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Intelligence artificielle : quel impact sur la gestion des ressources humaines ?

Par Mehdi Ketani
Avocat – Of Counsel DLA Piper, spécialiste du droit digital

Dans le paysage en constante évolution des ressources humaines, l’Intelligence artificielle (IA) émerge comme un outil potentiellement révolutionnaire. Bien que son utilisation ne soit pas encore pleinement généralisée, ses applications dans le domaine de la gestion des ressources humaines se développent rapidement, ce qui soulève de nombreux enjeux et défis juridiques.

Recrutement : anticipation des besoins et sélection des candidats
L’une des premières applications de l’IA en matière de gestion des RH a trait au recrutement. D’abord, l’IA peut être utilisée pour analyser les besoins des entreprises, en particulier dans les domaines de l’industrie ou du tourisme qui peuvent connaître des phénomènes de saisonnalité, et anticiper les besoins en main-d’œuvre à travers l’analyse des données historiques et les projections de développement du secteur d’activité de l’entreprise.

Ensuite, l’IA peut être appliquée à la sélection et à la formation des candidats. Elle peut être utilisée pour gérer le flux de candidatures et de CV entrants et présélectionner ceux qui peuvent intéresser la société. Ce type de présélection est permis par une analyse des données fournies par la société à l’IA ainsi que par l’analyse comparative par mots clés entre les CV et les offres d’emploi auxquelles ils correspondent.

A ce titre, il est important de souligner que cet exercice comporte des risques. L’IA peut reproduire les biais et les travers humains qui sont susceptibles (dans certain cas) de relever de la discrimination à l’embauche, que ce soit en raison du genre, de la race, ou de l’âge. Par exemple, si les données historiques fournies à l’IA indiquent que pour un poste donné, la société a recruté au cours des 20 dernières années des hommes à faible niveau d’éducation âgés de 25 à 35 ans, il est peu probable que la présélection laisse passer les femmes entre 35 et 45 ans avec un niveau Bac +5, même si ce type de profil peut être extrêmement intéressant pour le poste en question en raison de l’évolution de celui-ci par l’intégration de l’électronique et de l’informatique qui nécessitent un certain niveau d’éducation. À ce stade, l’intervention humaine peut s’avérer intéressante pour tempérer la rigueur de l’IA et apporter plus de nuance dans la sélection des candidats.

Entretiens d’embauche et formation
Par ailleurs, l’IA peut être intéressante pour la formation des candidats. Elle peut être utilisée pour les aider et les guider à postuler convenablement, ainsi qu’à préparer leurs entretiens.

L’IA est capable de mener les entretiens d’embauche. Elle peut s’avérer très utile et même plus performante que certains humains, et ce, en enchaînant les entretiens sans fatigue et sans pause.

Ensuite, elle est en mesure de détecter des éléments que l’œil humain ne peut voir, les analyser et les interpréter pour “juger” de la motivation ou de la compétence de la personne concernée. Par exemple, elle peut détecter les inflexions du ton de la voix, les hésitations ou le langage corporel, et aboutir à certaines conclusions et recommandations.

À ce titre, il faut être mesuré et précautionneux dans l’usage de l’IA. Dans ce contexte, elle a des limites. Elle n’est pas (pas encore !) capable de faire preuve d’empathie, d’agilité ou de discernement dans l’interaction avec le candidat pour, par exemple, le mettre à l’aise ou, au contraire, le challenger sur des points particuliers de sa personnalité ou de ses compétences.

D’un point de vue purement juridique, on se demande s’il faudra faire signer aux candidats une autorisation particulière pour que l’entretien soit mené par une machine au lieu d’un humain.

Génération et gestion de la documentation liée à l’emploi
L’IA sera de plus en plus utilisée pour la génération et la gestion de la documentation relative à la relation de travail. Il peut s’agir des contrats de travail, des autorisations de congé, des bons de sortie, etc. On peut imaginer que l’usage de l’IA, combinée avec la signature électronique, permettra un gain de temps massif. Des chatsbots conversationnels pourraient être mis en place pour répondre aux questions basiques des salariés.

Période d’essai et performance
Concernant la période d’essai, il arrive souvent que “l’intelligence humaine” soit défaillante et ne prévienne pas un salarié du renouvellement de sa période d’essai, ce qui le rend de facto “titulaire”, alors qu’il ne convient peut-être pas au poste pour lequel il a été recruté. L’IA peut être utilisée pour une gestion plus rigoureuse des périodes d’essai, non seulement en gérant les délais, mais aussi en générant les courriers relatifs au renouvellement de la période d’essai ou à la rupture du contrat de travail.

Pour ce qui est de la performance, l’IA peut être utilisée comme assistant des superviseurs afin de leur permettre d’assigner des objectifs à leurs salariés à travers l’analyse des données historiques et des tendances du marché. Bien entendu, l’intervention humaine doit être maintenue à ce stade pour vérifier que ce qu’a proposé l’IA est en adéquation avec les exigences juridiques en la matière. Ainsi, il faut que les objectifs soient précis, mesurables, atteignables, pertinents et limités dans le temps.

L’IA peut être également utilisée dans l’évaluation de la performance et la proposition d’actions correctives à travers l’élaboration de plans d’amélioration de la performance.   C’est ce que les anglo-saxons qualifient de Performance improvement plan (PIP). C’est une pratique très répandue dans les pays développés pour offrir une seconde chance aux salariés avant de décider de la suite à donner à leur engagement avec leur employeur.

Aide à la décision dans la qualification des fautes graves
L’IA peut être utilisée comme aide à la prise de décision pour la qualification d’un acte donnée en «faute grave» ou «faute non grave». Elle peut être alimentée par la data interne de la société sur l’historique des licenciements et des actions en justice y afférent (et les résultats de ces actions, perte ou gain du dossier) ainsi que par la jurisprudence disponible sur les plateformes publiques ou privées. On peut ainsi y avoir recours pour réaliser des prédictions sur les chances de gagner ou de perdre un dossier ainsi que sur l’opportunité de procéder à un licenciement ou de négocier un arrangement amiable.

En conclusion, bien que l’IA offre des opportunités considérables dans le domaine des ressources humaines, il est impératif d’aborder ces avancées avec prudence, en considérant leurs implications juridiques et éthiques. La collaboration entre les professionnels du droit, les responsables des ressources humaines et les développeurs d’IA est essentielle pour façonner un avenir où la technologie sert l’efficacité tout en respectant les droits et la dignité des individus.


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