Conseil national de la presse : le CESE met en garde contre les déséquilibres du nouveau cadre

Saisi par la Chambre des représentants, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) a rendu un avis détaillé sur le projet de loi 26.25 relatif à la réorganisation du Conseil national de la presse. Il salue certaines avancées mais alerte sur un manque de consultation, des déséquilibres de représentation et une approche jugée trop administrative pour un organe censé incarner l’autorégulation.
Après une première expérience de régulation inachevée, le gouvernement a engagé une refonte du Conseil national de la presse. Le CESE, consulté sur le projet de loi 26.25, y voit une opportunité de consolider l’indépendance du secteur. Mais il met en garde contre un texte qui risque de transformer un organe d’autorégulation en simple instance administrative, éloignée de l’esprit du modèle démocratique et participatif voulu par la Constitution de 2011.
L’avis du CESE rappelle que le passage à l’autorégulation constitue une avancée démocratique majeure, fruit du principe de liberté de la presse consacré par l’article 28 de la Constitution. Toutefois, il estime que le projet de loi s’éloigne de cette philosophie initiale. Le Conseil déplore une approche législative trop centralisée et un déficit de concertation avec les acteurs concernés.
Selon les auditions menées, nombre de représentants des journalistes et des éditeurs affirment ne pas avoir été véritablement associés à l’élaboration du texte. Cette absence de dialogue, note le CESE, risque de fragiliser la légitimité de la réforme et d’en compromettre l’appropriation par la profession.
Des risques pour la représentativité
L’une des critiques majeures porte sur la nouvelle composition du Conseil national de la presse. Le projet réduit le nombre de membres de 21 à 19, supprimant la représentation du Conseil national des langues et de la culture marocaine, de l’Union des écrivains et des barreaux. Le CESE considère que cette exclusion marginalise la voix du public, alors même que la régulation de la presse devrait intégrer les représentants de la société civile, garants du droit du citoyen à une information fiable et pluraliste.
Autre inquiétude, l’équilibre entre journalistes et éditeurs est remis en question. Le texte prévoit sept représentants pour chaque camp, mais ajoute deux sièges supplémentaires pour les éditeurs sous forme d’«arbitres», ce qui rompt, selon plusieurs intervenants, la parité entre employeurs et journalistes et pourrait peser sur la neutralité des décisions disciplinaires.
Un mode de désignation inégal
Le CESE relève également des différences notables dans les modes de désignation. Les journalistes seront élus individuellement, tandis que les éditeurs seront désignés par leurs organisations les plus représentatives, en fonction notamment de leur chiffre d’affaires et du nombre d’employés. Cette approche, jugée inéquitable, pourrait avantager les grandes structures et réduire la voix des petites rédactions.
Le Conseil y voit un risque de captation du pouvoir de régulation par un cercle restreint, alors que l’objectif de départ était de garantir la diversité et la représentativité de toutes les sensibilités du champ médiatique. Par ailleurs, le CESE souligne que plus d’un tiers des articles du projet de loi sont consacrés aux procédures éle torales et disciplinaires, au détriment des missions essentielles du Conseil, comme la formation continue, la déontologie, la médiation et le dialogue professionnel.
L’avis regrette que le volet «sanction» prenne le pas sur la réflexion éthique, pourtant au cœur de la mission du CNP. Il déplore aussi la suppression de l’obligation de publication du rapport annuel sur l’état de la presse au Bulletin officiel, considérée comme un recul en matière de transparence et de reddition de compte.
Vers une gouvernance plus équilibrée
Dans son analyse, le CESE plaide pour une refondation cohérente du cadre de gouvernance du futur Conseil national de la presse. Le Conseil considère que cette instance, censée garantir la liberté et la responsabilité des médias, doit redevenir un espace de dialogue collectif, et non une simple structure de gestion administrative. Il estime que l’esprit du texte gagnerait à être réorienté vers la collégialité, la représentativité et la transparence, trois piliers sans lesquels l’autorégulation perd tout son sens.
Le CESE souligne que la réintégration de la société civile dans la composition du Conseil est une condition essentielle de sa légitimité démocratique. La présence de représentants du public, d’intellectuels, d’avocats et d’acteurs culturels permettrait, selon lui, d’ancrer l’institution dans un cadre citoyen et pluraliste, garant du droit du public à une information fiable, diversifiée et respectueuse de la déontologie.
Le Conseil attire également l’attention sur la nécessité de repenser les mécanismes d’élection et de désignation et préconise d’adopter des règles communes et équitables, fondées sur la transparence, la pluralité et la participation démocratique, afin d’éviter qu’un groupe d’intérêt ne s’impose au détriment de la diversité d’opinions qui fait la richesse du paysage médiatique marocain. Autre dimension jugée cruciale, celle de l’égalité entre les sexes.
Le CESE regrette que le projet de loi ne prévoie une représentation féminine obligatoire que pour la catégorie des journalistes, alors que la parité devrait concerner l’ensemble du Conseil. L’institution estime qu’un tel recul va à l’encontre de l’esprit du chapitre 19 de la Constitution, qui engage l’État à garantir l’égalité et à promouvoir la participation équilibrée des femmes et des hommes dans la vie publique. Restaurer la parité au sein du Conseil national de la presse serait, selon elle, une mesure à la fois symbolique et structurante pour moderniser la gouvernance du secteur et l’aligner sur les standards internationaux de représentativité.
Enfin, le CESE insiste sur le fait que la réorganisation du CNP ne peut se limiter à une simple redéfinition des postes et des procédures. Il appelle à replacer la mission éthique au centre du dispositif, en redonnant au Conseil un rôle moteur dans la formation continue, la médiation et la veille déontologique.
L’objectif, rappelle l’avis, n’est pas de sanctionner mais de responsabiliser, en accompagnant les journalistes et les entreprises de presse dans leur effort d’adaptation à un environnement médiatique bouleversé par le numérique, l’intelligence artificielle et la prolifération des contenus non vérifiés.
Faiza Rhoul / Les Inspirations ÉCO