Mondial U20 : les leçons d’un sacre magistral

C’est par la grande porte que le Maroc est entré dans l’histoire, dans la nuit de dimanche à lundi, en remportant la Coupe du monde U20 au Chili. Du coup de tonnerre face à l’Espagne pour leur premier match au coup de maître en finale face à une Argentine ultra-favorite, les Lionceaux n’ont cessé de marquer les esprits, sous la houlette bienveillante de leur mentor, Mohamed Ouahbi.
Les grands l’ont rêvée, mais ce sont bien les jeunes qui ont ramené la Coupe à la maison. C’est bien en champion du monde de football que le Royaume tout entier s’est réveillé lundi, grâce à l’exploit de la sélection U20, couronnée au Chili après sa victoire en finale contre l’Argentine (2-0).
«C’est une joie énorme…. Depuis des années, nous attendons de briser ce plafond de verre», s’est réjoui Mohamed Ouahbi, sélectionneur du Maroc, à l’issue du triomphe des siens.
C’est donc peu de dire que sous le ciel de Santiago, l’histoire avait choisi son camp. L’Albicéleste se présentait dans cette ultime confrontation du tournoi avec le statut de nation la plus titrée de la compétition (6 titres) et l’une des attaques les plus prolifiques (15 buts inscrits), face à un Maroc qui disputait sa toute première finale de Coupe du monde de football, toutes catégories confondues.
Et pourtant, ce sont bien les Lionceaux qui ont eu le dernier mot au bout d’une partie maîtrisée à l’issue de laquelle la machine à marquer argentine a été complètement muselée. La première leçon du sacre de Zabiri (double buteur en finale), Maama (meilleur joueur du tournoi) & Co, est d’abord celle de la rigueur tactique.
C’est cette rigueur qui avait déjà été démontrée dès le début de la compétition, où les Lionceaux s’étaient offerts, d’entrée, le scalp des champions d’Europe espagnols (victoire 2-0), présentés parmi les prétendants au sacre final. Un exploit récidivé quelques jours plus tard face au Brésil, autre favori annoncé (victoire 2-1).
Si la défaite contre le Mexique (1-0) lors de l’ultime journée n’était qu’anecdotique, elle a donné une idée claire des ingrédients du sacre : discipline en défense, efficacité en attaque. Un règle qui n’a pas été démentie pour la suite du tournoi. Si les Lionceaux terminent la compétition avec 5 buts encaissés, il faut souligner que quatre d’entre eux ont été concédés sur des pénaltys.
L’unique but dans le jeu a été encaissé face à la France… en demi-finale. De l’autre côté, avec ses 12 buts inscrits en 7 rencontres, le Maroc termine avec la troisième attaque du tournoi, en ayant terrassé ses deux devanciers : les États-Unis (17 buts) en quart de finale, et… l’Argentine (15 buts) en finale. Le sacre des Lionceaux, au vu de leur parcours, doit donc très peu au hasard.
L’Académie Mohammed VI, la matrice des succès
Dire que les résultats récents obtenus par les Lions de l’Atlas, toutes catégories confondues, doivent très peu au hasard, c’est reconnaitre l’efficacité du processus engagé depuis de longues années. Dans un récent entretien diffusé sur le site de la FIFA, Fathi Jamal, directeur du Développement technique et de la Formation au sein de la Fédération royale marocaine de football (FRMF), saluait «l’aboutissement d’une stratégie de développement du football bien avisée reposant sur des académies solides, des programmes clairs, d’une formation continue et d’un encadrement technique et administratif».
Dans le même entretien, il a notamment cité les académies nationales – en particulier l’Académie Mohammed VI, et le programme national mis en œuvre dans 14 clubs formateurs – qui favorisent une homogénéité dans le suivi. Il a précisé que quatre centres techniques fédéraux, à Salé, Casablanca, Benguérir et Laâyoune, montrent que la formation de masse et de qualité est prise au sérieux. Inaugurée en 2009, l’Académie Mohammed VI, véritable usine à talents, a régulièrement fourni les artisans des grands succès du Maroc dans les grandes compétitions.
Lors de l’épopée historique des Lions de l’Atlas au Qatar, les Nayef Aguerd, Youssef En-Nesyri et autre Azzedne Ounahi, en étaient les porte-étendards. Bilal El Khannous était parmi les éléments les plus en vue lors du sacre des U23 à la CAN et, plus tard, lors du bronze olympique décroché à Paris il y a un peu plus d’un an. Sans surprise, les pépites de l’Académie sont présentes en force dans l’effectif des champions du monde, des attaquants Yassir Zabiri et Houssam Essadak au défenseur Fouad Zahouani , en passant par les milieux Mohammed Hamony ou Yassine Khalifi, pour ne citer qu’eux.
L’empreinte de l’Académie sur les récents résultats de la sélection est si forte que de plus en plus d’observateurs hors des frontières du Maroc multiplient les éloges à son égard. Au lendemain du sacre des Lionceaux, le célèbre quotidien français L’Équipe n’hésite pas à classer l’Académie Mohammed VI comme «l’une des meilleures au monde», rappelant les récentes performances réalisées par les sélections de jeunes (sacre lors des CAN U17 et U23, médaille de bronze lors des Jeux olympiques de Paris 2024, finaliste de la CAN U20 en mai). Des résultats qui, d’après le média français, traduisent la montée en puissance d’un football marocain devenu modèle sur la scène internationale.
De son côté, Maxifoot, autre média spécialisé français, voit dans l’Académie «un système cohérent pensé pour durer», soulignant comment l’Académie et ses cinq pôles régionaux structurent un réseau de formation homogène.
En combinant infrastructures d’élite, formation locale renforcée et gestion centralisée, le Maroc a bâti un système reproductible. L’Académie Mohammed VI n’est plus seulement un lieu d’apprentissage : elle est la colonne vertébrale d’un projet national qui relie détection des jeunes, formation technique et réussite internationale.
«Le sacre mondial est le résultat naturel de tous ces efforts déployés pendant de nombreuses années», résumait d’ailleurs Mohamed Ouahbi à l’issue de la victoire de ses poulains.
Mohamed Ouahbi, le chef d’orchestre discret
L’exploit de 2025, comparé à l’historique demi-finale des U-20 de 2005, révèle le saut qualitatif accompli. Fathi Jamal, qui avait mené l’équipe il y a vingt ans, a lui-même souligné la différence de contexte. Si la passion et le désir de réussite étaient identiques, la génération de 2005 «manquait parfois de maturité et d’accompagnement» en l’absence d’une structure post-tournoi suffisante.
Les choix professionnels et l’influence médiatique non maîtrisée avaient alors ralenti l’essor de nombreux joueurs. En 2025, l’environnement est radicalement différent. L’équipe a bénéficié de programmes clairs, d’une homogénéité dans le suivi, grâce à quatorze clubs formateurs, et de centres techniques fédéraux.
Sur le terrain, cela s’est traduit par une résilience tactique remarquable, capable d’absorber le pressing avec intelligence et de frapper en contre-attaque. Le succès est le fruit d’un alliage réussi : un mix de joueurs issus des académies nationales et des talents mobilisés au sein de la diaspora, le tout cimenté par un travail psychologique soutenu.
Cette cohérence collective est sans doute l’une des caractéristiques majeures du titre des Lionceaux. Qui mieux que Mohamed Ouahbi pour l’incarner ? «Beaucoup de gens parleront de moi, mais je tiens à remercier mon staff (…) Je ne suis pas seul, j’ai une équipe incroyable qui travaille dur, qui mérite aussi d’être un acteur majeur de cette Coupe du monde et je ne veux pas être le seul protagoniste de cette victoire», déclarait ainsi le technicien de 49 ans, humble malgré l’exploit magistral qu’il venait de réaliser.
Une posture, somme toute, pas si surprenante pour celui qui a fait l’essentiel de sa carrière dans l’ombre. Né en Belgique où il a fait ses armes, son parcours atypique le voit très tôt embrasser la carrière d’entraîneur. Mais c’est principalement avec les jeunes du club d’Anderlecht qu’il exerce entre 2004 et 2021, avec un bref passage en tant qu’entraineur adjoint de l’équipe première lors de la saison 2015-2016.
Sa longue expérience de formateur lui vaut d’être nommé à la tête des U20 du Maroc à partir de 2022. Son travail ne tarde pas à produire des résultats. Le Maroc, qui restait éloigné des podiums de la CAN depuis le sacre de 1997, atteint la finale de l’édition 2025 disputée en Égypte, battu in extremis par l’Afrique du Sud (1-0). Une désillusion qui aurait pu (dû ?) signer la fin de son aventure à la tête des Lionceaux. Le choix de la continuité s’est avéré payant, et le reste appartient à l’histoire.
Et maintenant ?
L’exploit des U20 est-il le premier d’une longue série ? Les résultats observés dans les différentes catégories ces dernières années constituaient-ils un prélude à des titres majeurs ? Loin de l’euphorie, ces questions méritent d’être posées, surtout quand on sait que le Maroc du football attend un sacre de son équipe A depuis 1976.
Depuis le temps, les coups d’éclat n’ont pas manqué : qu’il s’agisse des épopées magistrales des Coupes du monde 1986 et 2022, ou du parcours héroïque lors de la CAN 2004. Le dénominateur commun est un beau parcours sans la consécration. Alors que le processus enclenché depuis 15 ans commence à produire des résultats, il n’est pas déraisonnable d’espérer voir le Maroc soulever un titre majeur avec son équipe fanion dans les prochaines années.
Ce pourrait être la CAN dans quelques semaines, ou le Mondial 2030 dans quelques années, les deux se jouant à domicile. Mais si les Lionceaux nous ont appris une choses, c’est que c’est sur le terrain que les exploits prennent vie avant d’intégrer les livres d’histoire.
Daryl Ngomo / Les Inspirations ÉCO