Transition verte : enjeux et défis de la mise en œuvre de la Stratégie nationale bas carbone

Par Hassan Agouzoul
Expert international en transition énergétique et directeur de SDG Action Strategy Center of Morocco
En plus de ses vulnérabilités climatiques, le Maroc fait face à de nouveaux enjeux et défis cruciaux durant cette nouvelle décennie, en particulier la nécessité de garantir sa souveraineté énergétique et industrielle, les implications de la transition numérique, l’intégration des normes environnementales, climatiques et sociales dans les règles du commerce mondial et dans les modes de production et les chaînes de valeur vertes mondiales.
Dans ce contexte, on observe la généralisation des nouvelles barrières tarifaires de carbone contraignantes en particulier le Mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, les normes de communication extrafinancière ESG, l’entrée en vigueur des deux directives européennes sur la diligence raisonnable en matière de durabilité des entreprises (CSDDD et CSRD), approuvées par le Conseil de l’Union européenne, l’émergence de nouvelles normes liées à la lutte contre la déforestation et à la circularité des ressources.
Ces mutations internationales sont accompagnées par une compétition accrue dans le domaine d’innovation dans les technologique vertes et notamment les batteries, les électrolyseurs, l’hydrigène vert, ou encore le dessalement.
Pour être au diapason de ces transitions simultanées, profondes et accélérées par les tensions géopolitiques, le
Maroc a soumis en décembre 2021, à la CCNUCC, sa première Stratégie nationale bas carbone (SNBC) qualitative pour un développement économique bas carbone à l’horizon 2050. Cette SNBC qualitative a permis de coconstruire – avec toutes les parties prenantes – une vision nationale commune et partagée pour converger vers l’objectif global de neutralité carbone d’ici 2050. Elle s’articule autour des quatre orientations stratégiques suivantes :
1.Accélérer le développement des énergies renouvelables en vue d’un mix électrique décarboné et généralisé à 96% d’ici 2050 et favoriser le développement de l’hydrogène vert pour décarboner l’industrie lourde et le fret routier.
2.Généraliser l’efficacité énergétique et l’efficacité dans l’utilisation des ressources naturelles dans tous les secteurs, et particulièrement dans l’industrie, le bâtiment et le transport, et stimuler les nouvelles filières de l’économie circulaire et de valorisation des déchets.
3.Développer l’agriculture et les écosystèmes forestiers durables, climato-intelligents et résilients ainsi que les puits de carbone.
4.Promouvoir une nouvelle génération de régions et de villes sobres et «intelligentes» en les dotant des plans de transport zéro émission et d’une logistique favorisant la multimodalité et intégrant les nouvelles technologies numériques.
En 2023, le gouvernement du Maroc a finalisé l’élaboration et la modélisation de sa SNBC quantitative plus robuste et opérationnelle qui illustre précisément, sur des bases scientifiques, les mesures techniques et technologiques, l’horizon temporaire, les trajectoires nationales et sectorielles de décarbonation de sept secteurs (électricité, industrie, transport, bâtiments, agriculture, forêts et déchets), ainsi que les jalons critiques et chiffrés à l’horizon 2030, 2040 et 2050.
La SNBC quantitative est alignée, d’une part, sur les objectifs de la CDN 2021 du Maroc et les objectifs internationaux de l’Accord de Paris et des résultats du Global stocktake (GST) de la COP28, et d’autre part, sur les objectifs nationaux issus de la nouvelle Stratégie nationale de développement durable (SNDD), des orientations du Nouveau modèle de développement (NMD) Maroc 2035, du Plan national stratégique d’adaptation (PNSA), du Plan national de dessalement de l’eau d’ici 2050, de la nouvelle offre Hydrogène vert du Maroc et des nouvelles politiques sectorielles.
La conception de la SNBC par le gouvernement était guidée par des drivers clés spécifiques aux priorités liées au développement économique et social du Maroc, et sa transformation sociétale et industrielle, à savoir :
• Garantir la souveraineté énergétique et réduire la facture énergétique nationale pour atténuer notre exposition aux chocs externes, à travers une valorisation optimale des ressources énergétiques nationales renouvelables, abondantes et compétitives.
• Développer une offre énergétique et électrique renouvelable compétitive et abordable pour toutes les catégories des opérateurs industriels et des ménages.
• Réduire de manière drastique l’empreinte carbone de l’électricité produite au Maroc pour faire face au Mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF) de l’Union européenne entré en vigueur en octobre 2023.
• Libérer le potentiel d’efficience énergétique et de développement de l’utilisation de l’hydrogène vert et de ses dérivés
• Faire de la transition bas carbone un levier stratégique d’adaptation et de résilience climatique face aux impératifs du stress hydrique, de la dégradation des terres et de la perte de la biodiversité, et ce à travers le renforcement du nexus «décarbonation-eau-solutions basées sur la nature-hydrogène vert».
• Assurer une transition bas carbone juste en sélectionnant des mesures de décarbonation, assurant leur acceptabilité économique et sociale, par les catégories sociales défavorisées.
Cette nouvelle stratégie nationale à long terme a permis une appropriation profonde par les parties prenantes clés de la nouvelle trajectoire nationale pour atteindre l’objectif de neutralité carbone émission d’ici 2050 et de sa feuille de route d’implémentation. Ce processus stratégique innovant contribuera au développement et à l’intégration de nouvelles chaînes de valeur industrielles vertes, à favoriser un positionnement proactif et stratégique à l’export ainsi qu’une compétitivité décarbonée et accrue du Maroc, en vue notamment de tirer profit des retombées du «Green Deal» et du MACF de l’Union européenne, de l’Inflation Reduction Act (IRA) des États-Unis et de la nouvelle Zone de libre-échange continentale de l’Union africaine (ZLECAF).
La SNBC du Maroc s’appuie sur environ 100 mesures opérationnelles de décarbonation profonde de son économie nationale et de ses territoires, couvrant sept secteurs clés : énergie, industrie, transport, bâtiment, agriculture, déchets/économie circulaire, forêt/biomasse. Elle évalue de manière optimale et approfondie les coûts directs de la réduction des émissions et les économies associées, et propose un tableau de bord des objectifs et indicateurs cibles de réduction des GES provenant de sources énergétiques et non-énergétiques par secteur pour chaque axe stratégique de la SNBC du Maroc d’ici 2030, 2040 et 2050. La SNBC quantitative du Royaume a été présentée par la ministre de la Transition énergétique et du Développement durable à la COP28 de Dubaï.
En 2024, le ministère de la Transition énergétique et du Développement durable (MTEDD) a co-développé, avec les ministères concernés ainsi que les fédérations sectorielles du secteur privé, sept plans sectoriels de décarbonation (PSD), pour ces sept secteurs clés. Ces plans sectoriels de décarbonation serviront de lignes directrices opérationnelles pour accompagner chaque ministère dans sa transition vers la décarbonation systémique de sa politique sectorielle.
Pour chaque secteur, le PSD dessine la vision et les objectifs chiffrés de sa décarbonation, à l’horizon 2030/2040 et 2050, dans le cadre du scénario neutralité carbone (Net Zéro) global du Maroc. Y figurent également les listes détaillées des mesures techniques de décarbonation prévues et les coûts des investissements y afférant estimés par décennie.
La réussite de l’implémentation de la SNBC nécessitera une coordination avec la nouvelle stratégie industrielle du Maroc, afin de maximiser les co-bénéfices attendus pour l’économie marocaine, mais également entre la stratégie nationale bas carbone et les politiques de financement, pour aider à financer les investissements requis dans le cadre de la transition.
D’ici 2050, la mise en œuvre des plans sectoriels de la SNBC Maroc devrait réduire considérablement les émissions de GES.
À titre indicatif, on peut citer les objectifs sectoriels clés suivants :
• Un mix électrique final décarboné à environ 96% en 2050 : avec 110 GW de nouvelles capacités renouvelables installées d’ici 2050.
• Des importations de combustibles réduites de 20% d’ici à 2030 et de 73% d’ici à 2050 par rapport au scenario de Référence.
•La sortie totale du charbon d’ici 2040 suite au déclassement de toutes les centrales électriques à charbon existantes
• Une baisse drastique du facteur d’émission moyen pour la production d’électricité de manière centralisée du réseau national dans le scénario neutralité carbone (Net Zéro) de 730 [gCO2e/kWh] à 16 [gCO2e/kWh], ce qui fera du Maroc une plateforme mondiale et régionale de référence des investissements décarbonés et compétitifs.
Les énergies éoliennes et solaires contribuent majoritairement à la capacité et au mix électrique. Le stockage est important dans le mix de capacité pour équilibrer la variabilité de l’énergie renouvelable (18,4 GW d’ici 2050= STEP + Batteries)
L’un des principaux avantages de la SNBC est qu’elle permettra de réduire de plus de 75% les importations de combustibles fossiles coûteux. Jusqu’en 2050, les économies de combustibles prévues dans le cadre de la SNBC varient entre 0,4 et 26,2 milliards de dollars par an. Les économies continuent d’augmenter après 2050 et atteignent près de 40 milliards de dollars par an en 2060.
Les segments blancs représentent les coûts évités dans la SNBC à l’horizon 2050 par rapport au scénario de Référence. Les coûts directs nets incluent les changements dans les coûts d’investissement, d’exploitation et de maintenance, de mise en œuvre des politiques, ainsi que des économies des carburants fossiles dues aux mesures d’atténuation de la SNBC. Les coûts négatifs représentent des économies nettes réels et prévisionnels.