Management : les managers opérationnels face aux contrôleurs de gestion : entre contestation et adhésion
Le contrôle de gestion est apparu dans les années 20 dans les grandes entreprises industrielles américaines pour coordonner la décentralisation qui apparaissait nécessaire aux dirigeants afin de maintenir l’efficacité et le dynamisme de leurs entreprises.
R. N. Anthony fut le premier universitaire américain à avoir décrit et théorisé la pratique du contrôle de gestion telle qu’elle a été mise en œuvre pour la première fois chez General Motors au début des années 20, et telle qu’elle a été pratiquée dans de nombreux groupes américains, européens et internationaux entre 1920 et 1960.
En 1965, il définit le contrôle de gestion comme «le processus par lequel les managers obtiennent l’assurance que les ressources sont obtenues et utilisées de manière efficace et efficiente pour la réalisation des objectifs de l’organisation».
(1) Le contrôle de gestion est alors une fonction qui a pour mission de fixer les objectifs, de préparer les budgets, de mesurer les performances et de corriger les écarts. Des travaux de recherche (2) ont montré que, durant la première moitié du XXème siècle, les managers opérationnels considéraient le contrôle de gestion comme un instrument de surveillance des individus et de vérification du degré de respect de leurs obligations contractuelles.
Le contrôleur intervient a priori de l’action, en définissant la norme à laquelle l’agent est susceptible de s’astreindre et la récompense à laquelle elle est reliée. Il intervient également a posteriori de l’action pour mesurer la performance par rapport à la norme dans une logique de contrôle policier. Après la seconde guerre mondiale, la forte croissance des entreprises industrielles a révélé les limites de la capacité décisionnelle des dirigeants, et a fait apparaître une incertitude dans la prise de décision.
Cette évolution explique l’émergence d’une nouvelle approche selon laquelle le contrôle de gestion est considéré comme un système d’information, utilisé par les décideurs, qui collecte, traite et diffuse de l’information provenant de l’intérieur ou de l’extérieur de l’organisation. Le contrôleur est alors l’homme qui informe, conseille, facilite la gestion et non pas celui qui vérifie, inspecte et réprimande.
Les relations entre contrôleurs de gestion et managers opérationnels apparaissent alors claires : les premiers aident les seconds à effectuer leurs choix et à comprendre le fonctionnement du système de pilotage, ce qui nécessite une étroite collaboration entre eux et donc l’adhésion des managers opérationnels. D’ailleurs, R. N. Anthony avait proposé, en 1988, une autre définition, plus nuancée, selon laquelle le contrôle de gestion est «le processus par lequel les managers influencent d’autres membres de l’organisation pour appliquer les stratégies» (3). Anthony ne parle plus d’objectifs mais de stratégies et montre ainsi que le rôle fondamental des contrôleurs de gestion consiste à s’assurer de la mise en œuvre des stratégies définies. Il apparaît clairement que les contrôleurs de gestion doivent influencer les autres membres de l’organisation.
Cependant, malgré ces évolutions vers l’aide à la décision, la participation des managers opérationnels n’est pas évidente. L’image du contrôleur de gestion est souvent négative, ce dernier étant souvent considéré comme un «envoyé» de la direction. Craint et mal aimé, alors qu’il aspire à aider et à conseiller, il est souvent présenté comme inflexible, passif, non créatif, désagréable, sans humour. Ainsi, des contestations et des tensions sont apparues entre contrôleurs de gestion et managers opérationnels remettant en cause la participation de ces derniers au contrôle de gestion. C’est ainsi que des travaux de recherche sur les dimensions humaine (4) et relationnelle (5) de ce métier ont montré qu’il exige diverses qualités relationnelles telles que la communication, la capacité à convaincre, l’aptitude à travailler en groupe, l’écoute et le sens du contact… Une évolution notable est observée ultérieurement, se traduisant par un rapprochement et une coopération accrue entre contrôleur de gestion et manager opérationnel.
Le premier devient alors un animateur, un intégrateur, un partenaire d’affaires (partner business) qui consacre davantage de temps aux activités de conseil à l’intérieur de l’organisation afin d’aider le manager à produire et à utiliser les informations pertinentes nécessaires à la prise de décision. Un ouvrage récent de T. Chtioui (6) propose les fondements d’un modèle de mesure de la communication pour le contrôle de gestion afin d’aboutir à une meilleure analyse de la situation communicationnelle.
Cette recherche vise à mieux comprendre la communication dans le processus de contrôle de gestion. L’ouvrage apporte une première représentation modélisée fondée sur une démarche de recherche en trois étapes : une première phase empirique exploratoire à l’aide de la méthode Delphi, une deuxième phase empirique confirmatoire menée auprès de 390 managers et une phase descriptive/prescriptive qui permet de prolonger la réponse apportée à la problématique. Cette recherche a dégagé quatre «idéaux-type» dans les pratiques du contrôle de gestion : un contrôle de gestion communicationnel, un contrôle de gestion relationnel, un contrôle de gestion par commandement et un contrôle de gestion informationnel.
Par ailleurs, une recherche de M. Bollecker et P. Niglis (7) s’est intéressée à la possibilité de transposer les concepts du marketing relationnel au contrôle de gestion. Le marketing relationnel s’insère dans une vision à long terme entre le fournisseur et le client en s’intéressant au management de la relation dans son ensemble. La démarche du contrôleur de gestion peut s’inspirer du marketing : les managers sont les utilisateurs du contrôle de gestion et les produits à vendre sont les outils du contrôle de gestion.
Une étude empirique, menée auprès de 74 contrôleurs de gestion et 52 managers opérationnels, a montré l’existence d’une complémentarité entre le marketing relationnel et le contrôle de gestion à travers une grille de lecture basée sur les huit principes du marketing relationnel, à savoir l’orientation à long terme, la réciprocité, la fiabilité, l’échange d’informations, la flexibilité, la solidarité, la résolution de conflits et l’usage modéré du pouvoir. La dimension relationnelle peut donc s’appliquer aux différentes activités de contrôle de gestion telles que la conception de systèmes, le recueil d’informations, la planification, le reporting…
Ses auteurs soulignent en conclusion que l’apport managérial majeur de leur recherche concerne le recrutement des contrôleurs de gestion qui doivent posséder des compétences relationnelles et être capables de mettre en œuvre les principes du marketing relationnel. Il est important enfin de souligner que cette dimension relationnelle est largement mise en relief dans les différentes offres d’emploi concernant les postes de contrôleurs de gestion. Ces dernières présentent les missions du poste, le profil du candidat, ses compétences techniques et ses qualités…
Parmi lesquelles, on peut citer les capacités d’analyse, de synthèse et de communication, le sens de l’organisation, une grande rigueur, l’aisance rédactionnelle, l’esprit d’initiative, l’aisance relationnelle, l’aptitude à instaurer un climat de confiance… En conclusion, il apparaît clairement que les cursus et programmes concernant la formation des futurs contrôleurs de gestion doivent tenir compte de cette dimension relationnelle de la fonction en incluant davantage de modules liés aux compétences comportementales (soft skills) au côté des modules disciplinaires.
D’un autre point de vue, nous pouvons, sans opérer une scission entre modules comportementaux et disciplinaires, insérer les compétences comportementales au sein de tous les modules afin que les futurs contrôleurs de gestion puissent maîtriser les compétences techniques et les modalités nécessaires à leur mise en œuvre.