Maroc

Rachid Benali : “Avec l’équivalent de deux à trois mois de pluie, on ne peut pas effacer six ans de sécheresse”

Rachid Benali
Président de la Confédération marocaine de l’agriculture et du développement rural

Dans cette cette interview, Rachid Benali, président de la Comader, fait le point sur le contexte agricole actuel à l’issue des dernières précipitations. Il revient sur les dégâts engendrés par six années successives de sécheresse sur les filières agricoles. Il insiste également sur la problématique de l’investissement et son impact sur l’emploi rural ainsi que sur la nécessité de réviser les contrats-programmes.

Malgré les récentes précipitations, la question de l’eau continue d’exercer sa pression sur les filières agricoles. Quelles perspectives voyez-vous pour cette année ?
Malgré les précipitations qu’a connues le Maroc ces derniers mois, la situation reste préoccupante pour certaines filières, notamment la céréaliculture, cultivée en période automnale. Bien évidemment, quand on dit céréales, on parle aussi des légumineuses.

De ce fait, comme il n’y avait pas assez de pluies au début de la saison, de grandes superficies emblavées et semées ont été perdues. Auparavant, on visait plus de trois millions d’hectares emblavés, mais actuellement, les superficies concernées oscillent à peine entre 1 et 1,5 million d’hectares. On garde l’espoir d’avoir une récolte assez bonne dans des certains endroits et même très bonne dans d’autres. Malheureusement, le rattrapage en termes de précipitations qui a eu lieu n’a pas concerné toutes les régions agricoles. Il a été effectif au niveau du Saïss, du Gharb, du Loukkos et plus au moins au nord de la Chaouia.

Pour les filières arboricoles, les rosacées, les olives et les agrumes, on s’attend à une excellente saison puisqu’on a eu les pluies qu’il faut au bon moment. Pour le maraîchage, la saison est plutôt bonne même si le problème de l’eau persiste encore. Effectivement, comme on n’a pas pu avoir des précipitations suffisantes, la nappe n’a pas pu se reconstituer, d’où le creusement de puits à de plus grandes profondeurs avec la question du coût de creusement, de plus en plus élevé.

Malgré les irrigations d’appoint avec les lâchers de barrages, des régions accusent encore un déficit d’eau, notamment celle de Tadla et Beni Mellal avec les trois complexes de Hansali, Ben El Ouidane et Al Massira qui sont toujours vides. Il faut dire que du fait des quantités insuffisantes d’eau, on n’a pas pu procéder à des lâchers suffisants pour assurer la sécurité hydrique des populations.

Actuellement, on est surtout confronté au déficit des nappes, notamment au niveau du Gharb. Sur ce dernier point, les lâchers d’eau n’ont pas suffi, notamment pour le riz dont la superficie habituelle d’environ 5.000 hectares n’a pas pu être plantée en raison de la pénurie de ressources hydriques. Face à cette situation, force est de constater que le contexte est encore mitigé. Globalement, on est certes content des dernières précipitations mais on espère plus. Il est vrai qu’on ne peut pas effacer six ans de sécheresse avec l’équivalent de deux à trois mois de pluie.

Comment la Comader évalue-t-elle la mise en œuvre actuelle de la stratégie agricole nationale, et quelles sont les adaptations ou améliorations que vous recommanderiez pour mieux répondre aux défis de l’économie rurale, surtout à l’issue de cette phase exceptionnelle de sécheresse ?
Pour faire face à cette situation qui a duré plus de six années, la Comader, via notamment ses interprofessions, a scellé des contrats-programmes avec le gouvernement. Ces feuilles de routes ont été signées sur la base d’une période normale qui n’était pas marquée par une sécheresse intense, notamment de 2015 à 2020. À mon avis, il est essentiel de revoir nos projections et données qui sont en décalage avec la réalité par rapport à cette période inédite marquée par une succession d’années de sècheresse.

Il faut rappeler que cette période critique a été marquée par une série de problèmes. Citons, entre autres, l’arrachage et la mortalité des arbres ainsi que l’obsolescence et la disparition d’installations et d’équipements qui ont perdu leur fonction de départ.

Aujourd’hui, il est essentiel de faire le point sur les dégâts engendrés par cette longue période de sécheresse. J’espère aussi que notre secteur s’inscrira désormais dans un cycle normal pour qu’on puisse revenir à notre situation ordinaire tout en révisant nos objectifs. C’est pourquoi il faut se baser sur une nouvelle projection réelle pour les prochaines années et non pas sur la situation de 2020 marquée par le cumul d’une décennie d’investissements exceptionnels oscillant entre 110 et 120 MMDH dans l’agriculture (dont les deux tiers sont injectés par le privé).

De surcroît, il est essentiel de revoir ces investissements puisque les agriculteurs ont perdu beaucoup d’argent en raison de cette situation économique et financière très difficile. Ils ont été dans l’obligation de s’endetter, ce qui a grevé le rythme d’investissement parce qu’on sort d’une situation financière très délicate. De ce fait, il est primordial de reprendre les choses en main et de tracer de nouveaux objectifs. C’est sur quoi on est en train de travailler avec le ministère de tutelle afin de franchir un nouveau palier.

Les difficultés rencontrées par le secteur agricole ont impacté certaines filières plus que d’autres en milieu rural. Quel constat faites-vous au sujet du redressement de ces filières ?
Il est essentiel de mentionner que chaque culture à ses spécificités et c’est cette pluralité qui doit être prise en considération. En effet, les problèmes ne sont pas les mêmes pour toutes les filières agricoles touchées. En prenant l’exemple de celles qui s’étalent sur toute la saison, notamment les céréales, les légumineuses et les oléagineux, elles sont impactées par la problématique des précipitations et de l’irrigation d’autant plus que cette situation a perduré depuis plus de six années. Donc, les dégâts dépassent le facteur ponctuel d’une année, ce qui a causé un préjudice cumulé de plusieurs années sur le plan financier et économique.

Pour l’arboriculture, il y a des zones qui ont été vraiment touchées avec parfois des arbres desséchés qu’il faut arracher et remplacer. Or, les arbres replantés ne pourront arriver à la phase production qu’après au moins trois années. Le deuxième volet concerne les filières qui n’ont pas été touchées ni impactées par des contraintes d’irrigation, telles que les fruits rouges, les tomates sous serre…

D’ailleurs, c’est pour cela que les exportations continuent à se porter très bien, notamment l’avocatier, les fruits rouges, la tomate cerise et bien d’autres. Pour les filières animales, et spécialement la viande rouge et le lait, elles ont subi des dégâts énormes. Ceci a nécessité un effort important visant la reconstitution du cheptel. À noter que l’initiative Royale appelant à s’abstenir du sacrifice d’Aïd al-Adha est de nature à nous aider énormément à sortir de cette crise du cheptel, et ce, parallèlement aux meilleures conditions de pâturage et aux subventions mises en place. Ceci dit, la situation des éleveurs demeure très difficile.

À votre avis, quelles sont les mesures d’urgence à adopter pour arrêter l’hémorragie de l’emploi dans le secteur agricole ?
Compte tenu de la situation actuelle, il sera très difficile, dans un premier temps, de récupérer les emplois perdus surtout pour l’arboriculture. Dans ce contexte de reprise qu’on espère perdurer dans le temps, les dégâts seront, au moins, arrêtés. Le cas de l’arboriculture est parlant car avec l’arrachage, la mortalité et le dessèchement, le rythme de reprise sera long et difficile. Il nécessite un effort de replantation pour les agrumes, les oliviers, les amandiers et les vignes, par exemple. La replantation nécessite donc du temps et des investissements conséquents.

Dans un deuxième temps, la perte d’emplois en zones rurales entraine automatiquement un exode vers les grandes villes, ce qui grève le retour de cette population dans le monde rural et entraine une érosion de la main-d’œuvre en raison de ces changements climatiques. Ce phénomène est déjà ressenti dans des endroits où l’activité a repris. Quand on cherche des ouvriers, on ne les trouve plus. Et ça c’est pratiquement partout au Maroc en raison de cette perte de la main-d’œuvre rurale qui impacte le rythme de reprise.

Yassine Saber / Les Inspirations ÉCO



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