Éco-Business

Bruno Pitou: “Il est temps que le Maroc tire profit de ses richesses pour décarboner son économie”

Bruno Pitou
Directeur chief executive Bureau Veritas Afrique du Nord

La décarbonation est actuellement en pleine effervescence au Maroc. L’État, les collectivités locales, les entreprises publiques et privées y sont tous pleinement engagés. La raison, c’est que la démarche permet de baisser considérablement sa facture énergétique et de gagner en image en faisant partie du cercle très sélect des institutions respectueuses de l’environnement. Pour les exportateurs marocains vers l’Union Européenne, c’est une question de vie ou de mort. En effet, il leur faut décarboner ou disparaître, puisqu’avec le Mécanisme d’adaptation carbone aux frontières mis en place par l’UE, plus aucune entreprise n’exportera vers ce marché à partir de 2023 si elle n’est pas d’abord décarbonée. Face à ces enjeux, Bruno Pitou, directeur chief executive Bureau Veritas Afrique du Nord nous dévoile ce que le cabinet fait pour accompagner les entreprises ainsi que ce que le Maroc devrait faire, en général, pour réussir la décarbonation de son économie.

La décarbonation est actuellement en pleine effervescence au Maroc. Quelle est la stratégie de Bureau Veritas pour accompagner cette dynamique et en saisir les opportunités ?
Bureau Veritas est une entreprise de services «Business to Business to Society», dont la mission est de bâtir la confiance entre les entreprises, les pouvoirs publics et les consommateurs. En tant que leader mondial des services d’audit et de certification, nous aidons nos 400.000 clients à être plus efficaces, plus méthodiques et plus crédibles dans leur cheminement vers une activité et un monde plus durables. La décarbonation est un enjeu majeur pour l’avenir du Maroc, comme elle l’est pour le reste du monde. C’est un nouveau défi auquel font face les entreprises marocaines, notamment celles orientées vers l’export.

La décarbonation est une des voies les plus pertinentes en vue d’agir pour le climat et ainsi limiter l’empreinte carbone d’une organisation. Bureau Veritas a été un des premiers acteurs au Maroc à accompagner les organisations dans la comptabilisation de leurs émissions de Gaz à effet de serre (GES) liées à leurs activités, et ce bien avant l’organisation de la COP 22 de Marrakech en novembre 2016.

L’objectif n’étant pas uniquement de calculer l’empreinte carbone de l’entreprise mais de l’accompagner dans l’élaboration de sa feuille de route bas carbone et la conception d’un plan d’action de réduction de ses émissions. La décarbonation d’un secteur, principalement l’industrie, est devenue une nécessité et une exigence face à l’évolution de la réglementation carbone au niveau mondial d’où l’instauration, dès 2023, d’une taxe carbone des produits importés par l’Union Européenne. Dans ce cadre, la démarche de Bureau Veritas est basée sur trois grands axes. Le premier consiste à structurer la stratégie de décarbonation de l’entreprise. Ceci lui permet non seulement de mettre en place un système de management d’énergie, mais aussi d’établir un plan de financement des projets de performance énergétique identifiés.

Le second axe consiste à réaliser, évidemment, son inventaire carbone pour comprendre son impact sur le dérèglement climatique. Enfin, le troisième axe vient pour permettre à l’entreprise de réduire son empreinte carbone, et donc sa consommation d’énergie et de matières premières. Il est primordial de suivre les progrès réalisés par rapport à ses objectifs de réduction et d’identifier les points sensibles d’émissions afin de cibler ses initiatives de réduction.

À part la certification, quels types de prestations offre le bureau Veritas, en général, dans le cadre de la décarbonation ?
Le développement durable est au cœur de la stratégie de notre organisation et de toutes nos activités. Les prestations offertes par Bureau Veritas, dans le cadre de la décarbonation, sont multiples. Nous accompagnons et assistons nos clients dans les domaines suivants :

• Conseil, études, formation et travaux d’ingénierie ayant trait à la décarbonation, au changement climatique, à l’environnement et au développement durable ainsi qu’aux activités connexes, aussi bien au Maroc qu’à l’international ;

• Accompagnement et assistance dans l’élaboration et la mise en œuvre de stratégies et politiques publiques ou de projets spécifiques dans les domaines de la décarbonation, du changement climatique et du développement durable (Stratégie bas carbone et décarbonation) ;

• Accompagnement de tous les acteurs dans la réalisation de leur inventaire carbone. Pour ce faire, nous définissons ensemble le périmètre à prendre en compte pour un inventaire carbone le plus représentatif des activités de l’entreprise, que ce soit en termes de collecte des données nécessaires à l’exercice carbone, de calcul, ou en termes d’analyse et de mise en place des plans d’action adéquats pour décarboner ses activités ;

• Application et exploitation de méthodes et d’outils de suivi et d’évaluation de l’empreinte carbone des entreprises, territoires et pays à des fins d’atténuation et d’adaptation ;

• Formations sur les politiques et projets d’atténuation et d’adaptation, y compris les outils et supports de comptabilisation carbone et de la finance climatique ;

Dans notre cœur de métier, nous certifions les émissions GES des organisations, un processus qui permet de garantir la conformité de la méthodologie de calcul, des résultats, ainsi que de toutes les informations associées à leur empreinte carbone «activité» ou «produit» par rapport aux standards internationaux, notamment l’ISO 14064 et 14067 dans le cas de la comptabilisation carbone. C’est le seul moyen dans la démarche de décarbonation pour rassurer les différentes parties intéressées quant aux efforts réalisés pour la protection de l’environnement.

En plus de cette prestation de certification des émissions, Bureau Veritas propose d’autres services au sein de son département Bilan Carbone. Comme je l’ai évoqué un peu plus tôt, nous accompagnons tous les acteurs dans la réalisation de leur inventaire carbone. Pour les entreprises disposant des compétences internes ou externes pour la quantification de leur empreinte carbone, nous leur proposons une solution de vérification de leur Bilan carbone, puisque Bureau Veritas dispose des accréditations internationales nécessaires pour ce faire.

Dans vos offres, faites-vous une distinction entre vos clients publics et privés. Qu’est-ce que vous proposez, par exemple, aux premiers et pas aux seconds ?
Grâce à notre ligne verte de services et de solutions, nous permettons aux organisations privées et publiques de mettre en œuvre, de mesurer et d’atteindre leurs objectifs de développement durable. Bureau Veritas dispose d’une seule et unique politique d’achats, c’est-à-dire qu’aucune distinction n’est faite entre clients publics et privés par rapport à nos propositions techniques, étant donné que la comptabilisation carbone ou le processus de décarbonation suit des démarches universelles qui doivent être menées en cohérence avec des standards internationaux bien précis.

Les distinctions et les différences commerciales ne sont pas faites suivant le statut public ou privé du client mais plutôt suivant leurs spécificités (taille, secteur d’activité et périmètre de la mission). Par exemple, une offre pour la décarbonation d’une entreprise opérant dans le secteur automobile sera certainement différente de celle formulée pour un établissement public opérant dans le secteur pétrolier, ne serait-ce qu’en termes d’allocation de ressources humaines et techniques afin de mener à bien le projet de décarbonation.

Dans le cadre de vos prestations d’efficacité énergétique, quelle est votre approche marketing? Est-ce que vous vous limitez à répondre à des appels d’offres ?
Une des forces de Bureau Veritas est certainement l’écoute des besoins du marché, et ce par différents canaux de communication. Bien évidemment, nous sommes abonnés et suivons de façon régulière les différentes plateformes d’appels d’offres, publiques et privés.

Cependant, du fait de notre volonté d’être précurseur sur les marchés marocain et africain, nous avons mis en place une équipe performante de prospection dédiée à l’aspect marketing stratégique orienté diagnostic stratégique, segmentation, ciblage et positionnement des entreprises.

C’est dans ce cadre que nous avons établi un partenariat avec l’Association marocaine des exportateurs (ASMEX), qui a débouché sur la mise en place d’une académie de formation sur plusieurs sujets : le changement climatique ainsi que les dispositifs à implémenter pour y faire face, dont l’efficacité énergétique est un thème transverse sur toutes les formations dispensées dans cette académie.

Vous arrive-t-il de travailler avec l’AMEE ou encore la SIE, la super Esco de l’État marocain ?
Nous sommes bien d’accord que le changement climatique est une préoccupation qui nous concerne tous. Y faire face doit nécessairement passer par une collaboration aussi bien à plus haute échelle, notamment avec les différentes instances de gouvernance et de pilotage chargées de cette problématique, qu’à l’échelle des collectivités et de l’individu. Sous les hautes instructions de sa majesté le Roi Mohamed VI, plusieurs institutions ont été créées pour effectivement répondre à cet enjeu de changement climatique, notamment l’AMEE, l’IRESEN, entre autres.

Dans le secteur privé, plusieurs initiatives sont en marche en faveur du climat. Bureau Veritas s’inscrit dans cette démarche, où nous ne cesserons jamais de collaborer avec tous les acteurs sans distinction, publics ou privés, pour mettre en œuvre les mesures nécessaires qui peuvent amener le monde sur une voie plus durable et sobre en carbone.

Dans le privé aussi, le marché de la décarbonation est énorme, surtout avec le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières brandi par l’Union européenne. Quelle est votre approche de ce marché de la décarbonation ?
Il est vrai que l’Union Européenne prévoit de mettre en place, dès 2023, une taxe carbone à ses frontières dans le cadre de son «Pacte vert pour l’Europe», avec l’ambition d’être neutre en carbone à l’horizon 2050. Ceci aura un impact direct sur tous les exportateurs vers l’Europe puisqu’un produit beaucoup plus émetteur que son homologue, mais fabriqué sur le territoire européen, devra s’acquitter d’une taxe carbone.

C’est dans ce cadre qu’il est primordial et opportun pour les entreprises marocaines de mettre en place une stratégie de décarbonation par anticipation à cette nouvelle règlementation afin de rester compétitif sur le marché européen. Ceci ne doit, cependant, pas être considéré comme un frein mais plutôt comme une opportunité, puisque qui dit décarbonation dit aussi gains économiques, surtout pour le secteur de l’industrie au Maroc, très fortement dépendante des énergies. Il est donc temps que le Maroc tire profit de ses richesses, notamment de ses importants gisements d’énergies renouvelables, aussi bien sur le solaire que sur l’éolien, afin de décarboner son économie.

Quels sont, à ce niveau, les secteurs les plus demandeurs d’accompagnement, et quel est le modèle économique qui est le plus mis en œuvre pour réussir leur décarbonation ?
Le Maroc a formulé des engagements clairs pour réduire ses émissions de GES et limiter les effets catastrophiques du changement climatique. Pour convertir ces engagements en résultats, un «Plan climat national» et un «Plan d’accélération industrielle» ont été mis en place.

Ce dernier met en exergue la stratégie marocaine de décarbonation du secteur industriel, axée sur 4 piliers, à savoir l’amélioration de la compétitivité des industriels marocains, l’anticipation d’une taxe carbone aux frontières des pays clients, le renforcement du taux d’intégration industrielle et l’identification ainsi que le développement de nouvelles filières industrielles vertes. Mais beaucoup reste encore à accomplir pour une décarbonation rapide de l’économie du Royaume.

Cependant, cette stratégie de décarbonation mise en place, surtout pour le secteur de l’industrie, me parait adéquate vu les enjeux auxquels fait face le Maroc. Néanmoins, il est judicieux que d’autres secteurs tels que le Transport, le Bâtiment, l’Agriculture, … se mettent également rapidement sur la voie de la décarbonation puisqu’ils représentent une part importante dans les émissions GES globales du Maroc.

À votre avis, est-ce que le secteur financier joue bien son rôle dans ce domaine ? Si non, qu’est-ce qu’il devrait faire pour réussir la décarbonation ?
Dans le cadre du «plan de relance 2021-2023», le Maroc a mis en place une aide en faveur des investissements de décarbonation pour le secteur industriel. Cette aide a pour objectif de soutenir les entreprises qui souhaitent améliorer leur efficacité énergétique, décarboner leurs procédés de fabrication et ainsi réduire leurs émissions GES. En plus des efforts fournis par le gouvernement, le secteur financier devra aussi jouer son rôle pour financer cette transition énergétique qui est synonyme de technologies nouvelles souvent plus chères et difficilement abordables pour les petites et moyennes entreprises.

Aziz Diouf / Les Inspirations ÉCO


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