Management communal : Comment Rabat casse les vases clos

En installant la coordination entre les divisions, le Conseil de la ville a pu gagner des affaires en justice. Grâce à des procédures simples, des problématiques comme les chutes de lotissement ainsi que l’exécution des projets ont été résolues ou sont en train de l’être.
La gestion communale doit aujourd’hui faire l’objet d’un débat national à l’image de la réforme de la justice, des retraites ou encore de la compensation car l’impact que le management territorial peut avoir sur les finances locales est immense. Les collectivités locales perdent beaucoup d’argent par manque de vision managériale claire ainsi que de moyens de la rendre effective. L’exemple du Conseil de la ville de Rabat, et il n’est pas le seul dans cette configuration, est assez éloquent. Certaines réalités qui ressortent en creusant dans les insuffisances managériales ayant marqué l’ancienne législature laissent pantois. Durant le précédent mandat, une seule mission d’audit a été menée. Quant à la coordination entre les chefs de divisions autour des sujets transversaux, elle n’existait tout simplement pas. «Les responsables des différents services de la commune de Rabat ne se connaissaient même pas entre-eux», lance Lahcen El Omrani pour montrer à quel point les composantes de la commune travaillaient en vases clos. Au contact avec cet état de fait, la nouvelle équipe, affirme le premier vice-président du Conseil de la ville de Rabat, a commencé par mettre en place un Comité de suivi et de coordination, dont l’utilité contestée au départ a fini par être adoptée par tous car jamais un dossier ne relève d’une seule division. Il y a toujours des ramifications à prendre en compte afin de mettre à contribution l’ensemble des parties prenantes au sein de la structure communale.
Comment renverser la vapeur
Prenons un dossier concret, celui des affaires en justice que la commune de Rabat perdait quasiment toutes parce que la division du contentieux faisait pratiquement cavalier seul, omettant de faire interagir les autres divisions pour faciliter l’accès à l’information et partant mieux se défendre devant les tribunaux, les jugements exécutoires à l’encontre de la commune ont totalisé 107 MDH. C’est de quoi construire 20 centres sociaux de proximité, 10 kilomètres de routes ou encore 40 terrains de proximité. C’est aussi l’équivalent de trois mois de salaires des 4.600 fonctionnaires que compte le Conseil de la ville ou 50% de ses recettes propres. L’absence de procédures claires pour bien se défendre devant les tribunaux faisait donc perdre des budgets conséquents à la commune, qui auraient dû être investis dans des projets structurants. Si l’on en croit les affirmations d’El Omrani, la situation a été renversée dès l’arrivée de l’actuelle équipe dirigeante du Conseil de la ville. «À j-2 d’un jugement de 82 MDH à l’encontre du Conseil de la ville, nous avons pu constituer une expertise en mettant toutes les divisions à contribution. Nous avons finalement eu gain de cause», nous a-t-il confié. Par de simples démarches managériales, la ville a évité de débourser une somme énorme alors qu’elle était du bon côté de la loi.
Chutes de lotissements, la formule de Rabat
Autre exemple non moins intéressant: la loi sur l’urbanisme stipule que les chutes de lotissements, terme qui englobe les espaces verts, les rues et les avenues, sont propriété de la commune. Toutefois, peu nombreuses sont les communes qui effectuent les formalités de transfert des chutes de lotissements pour les faire passer de la propriété du lotisseur à celle de la commune. C’est une procédure qui ne coûte rien, mais dont l’omission peut générer des difficultés insurmontables pour la commune si elle n’est pas faite à temps. Ce dossier n’a jamais été convenablement traité par le Conseil de la ville de Rabat, mais il trône aujourd’hui en tête des priorités de l’équipe dirigeante. Une mesure simple, encore une, qui consiste à faire signer au lotisseur un document de cessation au moment de la réception provisoire. Ce précieux document sert de faire valoir au niveau de la Conservation foncière pour toute intervention de la commune dans les chutes de lotissements. Selon notre source, 102 lotissements à Rabat font aujourdhui l’objet de procédures de régularisation dont une vingtaine est déjà accomplie.
Clôturer un marché, de la science-fiction !
Que faut-il alors faire pour améliorer la gestion communale des projets et des investissements ? Pour El Omrani, il existe trois pistes d’amélioration. Primo, professionnaliser la préparation des appels d’offres car l’on assiste à une vraie carence en technicité et en capacité des élus locaux à formuler de manière précise les termes des dossiers de consultation d’entreprise (DCE) et les CPS. Souvent, les CPS sont trop généraux permettant aux adjudicataires de profiter du flou. Il en résulte des marchés mal exécutés et un service rendu au citoyen de basse qualité. Secundo, la lenteur et le «je m’en foutisme» lorsqu’il s’agit d’exécution des marchés : dépassement des délais de livraison et absence des PV de réception provisoire nuisent à la qualité des projets lancés et posent un vrai problème de gouvernance. Tertio, la clôture des marchés selon les normes relève, selon El Omari, de la science-fiction. Rien que pour la ville de Rabat, 89 marchés ne sont pas clôturés dont certains datent des années 1980. C’est de l’argent immobilisé et un manque à gagner énorme pour la commune. Le phénomène existe un peu partout au Maroc. À Casablanca, le problème de clôture des marchés pèse plusieurs centaines de millions de dirhams.
À quand des élus managers ?
Que faut-il alors faire pour améliorer le management communal ? D’abord, il faut que les présidents des conseils de villes mettent en place des procédures de gestion claires. De cette manière, la loi passera avant tout autre considération et les responsables communaux sauront quoi faire dans des situations où la commune est face à des challenges traditionnels ou nouveaux. Ensuite, il faut responsabiliser le personnel communal et sévir en cas de non respect des engagements et des procédures. Enfin, ce n’est plus un luxe, les élus locaux doivent avoir un minimum de culture managériale. Leur ignorance est la porte ouverte à tous les abus.