Objectifs du développement durable : Casablanca-Settat face à ses paradoxes

Véritable poumon économique du Maroc, la région Casablanca-Settat incarne les contrastes du développement durable. Forte d’un tiers du PIB national et d’avancées notables en matière de santé, d’éducation et de lutte contre la pauvreté, la région demeure pourtant marquée par des fractures sociales et territoriales tenaces. Le rapport régional 2024 du HCP dresse le tableau d’une région en pleine mutation, moteur de croissance et d’innovation, mais toujours en quête d’équité et de durabilité.
Casablanca-Settat occupe une place particulière dans le paysage économique du Royaume. Avec près d’un tiers du PIB national, la région incarne le dynamisme du pays. Structuré autour des 17 Objectifs de développement durable (ODD) des Nations unies, le rapport régional 2024 du Haut-commissariat au plan dresse un panorama contrasté de la région, entre avancées et fragilités persistantes.
Poumon économique du pays, elle affiche des progrès notables dans la lutte contre la pauvreté, l’accès à la santé et l’éducation, mais peine encore à réduire ses inégalités sociales et territoriales. En effet, en matière de pauvreté, les chiffres restent encourageants. Entre 2014 et 2022, le taux de pauvreté monétaire régional est passé de 2% à 1,6%, contre 3,9% au niveau national.
La pauvreté multidimensionnelle a, pour sa part, reculé de 35,8%, une dynamique qui rapproche la région de l’objectif de réduction de moitié fixé pour 2030. Pourtant, les écarts demeurent en milieu rural, car le niveau de vie reste deux fois inférieur à celui des zones urbaines. En revanche, la faim est presque éradiquée. La sous-alimentation y est désormais négligeable.
Santé, des progrès mais…
Sur le front sanitaire, les indicateurs témoignent d’avancées significatives. En 2018, plus de 94% des accouchements étaient assistés par un personnel qualifié, dépassant la moyenne nationale. La couverture vaccinale des enfants atteint 95,5%, et la mortalité maternelle continue de baisser.
Cependant, même si les infrastructures hospitalières se renforcent, à mesure que les maladies infectieuses reculent, les pathologies chroniques gagnent du terrain. À titre d’exemple, la région concentre 20% des cas de VIH/sida recensés au Maroc et enregistre un taux d’incidence de la tuberculose dépassant 100 cas pour 100.000 habitants.
Le diabète, en forte progression (+101% depuis 2015), illustre la montée des maladies chroniques. Toujours dans le sillage de santé, la couverture médicale a bondi de 48,6% en 2017 à 67,4% en 2024, grâce à la généralisation de l’assurance maladie obligatoire (AMO) et à l’intégration des travailleurs indépendants.
Le défi des inégalités
Côté éducation, Casablanca-Settat approche de la généralisation complète de la scolarisation. Le préscolaire atteint 83% des enfants de 4 à 5 ans contre 72% en 2020, tandis que les taux de scolarisation au collège (85,8%) et au lycée (60,3%) progressent régulièrement. La parité entre filles et garçons est désormais acquise, mais les écarts entre milieux urbain et rural restent marqués.
Par ailleurs, si la participation des femmes à la vie publique progresse, soit 42,7% au Conseil régional et 25,9% dans les conseils communaux, la violence basée sur le genre demeure préoccupante. Plus de 7 femmes sur 10 déclarent y avoir été confrontées. Le mariage des mineures, bien qu’en recul, touche encore 7,3% des jeunes femmes de 20 à 24 ans.
Sur le plan des services, l’habitat s’améliore sensiblement. 7 villes de la région ont officiellement éradiqué les bidonvilles, et la proportion de logements sommaires a chuté de 9,7% à 7,6%. L’accès à l’eau potable et à l’électricité est presque universel, 99,6% des ménages sont électrifiés. Mais les zones rurales continuent de souffrir d’un déficit d’assainissement, avec moins de 20% des foyers raccordés à un réseau moderne.
Casablanca-Settat reste le cœur économique du Maroc avec un PIB par habitant de l’ordre de 54.997 dirhams, bien au-dessus de la moyenne nationale. Mais les inégalités se creusent. Le rapport indique que l’indice de Gini est passé de 39,6% à 42,4%, et le niveau de vie urbain atteint désormais plus du double de celui du rural. Pourtant, cette vitalité ne se traduit pas encore par un emploi inclusif. Le chômage touche 15% de la population active et frappe 4 jeunes sur 10 dont les femmes et les diplômés.
Une région en mutation
Les 250 MW d’énergie renouvelable installée, dont 36 MW éoliens et 5 MW solaires, ne suffisent pas encore à compenser la forte empreinte carbone de l’industrie. Casablanca-Settat représente à elle seule 41% des émissions nationales de gaz à effet de serre. Mais le virage vert est amorcé avec la généralisation des LED et la future méga-station de dessalement.
En matière de gouvernance, le rapport souligne la consolidation institutionnelle de la région, marquée par la régionalisation avancée, la création d’agences régionales d’exécution de projets et la mise en œuvre du droit d’accès à l’information publique. Casablanca-Settat se distingue aussi par ses partenariats, coopération avec le Millennium Challenge Corporation, développement d’initiatives avec l’ONU-Femmes et l’OCP, et signature de 249 conventions de développement sur la période 2022–2023.
Malgré ses avancées remarquables, la région Casablanca-Settat demeure confrontée à une double exigence, maintenir sa position de locomotive économique tout en corrigeant ses déséquilibres sociaux et environnementaux. À cinq ans de l’échéance de l’Agenda 2030, elle illustre à la fois les réussites et les contradictions du développement durable au Maroc, un dynamisme certain, mais une durabilité encore à consolider.
Maryem Ouazzani / Les Inspirations ÉCO