École marocaine : Zéro pointé pour l’éducation aux valeurs
Bon nombre de dysfonctionnements sont relevés en matière d’éducation aux valeurs. L’école marocaine qui a visiblement échoué dans cette mission est appelée à relever plusieurs défis. Le rapport du Conseil supérieur de l’éducation, de la formation et de la recherche scientifique est accablant. Le point sur les enjeux relevés par le document ainsi que les recommandations…
L’école marocaine ne parvient pas à transmettre, comme il se doit, les valeurs alors qu’il s’agit de l’un des éléments structurants de ses missions. Soulevé dans plusieurs débats au cours des dernières années, ce constat a désormais un caractère officiel car il émane du Conseil supérieur de l’éducation, de la formation et de la recherche scientifique qui vient de rendre public un rapport sur l’éducation aux valeurs dans le système éducatif.
Le document s’avère de la plus haute importance dans un contexte marqué par une vive polémique sur le contenu véhiculé par certains manuels scolaires et sur les missions du système éducatif. Il permettra de cadrer le débat public sur une question cruciale en se basant sur des constats objectifs.
Le rapport dresse l’état des lieux de l’éducation aux valeurs, soulève les défis et propose plusieurs recommandations pour rectifier le tir car les mesures prises dans ce domaine demeurent lacunaires. De grands efforts restent à déployer pour changer la situation actuelle.
En effet, on assiste à une déliquescence des valeurs aussi bien au sein de l’école que de la société, comme le souligne Abdejelil Lahjomri, président de la Commission des curricula, des programmes, des formations et des outils didactiques au Conseil supérieur de l’éducation. «L’éducation aux valeurs a été pratiquement négligée. On s’est focalisé sur la transmission du savoir et des connaissances, mais sans valeurs, on ne peut pas transmettre les connaissances», souligne-t-il aux Inspirations ÉCO. En dépit des acquis enregistrés par le système éducatif en matière d’éducation aux valeurs, le rapport énumère plusieurs difficultés et dysfonctionnements qui persistent encore avec à leur tête un manque de coordination d’ensemble et une capitalisation limitée des acquis des nombreux programmes dédiés à cette question. Les documents et contenus de référence sont insuffisamment actualisés pour accompagner les évolutions législatives, institutionnelles et cognitives en cours dans le pays ou au niveau international. Des écarts sont enregistrés entre les objectifs du curriculum scolaire et la réalité des pratiques pédagogiques. Le conseil relève aussi l’incompatibilité et la faible cohérence des valeurs autour desquelles s’articulent les matières scolaires ainsi qu’une faible capacité des méthodes pédagogiques à réaliser les objectifs prescrits.
À cela, s’ajoute un point on ne peut plus crucial : la rareté des partenariats entre l’école et son environnement en ce qui concerne les programmes et activités ayant trait à l’éducation aux valeurs. En somme, l’éducation aux valeurs ne se traduit pas concrètement en comportements. Le Conseil tire la sonnette d’alarme. Plusieurs paradoxes sont relevés: Un écart croissant est constaté entre le discours relatif aux valeurs, aux droits et aux devoirs, d’une part et les pratiques au quotidien, d’autre part. En témoignent la violence au sein des établissements scolaires ainsi que l’aggravation des comportements contraires aux valeurs. Le manque d’évaluation et de suivi des grands programmes institutionnels lancés en matière d’éducation aux valeurs induit, selon le rapport, un affaiblissement des processus de réforme et une déperdition de l’effort.
En ce qui concerne les acteurs éducatifs, une grande mission leur incombe alors que leur formation initiale et continue en la matière s’avère insuffisante. Ainsi, il faut dispenser une formation de qualité à tous les acteurs éducatifs. Les enjeux sont de taille. Le système éducatif marocain est-il capable de contribuer de manière effective au développement et à la mise à niveau du capital humain en matière de renforcement des compétences et aptitudes comportementales relatives à l’éducation aux valeurs ? La question se pose avec acuité face à l’ampleur des défis.
Le système éducatif est appelé à développer un modèle de référence pour l’éducation aux valeurs et à œuvrer pour le développement de partenariats institutionnels avec l’environnement. L’atteinte des objectifs escomptés n’est pas une mission facile d’autant plus que l’école n’est que le reflet de ce qui se passe dans la société. Plusieurs préalables sont nécessaires pour relever tous les défis à commencer par la nécessité de préciser clairement la nature des valeurs qu’on tend à ancrer au sein de la société (valeurs religieuses, droits de l’Homme, modernisme ) d’autant plus que la société marocaine ne parle pas de la même voix. À cet égard, le Conseil recommande la mise en place d’un programme national et régional de mise en œuvre des propositions du rapport en associant les acteurs pédagogiques y compris les familles dans son élaboration. Une charte éducative nationale et contractuelle sur l’éducation aux valeurs est à élaborer pour définir les valeurs communes, les objectifs et les finalités de l’éducation aux valeurs ainsi que les engagements de l’école et de ses partenaires. Elle doit servir de référentiel pour la mise en adéquation des curricula, programmes scolaires et formations universitaires, la formation des acteurs, la préparation du projet d’établissement…Il faut aussi, selon le conseil, élaborer un cadre référentiel général du système de valeurs ciblées en s’appuyant sur les principaux référentiels, contractuels et législatifs du Maroc, notamment la Constitution.
Le cadre de référence devra inclure les valeurs religieuses et nationales, les valeurs de la citoyenneté locale et mondiale, la préservation de l’environnement, le développement durable et les valeurs de l’école. La diversification des approches de mise en œuvre des recommandations s’impose (approches préventives et prospectives). Il est aussi recommandé de renforcer la veille et le suivi en créant des observatoires régionaux y compris dans l’enseignement supérieur et la formation professionnelle.