Maroc émergent : les défis de l’exercice 2026

La fin des vacances se rapproche à grands pas. Et avec elle, la rentrée politique et surtout le Projet de loi de finances 2026 qui s’annonce avec la note de cadrage émise par le chef du gouvernement à l’adresse de tous les départements. L’orientation s’annonce dans le titre : «Les fondements d’un Maroc émergent» et se décline sur les grandes lignes du budget et de la gouvernance. À retenir la consolidation de ce statut dont nous analyserons les défis.
«La portée réelle de cette note de cadrage dépendra surtout de la capacité politique et administrative à la mettre en œuvre, dans un contexte où le temps politique, les marges financières et la patience sociale sont désormais des ressources rares», analyse d’emblée Pr. Zahir Badr Al Azrak, enseignant de droit des affaires à la Faculté des sciences Juridiques, économiques et sociales de Fès.
En dépassant les 4.300 dollars de revenu annuel par habitant pour un PIB de valeur nominale de près de 1.600 milliards de dollars en 2023, le Maroc est encore un pays émergent à revenu intermédiaire inférieur comme défini par la Banque mondiale selon les seuils d’exercice de 2024 et 2025.
«En sciences économiques, la croissance n’est significative que si elle s’accompagne de transformations structurelles capables d’améliorer la productivité et le bien-être collectif. De plus, le revenu moyen par habitant, en tant que simple moyenne arithmétique, ne donne qu’une vision floue de la réalité socio-économique, notamment dans un contexte de fortes inégalités», souligne le Professeur de finances publiques à la faculté polydisciplinaires de Nador, Zahira Idrissi.
«Bien que ces chiffres suggèrent une reprise économique après la crise de covid-19, leur lecture économique exige une certaine prudence. Il s’agit d’indicateurs quantitatifs globaux, qui ne reflètent ni la qualité de la croissance ni l’équité de sa distribution», ajoute l’enseignante.
Le point faible souligné par Pr. Al Azrak est la mise en œuvre de l’intention politique. Un exercice d’équilibriste redondant doublé d’un défi de taille pour les politiques publiques marocaines. «Le chômage, dépassant les 12,8%, reste préoccupant, et la prévision de croissance supérieure à 4% ne suffit pas à résorber la pression sur le marché de l’emploi, surtout dans un contexte marqué par la baisse de performance du secteur agricole et la faible capacité des autres secteurs à générer des emplois significatifs».
Positive dans ses grandes lignes, la note de cadrage souligne «la baisse importante de la sensibilité de la croissance économique aux aléas climatique».
En comparant la décennie actuelle aux années 80 et 90, le secrétariat général du gouvernement note que le taux de croissance ne descend plus en territoire négatif à la suite d’une mauvaise campagne grâce à la diversification du tissu productif national qui a amélioré la résilience de l’économie. Cependant, la croissance ne parvient pas à générer des effets d’entraînement inclusifs. C’est ainsi que l’enseignante de finances publiques de Nador explique les soubassements de la fragilité de la réalité économique et sociale ainsi que le contraste entre les performances chiffrées de la note de cadrage.
«Le chômage structurel traduit une inadéquation entre le système de production et le potentiel humain, tandis que l’inflation non compensée par des politiques publiques efficaces accentue la précarité des ménages. Quant aux inégalités territoriales, elles traduisent l’absence d’une vision cohérente d’aménagement du territoire et d’intégration des zones marginalisées dans la dynamique nationale», nous explique Pr. Idrissi.
Inégalités : Les deux vitesses d’accès à l’investissement public
Le diagnostic de SM le Roi Mohammed VI sur le Maroc à deux vitesses dans son discours du trône revient en force dans la lecture de la note de cadrage. Ce diagnostic est également rappelé par Pr. Zahir Badr Al Azrak qui relève l’existence «de régions bénéficiant d’investissements publics massifs, devenues vitrines économiques et touristiques d’un côté, et de territoires marginalisés, sous-équipés et dépourvus d’opportunités économiques pérennes, de l’autre. La réorientation des ressources publiques vers ces zones en retard apparaît donc comme une évidence stratégique. Reste que la question centrale demeure : le temps restant au gouvernement actuel suffira-t-il à traduire cette ambition en résultats tangibles ?».
La liste des contraintes structurelles dressée par Pr. Al Azrak est longue mais tout aussi répétitives : ressources fiscales limitées, poids écrasant de l’économie informelle qui représenterait près de 70% des activités, déficit commercial chronique, coûts colossaux de projets d’envergure tels que ceux engagés pour la Coupe du monde et infrastructures lourdes, sans oublier le financement de plus en plus budgétivore des programmes de protection sociale.
La priorisation des chantiers s’est récemment traduite par des mouvements de protestation, comme à Aït Bougmaz. Ces revendications sociales du Maroc périphérique traduisent une impatience grandissante face aux inégalités d’accès à l’investissement public, ajoute Pr. Al Azrak.
«Cette pression sociale place l’Exécutif à un tournant : soit il réussit à enclencher une réduction mesurable des disparités territoriales et à améliorer l’emploi, soit ces objectifs seront reportés à une autre législature, avec le risque d’un approfondissement du fossé socio-économique. La soutenabilité des finances publiques est également un impératif incontournable à respecter tout en gardant le cap des quatre priorités majeures : relancer l’économie nationale, concilier développement économique et justice sociale et territoriale, consolider les fondements de l’État social et accélérer les réformes structurelles, explique l’universitaire.
Ce sont ces leviers de croissance, d’investissement et de réforme, avec la justice territoriale au cœur de l’action publique, que le PLF 2026 devra mobiliser dans la conjoncture charnière que traverse le pays.
Mounira Lourhzal / Les Inspirations ÉCO