Hydrocarbures : la délicate équation du stock stratégique
Après une courte accalmie, les tarifs du gasoil et de l’essence ont repris leur envolée, avec la possibilité de dépasser à nouveau des seuils critiques. La Cour des comptes a récemment rappelé la nécessité de disposer d’un stock stratégique pour atténuer les fluctuations des prix sur le marché national. Cette stratégie est-elle efficace ? Éclairage.
L’accalmie observée pendant quelques mois sur les prix du carburant est révolue. En effet, depuis décembre, la tendance a commencé à s’inverser, avec des hausses. Même si ces dernières étaient relativement légères, il est indéniable que la courbe est ascendante.
Après une augmentation des prix de 20 centimes début janvier, une nouvelle hausse du même montant, aussi bien sur le gasoil que sur l’essence, a été opérée à partir du 17 janvier. Et les automobilistes ne sont pas au bout de leurs peines.
Une nouvelle hausse en perspective
Les professionnels s’attendent à la poursuite de cette tendance haussière jusqu’à la fin février, avec la probabilité de dépasser à nouveau le seuil des 12 DH par litre pour le gasoil. C’est ce qui ressort des calculs effectués par l’expert en énergie, Amin Bennouna, qui a pris en compte les cours mondiaux du pétrole sur les six dernières semaines.
«Ce différé représente l’écart entre le moment où le pétrolier marocain s’approvisionne auprès du raffineur et le temps que la marchandise soit acheminée au Maroc. C’est ce qu’on appelle une mise en phase. Cette mise en phase a été conforme jusqu’en septembre 2022. Depuis lors, les prix sont devenus anormaux. Ce phénomène s’explique par l’écart-type, qui est la différence entre le prix théorique et le prix réel. Dans les théories statistiques, la différence ne devrait pas dépasser 2,6 fois l’écart-type. Or, les prix ont largement dépassé cet écart-type, ce qui pourrait expliquer pourquoi les neuf distributeurs ont été épinglés par le Conseil de la concurrence», explique le spécialiste.
Cependant, comme le Maroc est fortement dépendant des importations, il subit constamment les fluctuations du marché international. Celles-ci pourraient être atténuées, selon Zineb El Adaoui, présidente de la Cour des comptes, qui a insisté sur la nécessité de mécanismes de gestion des stocks pour limiter l’impact des variations des prix internationaux sur le marché national.
«Depuis l’adoption de la stratégie en 2009, les stocks stratégiques des différents produits pétroliers sont restés en deçà du seuil fixé de 60 jours. À titre d’exemple, en 2023, les réserves de gasoil, d’essence et de gaz butane n’ont pas dépassé 32, 31 et 37 jours, respectivement. De plus, la diversification des points d’entrée pour les produits pétroliers est restée limitée, avec l’ajout d’un seul point d’entrée à Tanger Med», souligne la Cour des comptes.
Stock stratégique vs stock outil
À ce sujet, les avis divergent. Pour Bennouna, les réservoirs existants ne disposent pas d’une capacité de stockage suffisante.
«Nous sommes encore loin des 60 jours. Si l’on prend en compte les six millions de litres consommés chaque année, cela correspond à environ 500.000 tonnes par mois. Par conséquent, pour atteindre 60 jours de stock, il faudrait disposer d’une capacité d’environ un million de tonnes chez l’ensemble des distributeurs. Or, la capacité actuelle est d’environ la moitié, avec un stock réel généralement autour de 20 jours. Au Maroc, nous n’avons pas de stock stratégique, mais plutôt un stock commercial. De plus, la loi relative au secteur ne précise pas qui devrait payer pour le stockage, surtout que cela coûte cher. Les distributeurs attendent que l’État prenne en charge ces coûts, et vice versa», précise-t-il.
Notre interlocuteur souligne également que, malgré une gestion en flux tendu, le stock stratégique pourrait éventuellement atténuer les prix. Même si le stock contient des produits à des prix différents, le prix moyen pondéré serait forcément légèrement inférieur. Mais ce constat ne fait pas l’unanimité.
Pour Mostafa Labrak, directeur général d’Energysium consulting et expert en énergie, une amélioration des prix est notable par rapport à l’année précédente. En outre, selon lui, constituer un stock ne freinerait pas la hausse des prix en raison de la volatilité des cours internationaux, lesquels restent soumis à de nombreux facteurs, notamment géopolitiques.
«Les sociétés pétrolières fonctionnent avec un stock outil. Doubler la capacité de stockage n’aurait aucune incidence sur les prix au niveau local. De plus, les investissements nécessaires sont colossaux. Non seulement l’équipement dépasse largement les 5.000 DH par mètre cube, mais il faut également assurer l’approvisionnement des réservoirs. Les estimations, après calcul, montrent que constituer un stock de 60 jours coûterait environ 13 milliards de dirhams, si l’on considère les huit millions de mètres cubes consommés annuellement. Ce financement reste lourd pour les sociétés, bien que quelques réservoirs soient en construction, notamment du côté de Jorf».
En dépit des divergences soulevées par les experts, ceux-ci s’accordent sur le fait que la loi manque de précisions sur certains aspects, qu’il faudrait clarifier en priorité.
Maryem Ouazzani / Les Inspirations ÉCO