Culture

Rencontre : “Nous sommes pris par une forme de désir que la colonisation a mis en nous”

Asma Abbas
Initiatrice de l’exposition collective «Anticolonial Maps for Lost Lovers»

L’exposition collective «Anticolonial Maps for Lost Lovers» se tient à l’American Arts Center de Casablanca, pendant deux mois, à partir du 18 janvier. Les curatrices en sont Renata Summo O’Connell et Ibtissam Ghazaoui. L’inspiratrice et responsable du projet, Asma Abbas, a bien voulu répondre aux questions des Inspirations ÉCO.

Vous enseignez à l’université Al Akhawayn d’Ifrane ?
J’y suis la doyenne de l’École des arts et des sciences sociales. Mon établissement principal est le Bard College, à New York, aux États-Unis. J’ai également travaillé au Pakistan, dans une école d’art : l’Indus Valley School of Art and Architecture. J’en ai été la doyenne pendant quelques années, avant la pandémie.

J’y étais allée juste après avoir été en Europe de l’Est, dans le cadre d’une bourse Fulbright. Une grande partie de mon travail consiste, partout où j’enseigne, à créer une communauté.

Que vous soyez artiste, théoricien, philosophe ou praticien, la chose qui nous rassemble est une sensibilité fondamentale. Il ne s’agit pas nécessairement de penser aux gouvernements, à la politique performative ou à l’action en soi, mais plutôt de reconnaître nos façons de savoir et d’être liés les uns aux autres. Je pense que c’est le principe de la communauté d’apprentissage et que ces choses se rejoignent.

Beaucoup d’artistes exposés sont originaires du sous-continent indien…
Cela s’est produit juste après mon séjour au Pakistan. De retour aux États-Unis, j’ai recommencé à travailler sur mon propre projet de livre intitulé «Anti-Odysseus», qui tente de comprendre comment l’État moderne a défini le concept de foyer. Je pense que cette situation transforme la manière naturelle dont les êtres humains se déplacent dans le monde, depuis la fin de la Première Guerre mondiale.

J’ai obtenu une bourse pour trouver des illustrateurs qui m’aideraient à visualiser les espaces auxquels je pensais, comment le temps lui-même devient un lieu. C’est un sujet sur lequel je travaille depuis longtemps. Lorsque j’ai lancé un appel aux personnes qui souhaiteraient m’aider à participer à ce travail, la plupart des personnes que je connaissais étaient pakistanaises, palestiniennes ou arméniennes. Il s’est avéré que la communauté qui en est issue était composée de personnes qui se posaient cette question à leurs manières.

Pouvez-vous préciser cette question ?
Comment pouvons-nous cartographier les façons dont nous connaissons, les façons dont nous nous déplaçons, d’une manière qui ne soit pas définie par les relations coloniales ? J’ai longtemps pensé que nous sommes pris par une forme de désir que la colonisation a mis en nous. Le savoir ne suffit pas. Nous ne pouvons pas être redevables à la seule académie, à l’érudition, et penser que nous décolonisons quoi que ce soit. La forme même de la connaissance imposée par le colonialisme est contraire à nos façons d’apprendre.

Vous êtes-vous inspirée, entre autres, des travaux de Fatema Mernissi ?
Oui, absolument. Ils sont vraiment, vraiment importants. Dans mon travail avec les artistes pakistanais, j’ai pu réunir Assia Djebar et Fatema Mernissi. Cela n’est pas venu d’un effort conscient, cela s’est fait naturellement. La façon qu’a Djebar de penser la traduction, entre l’arabe et le français, et ce que signifie d’être enraciné dans une langue, se lie avec Mernissi.

Celle-ci est capable de penser la question des limites, des frontières, mais aussi de la féminité dans l’islam en se demandant comment lire le Coran, comment lire les hadiths. Cela a été extrêmement important pour moi de lire «Beyond the Veil», notamment la partie où elle parle de l’élite voilée, etc. Et chez Djebar, la question de l’ombre de l’idée du lecteur absolu, cette personne qui ne fait qu’un avec ce qu’elle lit… Il y a des choses que l’on ne peut trouver dans aucune autre forme de littérarité. Celle de l’Occident ne nous présente pas le texte de cette façon.

Murtada Calamy / Les Inspirations ÉCO



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