Maroc

Produits de tabac sans fumée : quand la norme peine à suivre la vapeur

Les cigarettes électroniques et autres produits dits «sans fumée» ont envahi les vitrines marocaines. Dans les bureaux de tabac, les murs se parent désormais de ces petits gadgets colorés, aux arômes sucrés et au design séduisant. Les jeunes s’en emparent, les adultes s’y convertissent, et la frontière entre innovation et addiction se brouille un peu plus chaque jour. Mais derrière cette démocratisation rapide se cache un cadre législatif encore inachevé, une régulation incertaine et une vigilance sanitaire qui peine à s’imposer.

Médecins, législateurs et défenseurs des consommateurs étaient récemment réunis pour débattre de la normalisation des produits sans fumée. Au cœur de la rencontre, une interrogation : comment encadrer un marché qui évolue plus vite que la loi ? Au Maroc, ces produits ont conquis l’espace public avant même d’être encadrés. Dans les points de vente, les vapoteuses s’exposent aux côtés des paquets traditionnels, souvent sous des appellations aguicheuses, des arômes fruités et des dosages nicotiniques parfois élevés. Ce marché en expansion séduit d’autant plus qu’il se présente comme une alternative au tabac, sans combustion ni odeur persistante.

Pourtant, aucune loi spécifique ne définit clairement ce que sont ces produits ni comment ils doivent être contrôlés. Une situation que la docteure Fatima Gouaima Mazzi, ex-parlementaire et spécialiste en santé publique, juge préoccupante. Elle souligne que le législateur ne reste pas indifférent à la question, même si les réponses demeurent fragmentées.

La parlementaire rappelle que le sujet revient régulièrement dans les discussions budgétaires, notamment lors de l’examen du projet de loi de finances où la taxe intérieure de consommation est débattue. Plusieurs parlementaires ont également interpellé le ministre de l’Industrie et du Commerce au sujet de la circulation de ces produits en l’absence d’un véritable encadrement, ce alors même qu’ils comportent un risque réel pour la santé publique.

S’il est vrai que le sujet retient l’attention des institutions, force est de constater que la régulation demeure toutefois un patchwork de mesures éparses. Dans les faits, les produits sans tabac échappent encore à une supervision stricte, tandis que leur consommation explose.

La norme, dernier rempart du consommateur
À défaut de loi globale, ce sont les normes techniques qui tentent d’imposer un minimum d’ordre. Pour Ouadi Madih, président de la Fédération nationale des associations du consommateur (FNAC), la normalisation n’est pas un détail administratif, c’est une protection indispensable. Il rappelle que le Maroc dispose de plusieurs milliers de normes, mais que seules certaines sont rendues obligatoires.

«Quand nous avons parlé des normes, ce sont des mesures qui sont mises en place pour mettre des barrières pour certains produits et services. Pour ce qui nous concerne maintenant, les produits sans fumée, le ministère du Commerce et de l’Industrie a instauré l’obligation du respect des mesures indiquées dans le cadre de ces normes. Celles-ci vont devenir obligatoires à partir du mois de février 2026. Tous les fournisseurs qui veulent naître sur le marché marocain doivent s’y conformer sous peine d’amende», rappelle Ouadi Madih.

L’entrée en vigueur de ces obligations marquera un tournant. Mais pour le président de la FNAC, le combat reste celui de l’équilibre, entre d’un côté protéger sans diaboliser et de l’autre encadrer sans freiner la recherche. Il met également en garde contre le risque d’un marché parallèle si les contrôles restent faibles ou si les sanctions tardent à s’appliquer.

La science, entre dosage et comportements
Au-delà du cadre juridique, la question la plus sensible demeure celle du dosage et des effets sur la santé. Pour le médecin pharmacotoxicologue Moncef Drissi, la difficulté réside dans la variabilité des usages, car chaque dispositif, chaque manière d’inhaler, chaque liquide modifie la dose réellement absorbée. Une norme fixe ne peut tout prévoir, explique-t-il.

Il souligne que «la nicotine n’est pas le problème en soi, mais la manière dont elle est utilisée». Les dosages trop élevés ou les habitudes de consommation incontrôlées posent des risques encore mal évalués. Et le Maroc, faute d’études locales, navigue à vue. Les chercheurs manquent de données précises, les hôpitaux de statistiques consolidées et les pouvoirs publics d’indicateurs fiables.

Le chirurgien vasculaire Yasser Sefiani abonde dans ce sens, sans évaluation scientifique sérieuse, impossible de mesurer les véritables conséquences de ces produits, dit-il. «Nous ne ne pouvons pas évaluer tout et n’importe quoi. Il faut des standards, des normes, pour avoir une évaluation crédible et correcte», affirme-t-il.

Un défi de santé publique encore invisible
Les effets à long terme du vapotage et des produits sans fumée restent encore largement inconnus au Maroc. Les professionnels de santé s’accordent sur un constat préoccupant. Le pays ne dispose ni d’un registre national des fumeurs ni de données consolidées sur les victimes potentielles de ces nouvelles pratiques. L’absence de statistiques rend la prévention difficile, voire illusoire.

Pour les acteurs de la santé publique, le risque est double. D’une part, celui d’une génération de jeunes vapoteurs exposés à des dosages élevés et à des produits aux origines incertaines. D’autre part, celui d’un système de santé qui découvre trop tard les conséquences d’une addiction sous-estimée. Le débat met en lumière un paradoxe typiquement contemporain, une innovation qui se propage plus vite que sa compréhension.

Entre liberté de consommer, impératif de santé et nécessité de régulation, la normalisation des produits sans fumée s’impose comme un enjeu à la fois scientifique, économique et social. Reste à savoir si le cadre en gestation suffira à combler le retard. Car pendant que les experts discutent de normes, les vapoteuses continuent de se vendre, les arômes de se multiplier, et la fumée, ou plutôt sa vapeur, d’échapper, encore, à toute maîtrise collective.

Ailleurs, la législation se durcit

Alors que le Maroc tâtonne encore sur la voie de la régulation, plusieurs pays ont déjà tranché. En Europe, la tendance est de limiter, voire interdire, les produits les plus accessibles aux jeunes. La France et la Belgique ont ainsi voté l’interdiction des cigarettes électroniques jetables, jugées à la fois trop attractives et trop polluantes.

Dans le reste de l’Union européenne, la réglementation impose des plafonds stricts sur le taux de nicotine, des avertissements sanitaires visibles et des systèmes de sécurité pour éviter l’exposition des enfants. De son côté, la Pologne s’apprête à interdire la vente de vapes, même sans nicotine, tandis que plusieurs États américains ont restreint la commercialisation des produits aromatisés.

La logique commune est de réduire la banalisation de la vape, sans pour autant diaboliser la substitution au tabac. L’Organisation mondiale de la santé, elle, plaide pour une approche équilibrée : taxation, interdiction dans les lieux publics fermés et encadrement publicitaire.

Faiza Rhoul / Les Inspirations ÉCO



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