Opinions

La situation du marché du travail au 2e trimestre 2021 : l’embellie tarde à venir

Par Abdeslam Seddiki
économiste et ex-ministre de l’Emploi et des affaires sociales

Les derniers chiffres, relatifs au marché du travail au 2e trimestre de l’année en cours, qui ont été publiés récemment par le HCP, sont loin de rassurer. À l’exception de l’agriculture et du BTP, qui ont connu une certaine dynamique, les autres activités ont du mal à retrouver leur niveau de 2019. Dans l’ensemble, on retrouve les mêmes caractéristiques du marché du travail, avec des taux d’activité et d’emploi insuffisants (notamment, concernant les femmes), une prédominance des travailleurs sans aucun diplôme (près de 50%), un chômage structurel qui frappe essentiellement les jeunes diplômés et la persistance, voire l’aggravation du phénomène de l’emploi non rémunéré. Ainsi, si le taux d’emploi a connu une légère hausse par rapport à la même période de 2020, passant de 39,3% à 40,2% au niveau national (soit +0,9 point), il faut reconnaitre que cette augmentation s’est produite surtout en milieu rural. En milieu urbain, par contre, nous assistons à un recul de 0,7 point (35,6% à 34,9%). Dans tous les cas, le taux d’emploi demeure inférieur au niveau enregistré avant la pandémie (42,1% au deuxième trimestre 2019). Par ailleurs, le volume de l’emploi a augmenté de 405.000 postes, résultant d’une création de 414.000 postes en milieu rural et d’une perte de 9.000 en milieu urbain, contre une perte de 589.000 au 2e trimestre 2020. On le voit, les nouvelles créations de postes d’emploi sont dues aux conditions climatiques favorables ayant donné lieu à une campagne agricole exceptionnelle, avec plus de 103 millions de quintaux, soit un record rarement atteint. Mais là encore, sur les 4O5.000 postes créés, à peine plus de la moitié (215.000) sont des emplois rémunérés. Le reste (190.000) constitue des emplois non rémunérés, sous forme d’aides familiales et autres. Une sorte de corvée qui ne dit pas son nom, en somme! La persistance de cette forme d’exploitation de la force de travail, constituée essentiellement de jeunes et d’enfants, est une manifestation du sous-développement de nos campagnes qui n’ont pas bénéficié, dans le cadre des politiques publiques, de la même attention que l’agriculture moderne capitaliste.
Concernant la répartition de la population active par secteur, on relève que, sur les 10.892.000 actifs occupés estimés au 2e trimestre 2021, le secteur des «services» en emploie 45,2%, suivi de «l’agriculture, forêt et pêche» avec 33,1%, «l’industrie y compris l’artisanat» avec 11,1% (dont 44% constituent des activités artisanales) et les «BTP» avec 10,5%. Dans l’ensemble, près de sept actifs occupés ruraux sur dix (70,7%) exercent dans «l’agriculture, forêt et pêche», et deux tiers des actifs occupés citadins (66,6%) travaillent dans le secteur des services. Ces données confirment notre remarque précédente, quant au caractère «difforme» du capitalisme marocain: un monde rural sous-équipé et un monde urbain dominé par les activités de survie. En effet, quand on voit deux tiers de la population active occupés dans les «services», il y a lieu de s’inquiéter sérieusement. L’industrie, censée être un moyen de développement de la société et de transformation des structures n’emploie, y compris avec l’artisanat, que 11% de la population active, soit à peine 1,2 millions de personnes. 677.000 travailleurs, seulement, exercent dans l’industrie, stricto sensu, si l’on se réfère aux données du HCP, qui demeure la source autorisée en la matière. Par conséquent, il ne sert à rien d’avancer des chiffres fantaisistes qui n’existent que dans l’imaginaire de leur auteur, et donner ainsi une image tronquée de la réalité. Or, la réalité est la suivante : entre le 2e trimestre 2020 et la même période de 2021, le secteur de «l’industrie y compris l’artisanat» a perdu 53.000 postes d’emploi, contre 69.000 l’année dernière avec, en parallèle, une création annuelle moyenne de 32.000 postes entre les deuxièmes trimestres des trois années antérieures à la pandémie. Les seuls secteurs, outre l’agriculture, qui ont créé des emplois, sont les services et le BTP. Ainsi, le secteur des «services» a créé 40.000 postes, contre une perte de 30.000 au cours de la même période de l’année dernière et une moyenne de 149.000 entre les deuxièmes trimestres des trois années pré-pandémie.

De son côté, le secteur des BTP a créé 108.000 postes, contre une perte de 9.000 au cours de la même période de l’année dernière et une perte annuelle moyenne de 27.000 postes entre les deuxièmes trimestres des trois années précédant la pandémie. Pour ce qui est du nombre de chômeurs, il a augmenté de 128.000 entre le 2e trimestre de l’année 2020 et celui de 2021, passant de 1.477.000 chômeurs à 1.605.000, ce qui correspond à une augmentation de 9%. Cette hausse est le résultat d’une réduction de 100.000 chômeurs en milieu rural et une augmentation de 228.000 en milieu urbain. S’y ajoutent les personnes en situation de sous-emploi, dont le nombre est proche de un million. Concernant le taux de chômage, il a maintenu sa tendance à la hausse, enregistrée au cours de la même période de l’année précédente. Il s’est ainsi accru de 0,5 point entre les deuxièmes trimestres 2020 et 2021, passant de 12,3% à 12,8% au niveau national, avec une forte aggravation enregistrée en milieu urbain, passant de 15,6% à 18,2%, et une baisse notable en milieu rural, de 7,2% à 4,8%. Par ailleurs, le taux de chômage s’est aggravé dans les rangs des diplômés, avec une hausse de 2,2 points, passant de 18,2% à 20,4% entre les deuxièmes trimestres 2020 et 2021. Ce sont les diplômés de niveau supérieur qui ont enregistré la hausse la plus importante (trois points), avec un taux passant de 22,3% à 25,3%. Le taux de chômage des diplômés de niveau moyen a, de son côté, augmenté de 1,8 point à 17,6%. En définitive, le problème de l’emploi demeure entièrement posé. Il ne pouvait, d’ailleurs, en être autrement tant que cette question ne bénéficie pas de l’intérêt qu’elle mérite dans l’élaboration et la mise en œuvre des politiques publiques. Pour contenir le problème du chômage, et créer suffisamment d’emplois décents, il faudrait, à la fois, des moyens et de la volonté. Or, dans le cas marocain, les deux conditions sont loin d’être réunies. Ainsi, les moyens affectés à l’emploi sont insignifiants, et les mesures incitatives sont distillées au compte-gouttes. Par ailleurs, le pays a besoin, en la matière, d’une volonté politique forte pour mettre l’emploi au centre des politiques publiques, et l’ériger en priorité des priorités.



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