Maroc

Zineb Bennouna: “La monétisation de la démarche d’innovation est un enjeu fondamental”

Zineb Bennouna, Directrice adjointe de l’Innovation, du développement durable et de la communication à Lydec

Opérateur engagé en faveur du développement durable et de l’innovation, Lydec soutient l’écosystème de l’entrepreneuriat. En marge du forum africain «Africa 21», tenu le mois dernier, à Casablanca, sous le thème «L’Afrique au cœur des stratégies de sécurité et de résilience, à l’ère du 21e siècle», le distributeur de l’eau et de l’électricité dans la métropole a remis le prix «Africa 21 de l’Innovation» à Eagle AI, une start-up qui propose une solution basée sur l’intelligence artificielle pour contrôler la qualité des rejets des eaux usées prétraitées et la qualité des eaux de baignade. Pour Zineb Bennouna, directrice adjointe de l’innovation, du développement durable et de la communication à Lydec, «l’écosystème de l’innovation au Maroc est très dynamique et très prometteur et l’avenir du pays se dessine par le développement d’entreprises innovantes et engagées qui ajustent performance économique et impact environnemental, social et sociétal». 

Comment l’innovation peut-elle aider les entreprises au Maroc ?
Dans une économie en quête d’émergence, les entreprises se doivent d’apporter une contribution majeure. A ce titre, l’innovation est un levier d’accélération et un élément clé pour les entreprises qui cherchent à se développer et à créer de la valeur à long terme. Elle permet d’offrir des produits et des services différenciés, d’améliorer les processus de production, de répondre aux besoins changeants des consommateurs et de faire face à la concurrence. Je note également que la pandémie du Covid-19 a permis d’accélérer les usages numériques et de favoriser certaines formes d’innovation et d’entrepreneuriat. De nombreux exemples ont émergé : on voit des PME intégrer de nouvelles pratiques et outils numériques dans leurs opérations et des startups développer des solutions créatives ou axées sur l’innovation sociale.

De ce fait, la démarche d’innovation est aujourd’hui particulièrement adaptée pour affronter la nouvelle complexité du business et de notre environnement. Elle insuffle dans l’entreprise de nouveaux schémas de pensée et de faire. Elle permet de libérer la créativité, favorise la co-création et redonne le pouvoir à l’esprit d’entreprendre en dédramatisant l’échec. C’est aussi une source d’apprentissage et d’enrichissement. Pour moi, la mise en place d’une démarche d’innovation dans une entreprise sert à initier la transformation stratégique, organisationnelle et culturelle de l’entreprise à travers le changement de mindset et de paradigme chez le management et les collaborateurs.

D’ailleurs, une entreprise qui n’innove pas est amenée à disparaître. Je peux citer comme exemple Kodak qui a raté le virage du numérique malgré sa bonne volonté et la conscience du danger, en raison même du succès de son activité historique dominante (la pellicule argentine). Il y a aussi BlackBerry qui agonise car il n’a pas su négocier ni le virage du tactile, ni celui des applications mobiles. En somme, les avantages d’une démarche d’innovation ne s’évaluent pas uniquement en performance économique; Ils résident aussi en la formidable capacité d’ouverture et de synergie des compétences utiles à la transformation des organisations et des pratiques managériales associées. Tout cela me pousse à dire que l’innovation n’est plus une option. Elle constitue une brique indispensable du management moderne et un levier stratégique qui apporte de réels avantages pour les entreprises.

Quels sont les principaux défis à l’innovation par/pour nos entreprises ? Comment y faire face ?
L’adoption d’une démarche d’innovation représente un processus collectif, long et complexe, lié à l’apprentissage et susceptible de se heurter à de nombreux obstacles. Contrairement à ce qui se dit sur les obstacles d’une démarche d’innovation, le coût ou les barrières, dites économiques, ne sont pas, selon moi, les vraies difficultés d’un processus d’innovation. Les barrières internes telles que la résistance au changement, la culture de l’innovation, le manque de temps ou encore le manque de motivation ou l’absence d’une qualification, ainsi que la lourdeur administrative de la grande entreprise les devancent nettement. Cela va sans dire aujourd’hui, car l’innovation est sur toutes les lèvres et dans toutes les têtes, mais les retours d’expériences montrent qu’elle est beaucoup plus difficile à traduire dans les faits et dans la durée. Elle est souvent réduite à la portion congrue d’une bonne dose de communication et de ses inévitables programmes d’ouverture ou d’open innovation tels le hackathon, le bootcamp… Comme si tout se jouait sur ces deux points. Pour autant, si la professionnalisation de la démarche d’innovation commence à prendre forme, il reste du chemin à parcourir, notamment dans la prise de recul nécessaire à la pertinence de la mesure de son impact sur l’entreprise.

Au-delà des freins culturels qui subsistent, la question de la monétisation de la démarche d’innovation demeure donc un enjeu fondamental. Pour y faire face, j’estime qu’il est important de sensibiliser les entreprises aux avantages de l’innovation et d’acculturer les collaborateurs à l’importance d’innover. Il est alors essentiel de créer des programmes pour animer cette démarche, de donner aux collaborateurs les outils dont ils ont besoin pour innover et de les accompagner par des programmes d’incubation pour passer de l’idée à la solution innovante déployée sur le terrain. Parallèlement, et afin d’encourager les programmes d’open innovation et de co-construire avec les parties prenantes externes, les entreprises devraient allouer un budget dédié à l’open innovation conjugué à des procédures d’achat simples et allégés. Ayant dit cela, les barrières ne doivent donc pas être interprétées comme des facteurs qui stoppent l’innovation, mais comme de possibles stimulants managériaux.

Comment encourager les entreprises et faciliter leur démarche d’innovation ?
Pour réussir une démarche d’innovation au sein d’une entreprise, il est nécessaire de penser et d’agir sur trois niveaux : stratégique, gouvernance et opérationnel (acculturation et accompagnement des collaborateurs). Une démarche d’innovation suscite, en effet, l’enthousiasme et l’émulation de toute part. Le défi consiste à mettre en place l’organisation qui facilite le travail en équipe, décuplant ainsi la cohésion tout en canalisant les énergies pour éviter un foisonnement trop intense qui, à terme, n’est pas productif.

A mon sens, il n’y a pas de méthode unique, chaque entreprise doit s’organiser à l’aide de référentiels pour trouver son fonctionnement idoine. Des plateformes destinées à la collecte des idées et des lieux dédiés en dehors ou au sein même de l’entreprise, comme les espaces collaboratifs d’innovation, les fabs labs, les incubateurs ou les open labs, constituent la base de toute démarche.

En parallèle, le responsable de la démarche d’innovation a un rôle clé dans l’accompagnement et le développement des compétences des collaborateurs. Il initie et orchestre les opérations d’animation et de production d’idées et tisse le réseau de valeur entre l’entreprise et son environnement. L’enjeu est de créer avec agilité des communautés de compétences utiles et de manier avec aisance et confort la palette d’outils d’aujourd’hui : techniques de créativité, approche de design thinking, hackathon… Une démarche d’innovation réussie se caractérise aussi par l’implication et la cohésion du management qui doit assurer un sponsorship fort, efficace et à haut niveau, tout au long de la démarche. Que faut-il faire ? Il faut identifier des managers et constituer des équipes pluridisciplinaires d’intelligence collective en favorisant la diversité des profils et des métiers. Il s’agit aussi de faire opérer la magie de la co-création et de la créativité en laissant les équipes en interne et les parties prenantes, membres de l’écosystème, produire plusieurs idées et initier les solutions tout en autorisant le droit à l’erreur, le tâtonnement et la copie imparfaite. Ce type d’initiatives permet de créer un nouvel esprit, proactif et plus agile au sein de l’entreprise. L’innovation devient un enjeu vécu collectivement. Autre élément et pas des moindres, l’aspect reconnaissance et valorisation. Ces dispositifs sont considérés comme de principaux leviers d’engagement des salariés, pour plus de motivation et de productivité.

A quoi ressemble la démarche d’innovation d’une entreprise ? Pouvez-vous nous parler du cas de Lydec ?
L’innovation d’une entreprise implique la mise en œuvre d’un processus qui comprend normalement la recherche de nouvelles solutions et de meilleurs moyens pour améliorer ses produits et services. En général, ce processus commence par l’identification des enjeux ou des problèmes à résoudre, puis se concentre sur l’amélioration des solutions existantes (c’est ce qu’on appelle l’innovation incrémentale) ou la proposition de nouvelles solutions disruptives (c’est l’innovation de rupture) en utilisant parfois l’innovation frugale. Ce travail peut inclure la recherche des techniques et technologies les plus récentes, la conception, le prototypage, le développement et le test des produits et services ainsi que leur mise en œuvre. C’est dans ce sens, et dans le cadre de son projet d’entreprise

«Synergies 2025», que Lydec a placé l’innovation au cœur de sa raison d’être et l’a érigée parmi ses principales valeurs, avec comme finalité d’innover en permanence pour satisfaire les attentes de ses parties prenantes et accompagner le développement de son territoire d’ancrage.

À Lydec, nous disposons aujourd’hui d’une démarche intégrée (intra et open innovation) qui implique les collaborateurs et les parties prenantes de l’écosystème de l’innovation et de l’entrepreneuriat sous forme d’un processus à cinq sprints, à savoir l’inspiration, l’idéation, l’accompagnement ou l’incubation, le prototypage et enfin l’implémentation. La démarche intra-innovation a pour objectif de favoriser l’émergence d’initiatives innovantes en interne, de veiller à leur mise en œuvre et de valoriser les porteurs de projet.

Pour la développer, nous mettons en place plusieurs programmes pour accompagner nos collaborateurs à innover. Il s’agit, à titre d’exemples, de notre communauté des coachs innovation, des ateliers de design thinking que nous organisons, des programmes d’incubation, des études d’impact des projets innovants et des évènements que nous tenons annuellement comme l’innovation weeks, les trophées innovation Lydec… La dernière édition des trophées innovation, que nous avons organisée l’année dernière, a permis de sélectionner trois idées et 16 projets innovants initiés par nos collaborateurs.

Parmi ces projets, je tiens à citer l’agitateur avec dispositif anti-filasse. Cet outil a été conçu et réalisé par les équipes de Lydec. Il est installé dans les bâches des stations d’assainissement liquide et permet le déchiquetage des filasses et la mise en suspension des déchets charriés par les effluents sans se colmater, ce qui facilite le transfert des effluents par les pompes. Il y a aussi un autre projet aussi intéressant : le safe lifter. C’est un dispositif conçu par les équipes d’hydrocurage, pour mécaniser la manutention des dispositifs de fermetures des ouvrages d’assainissement (les trappes, les tampons et les appareils siphoïdes). Cette mécanisation est assurée par le pouvoir tracteur du flexible du camion hydrocureur. Aussi et dans le cadre de notre démarche open innovation, nous avons mis en place plusieurs partenariats avec des acteurs de l’écosystème d’innovation marocain, afin de définir et de mettre en œuvre des solutions novatrices et pérennes autour des enjeux de l’entreprise. Je peux citer parmi les partenariats :

• La Fondation MAScIR sur la réalisation d’une étude basée sur la détection automatique des panneaux solaires photovoltaïques PV par l’imagerie satellite et l’intelligence artificielle,

• Le programme «Qui va investir dans mon projet ?», premier programme de téléréalité marocaine qui encourage la jeunesse marocaine à l’entrepreneuriat et à l’innovation ;

• Le partenariat avec Tibu Africa avec un programme qui permet de promouvoir l’employabilité des jeunes casablancais issus des quartiers défavorisés.

• Le partenariat avec AIOX Labs, dont l’objectif est le développement d’un outil de forecasting des taux de chutes des impayés en se basant sur les algorithmes de machine learning qui permettent de maximiser le pouvoir prédictif et de minimiser les erreurs… De ce fait, devant l’exigence des consommateurs, les entreprises doivent absolument développer une culture de l’innovation et de la collaboration. À titre d’illustration, les champions de l’expérience client sont ceux qui ont fait de l’innovation une démarche stratégique et transversale pour toute l’entreprise. Mais, le recul est nécessaire pour dicter les priorités, conduire les transformations dans toutes les fonctions, apporter plus de transversalité et d’agilité et trouver les profils capables d’absorber et de bien utiliser les innovations.

De façon générale, quel regard portez-vous sur l’écosystème de l’innovation au Maroc ?
L’innovation a une place importante au Maroc à travers les initiatives et les programmes nationaux qui encouragent les jeunes entrepreneurs à expérimenter de nouvelles idées et à promouvoir une culture de l’innovation. Je pense que l’innovation représente un potentiel considérable et une opportunité pour le Maroc de renforcer son intégration à l’économie mondiale. Le Royaume dispose d’un certain nombre de ressources et d’avantages qui peuvent constituer un atout concurrentiel unique.

De plus, l’engagement du gouvernement en faveur de l’innovation et de la modernisation des secteurs économiques est encourageant. Selon le GII* (Global Innovation Index 2022), le Maroc est classé 67e sur 132 pays et a amélioré ainsi son classement de 10 places en 2022 par rapport à 2021. L’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) précise que le Maroc a enregistré environ 9.500 demandes de brevets et 7.000 demandes de marques entre 2011 et 2020. Selon l’Agence marocaine de développement des investissements (AMDI), le nombre de startups technologiques a plus que doublé entre 2016 et 2022.

De plus en plus de startups se lancent et bénéficient d’un soutien et d’un accompagnement pour leurs projets à travers, notamment, des structures d’incubation et d’accélération labellisés qui encouragent les jeunes professionnels, par de la formation, à acquérir les compétences nécessaires pour innover et développer des projets novateurs. Ce sont là quelques indicateurs macros qui confirment l’engagement du gouvernement en faveur de l’innovation. Je pense que l’écosystème de l’innovation au Maroc est très dynamique et très prometteur. Il y a beaucoup de programmes et d’initiatives visant à favoriser une culture de l’innovation et à donner aux jeunes entrepreneurs du Royaume la possibilité d’explorer leurs idées qui se développent avec la mise en place d’incitations financières et des subventions pour soutenir de nouveaux projets et entreprises innovantes. L’innovation n’est pas un effet de mode, mais une tendance importante en matière de gestion et de création de valeur. Les entreprises innovantes sont capables de transformer leurs produits et services pour répondre aux besoins de leurs clients et de tirer parti des opportunités et des menaces que présente l’environnement économique mondial. Je reste convaincue que l’avenir de notre pays se dessine par le développement d’entreprises innovantes et engagées qui ajustent performance économique et impact environnemental, social et sociétal.

Biographie de Zineb Bennouna

Diplômée en marketing et ventes de l’Institut Supérieur de Commerce et d’Administration des Entreprises (ISCAE) de Casablanca, Zineb Bennouna est titulaire d’un Mastère spécialisé en marketing et communication de l’ISCAE et d’un Mastère en leadership et projets innovants de l’Ecole Centrale Supelec et est certifiée formatrice en «Créativité et design thinking». Bennouna a débuté sa carrière dans les études de marché en tant que consultante chargée des études quantitatives et qualitatives dans différents secteurs d’activité (industrie automobile, agro-alimentaire, grande consommation, banques…) où elle a acquis une expérience notable en termes d’analyse et de connaissance client. Elle a, par la suite, occupé des fonctions de responsabilité en marketing stratégique et opérationnel au sein de Lydec, en charge de la distribution d’eau et d’électricité, la collecte des eaux usées et pluviales et l’éclairage public dans le Grand Casablanca. En 2013, Zineb Bennouna a mis en place la stratégie globale de l’innovation du groupe comme levier d’accompagnement de la transformation de l’entreprise, l’a développé et déployé auprès des 3.200 collaborateurs. Aujourd’hui, Bennouna est directrice adjointe de l’Innovation, du développement durable et de la communication au sein de Lydec où elle gère les trois activités en collaboration avec les autres parties prenantes. Engagée dans l’écosystème d’Innovation et d’entrepreneuriat, Zineb intervient, par ailleurs, dans différents panels sur l’innovation et l’entrepreneuriat pour un partage d’expériences et du give back sur la mise en place de la démarche innovation au sein de Lydec. Passionnée par le design thinking, l’entrepreneuriat et l’intelligence collective, elle anime également le module «Innovation et créativité» des mastères spécialisés de certaines grandes universités. Bennouna accompagne aussi des startups, des jeunes pouces, jeunes lycéens et universitaires dans le cadre de programmes d’incubation et de mentorat. Elle est membre active de l’association We4She, l’association des femmes dirigeantes qui milite pour l’empowerment des Marocaines et membre aussi de l’association Mentor’Elles, l’association qui accompagne les femmes dans l’accomplissement de leurs parcours professionnels.

Sami Nemli / Les Inspirations ÉCO

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