Opinions

Polycliniques de la CNSS : où est le problème ?

Par Abdeslam Seddiki
économiste et ex-ministre de l’Emploi et des affaires sociales

Le ministre du Travail et de l’insertion professionnelle, suite à une correspondance de son collègue de l’Économie, des finances et de la réforme de l‘administration, a adressé récemment un courrier à la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS) lui demandant d’élaborer un cahier des charges pour sélectionner une banque conseil qui se chargera de l’étude de la situation de ses polycliniques, dans la perspective de l’externalisation de ces dernières. À cet effet, une commission ad hoc sera constituée pour assurer le suivi des travaux de ladite banque. Ce n’est pas la première fois que le désengagement de la CNSS de la gestion directe des 13 polycliniques qu’elle gère se pose. C’est un sujet qui a fait l’objet par le passé de délibérations et d’échanges au sein du conseil d’administration de la Caisse. Mais aucune solution alternative ne s’en est dégagée. Ceux qui plaident pour ce désengagement s’appuient sur l’article 44 de la loi 65-00, portant code de la couverture médicale de base qui stipule : «Il est interdit à un organisme gestionnaire d’un ou de plusieurs régimes d’assurance maladie obligatoire de base de cumuler la gestion de l’assurance maladie avec la gestion d’établissements assurant des prestations de diagnostic, de soins ou d’hospitalisation et/ou des établissements ayant pour objet la fourniture de médicaments, matériels, dispositifs et appareillages médicaux. Les organismes qui, à l’entrée en vigueur de la présente loi, disposent de l’un desdits établissements, doivent se conformer aux dispositions du premier alinéa ci-dessus, dans un délai de trois ans courant à compter de ladite date, soit en déléguant la gestion à un autre organisme, soit en optant pour un autre mode jugé approprié par les organes délibérants des organismes gestionnaires concernés, sous réserve du respect de la législation et de la réglementation en vigueur en matière de dispensation des soins. Les organismes gestionnaires de l’assurance maladie obligatoire de base peuvent, dans les conditions définies par une législation particulière, contribuer à l’action sanitaire de l’État en conformité avec la politique nationale de santé.» Cet article, bien qu’il mentionne, dans son premier alinéa l’interdiction du cumul entre la gestion de l’AMO et la gestion des établissements de soins, nous fournit dans l’alinéa suivant l’une des solutions à adopter. Il n’a été nulle part question de privatisation, comme d’aucuns veulent nous le faire croire derrière cette notion «d’externalisation». Tout au plus, il s’agira d’opter pour une «gestion déléguée» dont le contenu reste à préciser. Le même problème est posé pour les mutuelles, même si celles-ci ne gèrent pas directement l’assurance maladie.

L’article 44 caduc ?
Nous pensons, en toute objectivité, qu’il faudrait dépasser ces querelles juridiques pour poser le problème dans des termes nouveaux en tenant compte des évolutions qu’a connues le Maroc depuis l’adoption du Code de la couverture médicale de base en 2002. En effet, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts depuis lors, dont notamment l’adoption de la nouvelle Constitution 2011 qui a inscrit le droit à la santé et à la protection sociale parmi les droits humains fondamentaux. L’article 31 du texte fondamental est, on ne peut plus, clair. Cet article, avec d’autres dispositions constitutionnelles, rend ledit article 44 caduc. Ne faudrait-il pas, par conséquent, et en toute bonne logique, abroger cet article purement et simplement pour être en harmonie avec la Constitution ? La question mérite d’être débattue. Par ailleurs, il faut examiner cette problématique sous un angle politique et analyser la santé comme une priorité nationale et un bien public en dehors des critères marchands tout en veillant à l’efficacité du système. Ce qui n’exclut nullement d’introduire des aménagements et des réformes portant sur les modes de gestion de ces unités afin de les rendre plus compétitives et plus attractives, offrant ainsi de meilleures conditions de soins tout en minimisant les coûts. Dans cette optique, Il convient au contraire de capitaliser sur cette expérience des polycliniques qui diffère à la fois du secteur privé et de l’hôpital public par son originalité et la qualité des soins prodigués. Ainsi, le secteur privé est mû essentiellement par le profit et demeure inaccessible aux larges couches de la population avec une efficacité hypothétique. De son côté, l’hôpital public souffre de divers dysfonctionnements et manque de moyens à la fois financiers et humains. Les polycliniques CNSS, une fois mieux gérées et bien intégrées, offriraient un cadre intermédiaire, qui convient le mieux aux besoins des classes moyennes et des salariés. C’est pour cela que cette expérience mérite d’être étendue à l’ensemble des grandes villes du pays et enrichie, au besoin, par l’implantation d’unités mutualistes et de fondations médicales. En matière de santé, ce n’est pas l’équilibre financier qui doit primer en dernière instance, mais plutôt la bonne santé des citoyens qui passe par une offre de qualité au niveau de l’accueil, des soins et de suivi. La santé ne saurait être traitée comme une marchandise.

Ne pas oublier les priorités
Le Maroc se trouve dans une phase historique charnière qui devrait l’inciter à se concentrer sur les grandes questions et les vrais problèmes. La crise multidimensionnelle que nous vivons, dont personne ne peut entrevoir l’issue ni en mesurer toutes les conséquences, est de nature à nous pousser dans cette voie. C’est l’heure de réunir toutes les énergies du pays et d’éviter de se focaliser sur des faux problèmes et des batailles de seconde zone qui risqueraient de nous éloigner des priorités nationales, dont notamment la généralisation de la couverture sociale à l’horizon 2025. C’est dans ce cadre justement qu’il faut poser la problématique des polycliniques de la CNSS, des mutuelles et du rôle des différents acteurs et intervenants. Penser globalement et agir concrètement, tel est le cheminement méthodologique à suivre.


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