Campagne céréalière : la récolte progresse, la dépendance aussi

Alors que les prémices de la moisson céréalière se dessinent, le flou persiste. En dépit d’un léger sursaut pluviométrique ayant redonné espoir aux cultures, les projections actualisées confirment une réalité tenace : le Maroc restera massivement tributaire des importations de blé en 2025-2026, selon le Département américain de l’Agriculture (USDA). Un constat qui vient relativiser les espoirs de souveraineté alimentaire affichés.
Longtemps redoutée, la perspective d’une nouvelle saison céréalière calamiteuse semble avoir été partiellement écartée par les pluies tardives de mars et avril. Ces précipitations, aussi bienvenues qu’inhabituelles, ont offert un sursis aux cultures et corrigé, dans une certaine mesure, le scénario noir envisagé en début d’année. À tel point que certains observateurs avertis évoquaient une réduction significative des importations de blé pour la campagne 2025-2026, nourrissant l’espoir d’un allègement durable de la dépendance extérieure.
Pourtant, les dernières projections du Département américain de l’Agriculture (USDA) viennent tempérer cet optimisme. Si la récolte de blé pourrait atteindre 3,5 millions de tonnes, selon la même source, en hausse par rapport à la campagne précédente, elle resterait inférieure à la moyenne décennale. Et surtout, les importations, loin de s’effondrer, se maintiendraient à des niveaux historiquement élevés, soit autour de 6,7 millions de tonnes. Une correction modeste, bien loin du tournant structurel annoncé.
Derrière ce léger repli des volumes importés, c’est toute la complexité de la stratégie céréalière du Royaume qui se dessine, entre dépendance chronique, ambitions de souveraineté alimentaire et arbitrages budgétaires serrés. Car même lorsque la pluie revient, le Maroc reste tributaire des marchés mondiaux.
Pas de répit en perspective
Pourtant, alors même que l’heure de la moisson a sonné dans plusieurs régions céréalières du Royaume, les données consolidées sur la récolte nationale se font toujours attendre. Ni la COMADER (Confédération marocaine de l’agriculture et du développement rural), ni la Fédération interprofessionnelle des activités céréalières et légumineuses (FIAC), ni même le ministère de l’Agriculture n’ont donné suite à nos sollicitations répétées.
Par ailleurs, malgré un léger répit climatique, la dépendance du Maroc aux importations de céréales demeure un fait structurel. Selon les dernières données du FAS-USDA, le Maroc devrait importer 6,7 millions de tonnes de blé au cours de la campagne 2025-2026, contre 6,9 millions estimées précédemment et 6,6 millions lors de la campagne en cours. Une baisse infime, qui reflète davantage une variation conjoncturelle qu’un infléchissement stratégique.
Pour les observateurs les plus prudents, cette contraction modeste ne saurait être interprétée comme un tournant. «Même avec une campagne agricole convenable, le Maroc continuera d’importer plus de la moitié de ses besoins en blé. Ce n’est pas une exception, c’est la norme», tranche l’agroéconomiste Mohamed Bajeddi.
En effet, la consommation nationale de blé tendre s’élève à près de 8 millions de tonnes par an, dont une large part est couverte par les importations. Entre juillet 2024 et mai 2025, le Royaume en a importé 4,7 millions de tonnes, dont plus de la moitié en provenance de l’Union européenne. Suivent la Russie (1,08 Mt), le Canada (0,83 Mt) et l’Ukraine (0,23 Mt), confirmant la stratégie de diversification géographique déployée ces dernières années.
Diversifier pour résister
Rappelons que la résilience du système d’approvisionnement repose désormais sur une stratégie de diversification pragmatique. Face à la volatilité des cours mondiaux et à la concentration des marchés, le Maroc multiplie les sources.
En parallèle, l’État continue de jouer un rôle central à travers l’ONICL, l’Office national interprofessionnel des céréales et des légumineuses. Ce dernier pilote les appels d’offres, encadre les prix de référence et accorde des subventions aux importateurs de blé tendre afin de préserver le pouvoir d’achat des consommateurs.
Ces dispositifs, coûteux pour les finances publiques, sont régulièrement ajustés selon les disponibilités internationales et les conditions locales. La baisse attendue des importations, aussi marginale soit-elle, allège mécaniquement la charge budgétaire liée à ces subventions. Néanmoins, le pays affiche des ambitions de long terme.
À l’horizon 2030, le Royaume vise à couvrir 80 % de ses besoins céréaliers grâce à la mobilisation d’un million d’hectares supplémentaires, dont 150 000 irrigués. Un objectif qui repose sur des avancées en matière de rendement, de techniques agricoles (notamment le semis direct) et de rationalisation de la filière.
In fine, à court terme, le Maroc ne peut se passer des marchés internationaux pour sécuriser son approvisionnement. Même dans les meilleures années, les importations représentent un levier incontournable pour stabiliser les prix et alimenter la demande nationale. À moyen terme, la souveraineté alimentaire reste un horizon stratégique plus qu’une réalité tangible.
Maryem Ouazzani / Les Inspirations ÉCO