi, paraissent avoir été écrites pour certains quartiers «abandonnés» de bien des pays.

Comme dans l’Algérie coloniale, l’individu s’y voit «infantilisé, opprimé, rejeté, déshumanisé, acculturé, aliéné». Ces observations cliniques, contrairement à ce que ses détracteurs — et certains admirateurs trop empressés — veulent croire, ne sont pas une «justification» morale de la violence. L’on peut aussi les lire comme une injonction au respect et au soin des défavorisés.

Par ailleurs, ses écrits théoriques, portés par un espoir révolutionnaire farouche, se révèlent d’une lucidité surprenante. Bien avant la fin de la guerre d’Algérie, qu’il n’a pas pu voir lui-même, il annonçait les risques encourus dans les sociétés devenues indépendantes.

Ces deux aspects expliquent peut-être qu’après avoir donné son nom à quelques hôpitaux, rues ou places, tant les institutions françaises que les algériennes ont semblé laisser sombrer dans l’oubli la figure de Fanon. Mais ses livres ont nourri la pensée tiers-mondiste de l’époque et les luttes anticoloniales. Ils sont aujourd’hui au cœur des réflexions postcoloniales et décoloniales du monde entier. Le Maroc ne peut que s’en saisir — avec un esprit critique, comme il se doit. Après tout, Fanon est aussi passé par Oujda, l’histoire obligeant.

Un Fanon très contemporain
Organisé par Montassir Sakhi, Raphaël Liogier et Wael Garnaoui, le IIe acte de ce colloque de l’UM6P contient une liste d’invités remarquables, mais aussi de jeunes chercheurs, doctorants, appelés à s’exprimer lors de tables rondes.

Parmi les intervenants, l’on relève notamment Noureddine Affaya, de l’Académie du Royaume, dont la contribution s’intitule : «La décolonialité comme sortie de la “longue nuit” ; est-ce un mythe ou une espérance ?». Le résumé annonce : «La notion de postcolonial ne se réduit pas à sa portée chronologique. Elle s’inscrit dans un processus long et complexe de sortie aussi bien de l’eurocentrisme que des blocages endogènes, en interrogeant les formes de violence, physique et symbolique, qui se sont exercées sur l’histoire, la géographie, la culture et le corps des Africains.» Montassir Sakhi, quant à lui, revient sur l’idée de la «formation nationale», développée par Fanon, qu’il fait dialoguer avec les travaux de Abdallah Laroui et de Mohammed Abed al-Jabri.

De son côté, Mehdi Alioua présente «Ordre migratoire, frontières européennes et aliénation. Quand le regard européen impose identité et statut aux expériences migratoires africaines». Pour Malika Mansouri, «Frantz Fanon, une pensée si actuelle !», la pensée fanonienne est une ressource plus que nécessaire pour penser l’urgence du monde contemporain.

En effet, la production idéologique de préjugés et stéréotypes induits par le colonialisme d’hier continue d’alimenter les rapports Nord/Sud d’aujourd’hui. Ces représentations déshumanisantes viennent, actuellement, soutenir le colonialisme de peuplement et le génocide qui lui est inhérent. Tandis que Youssef Belal, en anglais, intitule son intervention «Gaza : Liminal life and the colonial condition». L’on ne peut qu’espérer une rapide publication des actes de ce colloque.

Murtada Calamy / Les Inspirations ÉCO



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