Maroc

Initiative Atlantique : la lecture stratégique de l’IRES

Dans un contexte mondial en pleine recomposition, l’Afrique cherche à se doter d’une nouvelle colonne vertébrale stratégique. Le 6 novembre 2023, le Maroc, sous l’impulsion de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, propose une initiative d’envergure : fédérer les pays riverains de l’océan Atlantique autour d’un projet de co-développement, d’intégration régionale et de souveraineté partagée. L’Initiative Royale pour l’Afrique Atlantique se veut bien plus qu’un plan de coopération. Entre potentiel colossal et défis multiples, un rapport stratégique de l’IRES, fraîchement mis en ligne, trace les contours d’une ambition continentale sans précédent. Décryptage…

Le 6 novembre 2023, à l’occasion de la commémoration du 48e anniversaire de la Marche Verte, Sa Majesté le Roi Mohammed VI a levé le voile sur une ambition de grande envergure, mûrie au cœur d’une réflexion stratégique sur l’avenir du continent africain et sur la position que le Maroc est appelé à y occuper.

L’Initiative royale pour l’Afrique Atlantique, présentée à cette occasion, s’inscrit dans une dynamique de redéfinition des équilibres géopolitiques mondiaux. Elle incarne un projet à la fois géostratégique, économique, sécuritaire, écologique et culturel, fondé sur une vision africaine solidaire, unifiée et ambitieuse.

Cette initiative propose un changement de paradigme pour le continent africain. Elle vise à structurer et fédérer l’espace géopolitique des vingt-trois États africains bordant l’océan Atlantique, tout en intégrant les pays sahéliens enclavés, à qui elle offre une ouverture stratégique vers les grandes routes maritimes mondiales. Le Maroc, par sa position géographique, ses infrastructures modernes et sa vision diplomatique, se présente comme le catalyseur de cette dynamique continentale.

La façade atlantique du Royaume, de Tanger à Lagouira, devient ainsi l’épine dorsale d’un projet d’intégration régionale qui transcende les frontières historiques et les cloisonnements institutionnels. Le rapport stratégique de l’Institut royal des études stratégiques (IRES), mis en ligne le 7 octobre, dresse un état des lieux rigoureux.

Ce travail de diagnostic met en lumière une série de constats critiques. La première réalité alarmante est celle de la fragmentation du continent africain. Bien que le littoral atlantique concentre près de la moitié de la population du continent et plus de la moitié de son PIB, l’intégration régionale y demeure embryonnaire. Les infrastructures de transport sont insuffisantes, les échanges commerciaux intrarégionaux sont limités et les politiques publiques manquent de coordination. Un autre constat majeur concerne le sous-investissement chronique dans les infrastructures stratégiques.

Le manque de ports modernes, de voies ferrées interconnectées, de routes transnationales viables ou encore d’installations logistiques performantes freine la compétitivité des États atlantiques et aggrave l’enclavement des pays sahéliens. Sur le plan sécuritaire, les défis sont tout aussi préoccupants. Piraterie maritime, trafics illicites, instabilité politique, présence d’acteurs non étatiques et compétition géopolitique intense déstabilisent les littoraux et affaiblissent les capacités des États à garantir leur souveraineté.

Par ailleurs, la dimension énergétique est également pointée du doigt. L’Afrique, bien que dotée d’un immense potentiel solaire et d’un capital en ressources renouvelables exceptionnel, n’en exploite qu’une infime partie. Ce paradoxe est renforcé par l’absence de coopération technique et de cadres de financement adéquats. Le rapport note également que la présence accrue de puissances extérieures, souvent en compétition directe, complique la mise en place de stratégies collectives africaines et menace la souveraineté économique du continent.

Recommandations
Face à ce tableau contrasté, l’Initiative Royale pour l’Afrique Atlantique propose une réponse structurelle, fondée sur une logique d’intégration régionale, de solidarité et de co-développement. Le rapport de l’IRES recommande ainsi l’établissement d’une gouvernance flexible, mais efficace, articulée autour d’un mécanisme interétatique de coordination stratégique.

Cette gouvernance devra intégrer les secteurs public et privé, ainsi que la société civile pour bâtir une dynamique d’adhésion collective. L’une des recommandations centrales concerne la priorisation des projets structurants. Le port de Dakhla Atlantique, en phase de réalisation, est appelé à jouer un rôle de pivot logistique et commercial entre l’Afrique de l’Ouest, l’Europe et les Amériques. Le projet du gazoduc Maroc-Nigéria, vecteur de connectivité énergétique continentale, est également cité comme une réalisation clé.

Ces infrastructures doivent être accompagnées d’un réseau de corridors logistiques et d’une flotte commerciale régionale pour assurer une interconnexion réelle des territoires. Sur le plan financier, le rapport préconise la création d’un fonds d’investissement atlantique africain, adossé à des garanties souveraines et ouvert à la participation des institutions internationales, banques de développement, fonds souverains et investisseurs privés.

L’objectif est d’attirer les capitaux vers les secteurs stratégiques : énergie, transports, agriculture bleue, industries locales et services logistiques. La dimension sécuritaire n’est pas oubliée. Le rapport appelle à une architecture de défense maritime conjointe, dans laquelle la Marine Royale marocaine jouerait un rôle de leadership. L’installation de systèmes de surveillance, de coopération navale et de défense côtière doit être une priorité pour garantir la sécurité des routes commerciales et préserver la souveraineté des espaces maritimes africains.

Sur le plan environnemental, l’Initiative est appelée à devenir un modèle de développement durable. L’économie bleue, les énergies renouvelables maritimes, la protection des écosystèmes marins et la formation de compétences africaines dans ces domaines sont autant de leviers de transformation. Le rapport recommande également que les États africains atlantiques adoptent une diplomatie coordonnée dans les enceintes internationales afin de peser dans les débats globaux liés aux océans et aux ressources naturelles.

Scénarios prospectifs : une narration des futurs possibles

Selon l’IRES, trois scénarios sont envisagés pour l’avenir de l’Initiative. Le premier scénario envisage une coopération forte, soutenue par une volonté politique partagée entre les pays africains atlantiques. Dans ce cas, les infrastructures se déploient de manière harmonieuse, les initiatives régionales s’articulent autour d’un agenda commun, et l’espace atlantique devient un véritable moteur de croissance et de stabilité. Ce scénario suppose la création d’institutions africaines robustes, la mise en place de politiques industrielles intégrées et une montée en puissance de la diplomatie énergétique continentale.

Le deuxième scénario, plus réaliste mais moins ambitieux, décrit une coopération à géométrie variable. Seuls certains projets voient le jour, souvent portés par des coalitions restreintes d’États partageant des intérêts communs. Bien que les bénéfices soient visibles, ils demeurent limités à quelques zones d’influence, et l’impact global sur le continent reste fragmenté. Le troisième scénario, le plus pessimiste, anticipe l’absence d’action coordonnée.

Dans ce cas, les défis actuels s’accentuent : intensification des compétitions géopolitiques, prolifération des menaces sécuritaires, accroissement de la dépendance aux puissances extérieures. L’Afrique atlantique resterait alors un espace sous-exploité, à fort potentiel mais sans véritable dynamique endogène.

H.K. / Les Inspirations ÉCO



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