Opinions

Attractivité des talents : lorsque l’on choisit la ville avant l’entreprise

Par Hicham Echattabi
Professeur à l’Université Sultan Moulaya Slimane, chercheur-spécialiste en marketing territorial.

Le talent, et non le capital, sera le facteur clé reliant l’innovation, la compétitivité et la croissance au XXIe siècle», mais aujourd’hui, avec la numérisation et la pandémie, beaucoup d’entreprises à l’échelle mondiale ressentent une insuffisance de main-d’œuvre qualifiée aggravée par trop de départs volontaires des salariés.

Entre 38 et 47 millions de démissions ont été enregistrées seulement aux États-Unis, et ce, durant la seule année 2021. Cette grande vague de démissions -The Big Quit- est expliquée essentiellement par la «Toxic Culture» (absence de promotion de la diversité, de l’équité et de l’inclusion, le sentiment de non-respect des travailleurs et les comportements contraires à l’éthique) ; l’insécurité de l’emploi et de réorganisations; l’absence de reconnaissance et de récompenses des performances.

Cette vague prend de l’ampleur dans l’UE de telle sorte que les démissions augmentent de 1,8 million de personnes par an, mais restent une vaguelette par rapport à celles aux États-Unis. Par ailleurs, la Commission européenne vient de lancer en avril dernier une série de propositions relatives aux «compétences et aux talents» afin de relever les défis démographiques et migratoires actuels de l’UE et de se préparer aux besoins futurs. En France, Microsoft décide de former 10.000 professionnels français en cybersécurité d’ici à 2025.

En outre, selon Manpower Group, trois entreprises sur quatre (75%) ont signalé des pénuries de talents et des difficultés de recrutement-un record depuis 16 ans. Le Maroc n’est pas en reste, le besoin en compétences dans certains secteurs a été ressenti depuis longtemps. 92% des entreprises notent la rareté des compétences en tête des menaces potentielles sur la croissance de leurs activités (IBB Executive Search). Les termes «combinaison rare de compétences rares», «déficit d’ancienneté organisationnelle», «besoin en hard-skills, soft-skills et life-skills», du côté des entreprises, et l’exigence du télétravail ou du travail hybride, les démissions volontaires, du côté des collaborateurs, sont devenus des mots ordinaires dans le marché de l’emploi au Maroc.

La dure réalité est que malgré l’abondance des diplômés, il y a une insuffisance de compétences qui peuvent répondre aux demandes actuelles du marché. Les systèmes éducatifs n’ont pas été structurés en fonction de l’employabilité des diplômés. Selon une étude d’Invest Stokholm, il existe un décalage entre ce que les universités enseignent et les compétences requises par les employeurs.

Attirer, développer et fidéliser les collaborateurs talentueux- généralement infidèles- est devenu un enjeu majeur pour les entreprises. Dès lors, se pose la question de la gestion d’attractivité des talents internationaux. De la fabrication au marketing, du transport au commerce, les employeurs ne trouvent pas les personnes dont ils ont besoin et qui possèdent la bonne combinaison de compétences techniques et de qualités humaines.

Ce qui est sûr, c’est que les plus talentueux du monde décident d’ores et déjà eux-mêmes avec qui ils vont travailler, comment ils vont travailler et sur quels projets ils veulent travailler. Il est important de noter qu’ils sont également de plus en plus sélectifs quant à l’endroit où ils veulent travailler. Certains métiers au Maroc, tels que les médecins, les ingénieurs, les professeurs universitaires, les cadres en général… fuient pour la plupart les villes excentrées.

Attractivité des talents: à la croisée d’attractivité organisationnelle et résidentielle
Aujourd’hui, les entreprises se trouvent obligées de bien réfléchir leur attractivité organisationnelle. Certes, les attributs organisationnels, tels que la rémunération, les conditions de travail, la promotion, les défis professionnels, le lieu de travail, la performance sociale… défendus par le marketing RH sont importants en matière d’attractivité organisationnelle, mais de nouvelles dimensions sont devenues déterminantes.

Parmi elles, citons la culture des lieux de travail, le télétravail, l’autonomie et le développement, la qualité de la relation avec le responsable hiérarchique, l’équilibre vie privée et vie professionnelle, etc. Les talents internationaux choisissent la ville, la région, voire le pays, avant l’organisation, soient deux tiers des individus les plus talentueux choisissent la ville avant de choisir l’entreprise ou le travail, et ce, malgré la numérisation de notre planète et l’hyper connectivité qui en résulte.

Beaucoup veulent travailler à proximité de l’endroit où ils vivent (Étude : Invest Stockholm). Selon Charles Landry, auteur du livre «Cities of Ambition», il y a quinze ans, 80% des gens déclaraient choisir l’entreprise avant la ville. Aujourd’hui, 64% choisissent la ville avant de choisir l’entreprise ou l’emploi. Dès lors, l’attractivité des talents n’est pas seulement l’apanage des facteurs d’attractivité organisationnelle, mais surtout elle s’appuie sur une offre RH globale intégrant quelques dimensions de l’offre territoriale qui fait de la ville un endroit agréable à vivre, c’est l’objectif de la stratégie d’attractivité résidentielle.

Vers une territoria-lisation de l’offre RH
Dans ce contexte, l’entreprise et le territoire doivent s’organiser et mutualiser leurs efforts pour faire venir une population «hautement qualifiée» et à «haute valeur ajoutée» pour l’entreprise et pour le territoire. Quoiqu’on fasse, une offre RH avec toutes ces variables n’arrive pas toujours à séduire les personnes qui disposent de compétences personnelles tout à fait originales.

D’autres facteurs influent sur le choix des talents des entreprises relevant des compétences des villes et des régions où les entreprises sont implantées. Le rôle de l’entreprise en matière d’attractivité des talents doit être appuyée par l’intervention du territoire pour co-construire les vrais leviers de l’attractivité des talents. Celle-ci dépend fortement des caractéristiques de la région en termes d’environnement économique, de qualité de vie et de culture régionale. L’entreprise est amenée à intégrer l’offre territoriale dans son offre RH ; elle doit la territorialiser.

Quant au territoire, il est temps qu’il s’organise pour attirer à l’international et fidéliser en local les talents par l’amélioration de son attractivité résidentielle afin que cela soit au service de l’attractivité organisationnelle des entreprises locales et celles souhaitant s’implanter.

Les villes doivent ré-enchanter leurs espaces publics, améliorer leur attractivité résidentielle par le recours au marketing territorial, au placemaking, à l’urbanisme tactique pour construire une offre territoriale urbaine capable de retenir les résidents et d’attirer des nouveaux dont ceux et celles disposant des compétences spécialisées qui n’apparaissent pas dans le référentiel habituel des compétences des DRH.

Marque employeur et marque territoire n’ont-elles pas intérêt à être rapprochées pour repenser l’attractivité des talents ?


Les personnes talentueuses du monde aimeraient que l’endroit où ils travaillent soit dans une région qui corresponde à ce qui leur tient à cœur. Ils préfèrent une ville dont l’environnement est agréable et fondé sur des valeurs auxquelles ils adhèrent. C’est pour cela que les entreprises désireuses d’attirer les talents doivent choisir les régions dotées d’une offre résidentielle attrayante ; et les territoires, eux aussi, doivent réfléchir à construire une offre territoriale différente, diversifiée, capable d’attirer les talents et – ou avant – les entreprises.

Le paradigme a profondément changé, le salarié est devenu un superbe client dont il faut répondre aux attentes en repensant sa fidélisation. Cette nouvelle approche de la relation salariés/entreprise considère les collaborateurs présents ou potentiels, comme des clients au sens le plus noble. Alors, pour le territoire, l’attraction des talents sera prochainement considérée comme plus importante que l’attractivité de projets pour sa réussite.

L’attractivité des talents doit être réfléchie collectivement, par les acteurs territoriaux et les chefs d’entreprises. Ce sera un véritable rapprochement entre le marketing RH et le marketing territorial, voire entre la marque employeur et la marque territoriale.



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