Opinions

L’annonce d’une cible d’inflation : une promesse de (main)tenir la promesse

Par Hassan Hachimi Alaoui
Professeur d’économie monétaire et directeur d’équipe de recherche

L’acceptabilité de la monnaie mise en circulation dépend essentiellement de la confiance qu’elle inspire et de la crédibilité de son émetteur. Un agent économique, quelque rationnel qu’il soit et qui accepte d’échanger ses biens en contrepartie d’un «bout de papier», agit ainsi car il présuppose que les membres de sa communauté sociale feraient de même. Il présuppose que l’échange de ces objets, quand bien même dépourvus de valeur intrinsèque, est une pratique usuelle, consensuelle et, surtout, irrévocable.

Cette confiance méthodique qui sous-tend l’acceptabilité de la monnaie devient, dès lors, le trait majeur du lien qui unit les membres d’un groupe social partageant le même espace, réel soit-il ou virtuel. Cette confiance horizontale se conjugue nécessairement à un lien de confiance verticale que nouent les détenteurs de la monnaie avec son émetteur.

Ce dernier étant tenu d’institutionnaliser ce lien, tout en veillant sur sa qualité et sa durabilité dans le temps. Le fait est que la Banque centrale, en tant que producteur de monnaie, devrait veiller sur la qualité de son produit. Or, en émettant de la monnaie «fiduciaire», le seul acte de production qu’on peut lui reconnaitre est la production de promesses de pouvoir d’achat.

Dans cet ordre d’idées, préserver la qualité de son produit s’apparente pour elle à défendre le pouvoir d’achat de la monnaie. Dit autrement, la raison d’être de la politique monétaire n’est autre que la stabilité des prix. Plus qu’une promesse, c’est un engagement explicite de la Banque centrale et une mission qui lui est dévolue par ses statuts. Ceci dit, une inflation persistante et galopante, à l’instar de celle qu’observent les Marocains aujourd’hui, non sans inquiétude, est susceptible de fragiliser ce lien de confiance qu’est la monnaie, tant dans son horizontalité que dans sa verticalité. Une inflation qui, de surcroît, semble s’inscrire dans la durée, en dépit du resserrement monétaire implémenté par Bank Al-Maghrib (BAM) via des hausses successives et conséquentes du taux directeur.

À ce titre, l’enquête menée par la BAM sur les anticipations d’inflation auprès des acteurs du secteur financier est révélatrice de son temps. Celle-ci, bien qu’elle soit restreinte à une catégorie d’agents économiques, renvoie à une hausse inédite des anticipations d’inflation. D’après les chiffres, il est un fait que le taux d’inflation anticipé à l’horizon de huit trimestres frôle les 5% au quatrième trimestre de l’année 2022. Ce que nous vivons donc est loin d’être une simple envolée des prix, bien que ce soit le mal quotidien du Marocain, mais une perte alarmante de repère à moyen terme, doublée d’un trouble du comportement de formation des anticipations.

À cet égard, le «désancrage» est le terme jargonnant servant à qualifier une telle situation. Sauf qu’au Maroc, il est difficile de parler d’un désancrage, puisque le préalable d’ancrage fait et continue de faire défaut. À aucun moment, rappelons-le, il n’a été question d’une valeur numérique du taux d’inflation ciblée à moyen terme par Bank Al-Maghrib.

Cette dernière agissant dans un régime de ciblage implicite et flexible de l’inflation, sans pour autant associer un quelconque chiffre au taux visé par la conduite de la politique monétaire. Or, et il y a lieu de le préciser, la transmission de politique monétaire est conditionnée par sa capacité à influencer les comportements de consommation, d’épargne et d’investissement. En principe, cette influence s’exerce indirectement via les mécanismes d’incitation que sont les taux d’intérêt et les conditions financières. Seulement, on tend à oublier que cette influence s’exerce également à travers une action directe sur la formation des anticipations. Laquelle est à même d’influer sur la formation des taux longs et des prix des actifs financiers, en l’occurrence les taux débiteurs, les taux obligataires et le taux de change qui, à leur tour, agissent sur la demande agrégée et, in fine, sur le niveau général des prix. En somme, la monnaie est une promesse de pouvoir d’achat et la politique monétaire consiste d’abord à réitérer cette promesse.

À cet effet, et compte tenu de la conjoncture actuelle, il est légitime de solliciter Bank Al-Maghrib d’annoncer une cible d’inflation à moyen terme et, surtout, de rendre cette annonce publique et officielle. Cette valeur cible, en plus d’être un engagement ferme de la Banque centrale vis-à-vis des agents économiques, servira de point d’ancrage aux anticipations d’inflation et réduira, de ce fait, la sensibilité de l’inflation aux chocs exogènes qui continuent de heurter l’économie nationale.


whatsapp Recevez les actualités économiques récentes sur votre WhatsApp

Évolution des prix des fruits et légumes à Casablanca



Rejoignez LesEco.ma et recevez nos newsletters



Bouton retour en haut de la page