Fruits rouges : les tensions climatiques pèsent sur les ambitions exportatrices

La nouvelle campagne des fruits rouges démarre dans un contexte délicat. Marquée par la rareté des plants européens et les effets du changement climatique, elle place les producteurs marocains face à des arbitrages stratégiques. Si les framboises affichent un léger recul, les myrtilles confirment leur essor, soutenues par l’extension des surfaces et la modernisation des cultures. Entre prudence et adaptation, la filière renforce son ancrage européen, tout en diversifiant ses zones de production vers le Sud et l’Atlas.
La campagne des fruits rouges au Maroc s’annonce sous le signe de la prudence. «Les plantations sont encore en cours, il est trop tôt pour dresser un bilan définitif», nous confie Amine Bennani, président de la Fédération des fruits rouges.
Si les perspectives restent ouvertes, un facteur majeur vient perturber le démarrage de la saison : la rareté des plants sur le marché international. Le Royaume, qui s’approvisionne principalement en Europe, subit cette année les conséquences directes des aléas climatiques touchant les pépinières du Vieux Continent.
«Les producteurs européens peinent à livrer les quantités demandées, ce qui impacte nos surfaces plantées», explique Bennani. De fait, les volumes exportés pourraient accuser une légère baisse par rapport aux campagnes précédentes.
Framboises : une offre en repli mais des marges de reprise
Pour la framboise, le constat est déjà perceptible. «L’offre sera légèrement inférieure à celle des années précédentes», admet Bennani, évoquant une mortalité accrue des plants due aux températures extrêmes. Néanmoins, le président de la Fédération des fruits rouges reste confiant : «La saison n’est pas encore jouée, une récupération partielle reste possible».
Dans le meilleur des cas, les volumes d’exportation devraient se maintenir au niveau de l’an dernier. Le tableau s’éclaircit pour la myrtille. «Nous anticipons une légère hausse, portée par les extensions de surfaces réalisées ces quatre dernières années», précise notre interlocuteur. Cette dynamique confirme la montée en puissance d’une filière désormais considérée comme un levier stratégique pour la balance agro-exportatrice marocaine.
Des complémentarités assumées avec l’Europe
Lors du Congrès international de la fraise 2025 à Anvers, Nabil Belmkaddem, représentant de la coopérative BestBerry, cité par la plateforme Freshplaza, a tenu à rappeler un principe fondamental : «Les fraises marocaines ne doivent pas être perçues comme une concurrente, mais comme un complément à la saison européenne».
Une complémentarité d’autant plus forte que le secteur reste étroitement interconnecté avec l’Europe. «La quasi-totalité de nos intrants – serres, systèmes d’irrigation, engrais – proviennent du continent européen, et une part importante de nos récoltes y retourne», souligne Belmkaddem.
Le Maroc capitalise sur sa proximité géographique, un climat propice hors saison et une main-d’œuvre qualifiée. Les bassins de production se concentrent historiquement dans le nord, autour de Larache et Kénitra, mais s’étendent désormais vers le sud. «Agadir reste un pôle important, et Dakhla gagne du terrain grâce à son projet de dessalement de grande envergure», précise le représentant de la coopérative BestBerry.
Parallèlement, la production estivale de myrtilles dans la région de l’Atlas ouvre de nouvelles perspectives pour allonger la fenêtre d’exportation. Le modèle agricole a profondément évolué : la myrtille et la framboise enregistrent une progression soutenue, tandis que la fraise recule en superficie.
«Les producteurs privilégient désormais la rentabilité et la résilience : les myrtilles, bien que plus coûteuses à implanter, offrent une meilleure stabilité économique», analyse Belmkaddem. La structuration du secteur repose sur des exploitations modernisées, le choix de variétés performantes et une coordination étroite avec les stations de conditionnement et les exportateurs. «Les partenariats européens, eux, restent essentiels : la vente directe aux enseignes demeure risquée pour les exportateurs marocains», souligne le professionnel.
Les exportations demeurent majoritairement orientées vers l’Europe et le Royaume-Uni, avec des débouchés plus limités vers les pays du Golfe, l’Amérique du Nord et l’Asie pour les produits transformés. Le calendrier de production suit de près la demande européenne : fraises de novembre à mars, framboises de septembre à juin et myrtilles d’octobre à juin. Mais cette dépendance au climat reste un défi structurel.
Sécheresses prolongées, vagues de chaleur, tempêtes et pression accrue des ravageurs fragilisent la production et raccourcissent les cycles. À cela s’ajoutent l’augmentation du coût de la main-d’œuvre, la hausse des intrants et des normes phytosanitaires plus strictes. Face à ces contraintes, la filière s’adapte : recours à de nouvelles variétés, développement de pépinières locales, adoption de plants en plateaux plus résistants.
«Ces innovations nous permettent de mieux répondre à la demande internationale et de consolider notre position en tant que partenaire clé de la filière européenne», conclut Belmkaddem.Ainsi, entre contraintes climatiques et volonté d’expansion, la filière marocaine des fruits rouges avance sur une ligne de crête, consciente que sa compétitivité repose désormais sur l’innovation, la résilience et une intégration régionale maîtrisée.
Framboise : le pari a été relevé avec succès
Derrière l’apparente audace d’un pari sur la framboise marocaine se dessine aujourd’hui une réussite éclatante. Trois ans plus tôt, l’idée paraissait risquée : qualité inégale, traçabilité incertaine, logistique fragile. Aujourd’hui, le Maroc s’impose comme un acteur majeur du marché mondial. En 2024-2025, les exportations ont atteint 64.400 tonnes, selon EastFruit, pour 487 millions de dollars, soit une hausse de 14% sur un an et un nouveau record historique.
En valeur, la framboise talonne désormais la tomate dans le classement des produits agricoles les plus exportés. La campagne s’étend sur presque toute l’année, avec un pic de production entre novembre et mai : le mois d’avril 2025 a d’ailleurs établi un record, avec plus de 10.000 tonnes expédiées.
Le Royaume-Uni reste le premier marché de destination (plus de 30% des volumes), suivi par l’Espagne, les Pays-Bas, l’Allemagne et la France, totalisant à eux seuls plus de 90% des exportations marocaines. Cette percée repose sur des investissements ciblés : modernisation de la chaîne du froid, contrôle qualité renforcé, numérisation des certificats et traçabilité intégrale des expéditions.
Le secteur a également misé sur la certification, la durabilité et la fiabilité, trois leviers qui ont consolidé la confiance des importateurs européens. Ainsi, ce qui n’était qu’un pari incertain s’est transformé en modèle d’efficacité et d’innovation. Et la place du Maroc comme partenaire incontournable du marché international des fruits rouges se confirme.
Abdelhafid Marzak / Les Inspirations ÉCO