IA générative : entre emballement et réalité, le chemin vers une adoption responsable

Par Fajr Eddine Zarrouri
COO, Capgemini TS
Depuis près de deux ans, la vague de l’intelligence artificielle générative (Gen AI) suscite un engouement rarement observé dans l’histoire des technologies, notamment auprès du grand public. Démonstrations spectaculaires, annonces de produits ambitieuses et course effrénée vers des modèles toujours plus créatifs ont semblé ouvrir la porte à des possibilités infinies — le tout accessible grâce à un simple « prompt » et un robot conversationnel.
Pourtant, à mesure que la tempête médiatique s’essouffle, une vision plus nuancée se dessine. Nous entrons dans ce que certains appellent les « creux de la désillusion » — un moment charnière où les promesses ambitieuses se heurtent aux réalités économiques et à la complexité d’une adoption à grande échelle.
Une adoption contrastée
Sur le terrain, au contact de nos clients, les cas d’usage de l’IA générative progressent. De nombreuses entreprises constatent déjà des gains de productivité tangibles, notamment grâce aux collaborateurs qui s’approprient ces outils à titre individuel.
Paradoxalement, cette adoption rapide à l’échelle personnelle contraste avec une transition plus lente et prudente au niveau organisationnel. Les contraintes liées à la sécurité des données, la difficulté d’aligner ou de vérifier les résultats produits par les grands modèles de langage, ainsi que les enjeux de confiance demeurent des obstacles majeurs.
Par ailleurs, l’impact sur les comptes de résultats reste complexe à évaluer de manière homogène. Les gains de productivité individuels sont bien réels, mais ils ne se traduisent pas toujours par des performances financières consolidées au niveau de l’entreprise.
Les cas d’usage les plus courants — tels que les chatbots, les assistants virtuels ou les « GPTs » conçus pour fluidifier les interactions — se révèlent utiles, mais demeurent insuffisants pour transformer en profondeur des modèles économiques ou des systèmes informatiques complexes.
L’IA générative se confronte désormais à la difficulté de son intégration, non seulement au sein des systèmes d’information des entreprises, mais aussi dans leurs processus opérationnels quotidiens.
Former, structurer, transformer
L’engouement et la surmédiatisation autour des solutions d’IA, l’explosion du nombre d’outils et la dispersion des acteurs peuvent freiner une adoption à grande échelle. La véritable avancée réside dans la capacité des organisations à investir concrètement sur le terrain, en formant massivement leurs collaborateurs et en transformant progressivement leurs chaînes de production.
Développeurs, architectes, testeurs, exploitants — chaque acteur de l’écosystème IT a besoin d’une montée en compétences structurée et cohérente pour maximiser l’impact de l’IA. Le soutien des dirigeants est essentiel, mais il ne suffit pas à lui seul.
Au-delà de l’adhésion du top management, la transformation exige un engagement quotidien et une attention quasi obsessionnelle de l’ensemble de l’encadrement. C’est à cette condition que l’IA ne restera pas un projet isolé ou réservé aux équipes d’innovation. Son déploiement peut se faire par vagues successives, en commençant par des cas d’usage accessibles, afin de susciter une adhésion progressive et de générer un impact cumulatif.
De l’IA générative à l’IA agentique
Une nouvelle évolution est déjà en marche : celle qui fait passer l’IA générative d’un simple « outil » à une IA agentique, véritable acteur autonome. Là où les modèles génératifs se contentent de produire des contenus non vérifiés ni alignés, les agents intelligents introduisent un nouveau degré d’autonomie.
L’IA agentique est capable d’orchestrer plusieurs tâches, de décomposer des problèmes complexes, d’interagir entre différents systèmes et, surtout, d’apprendre de ses propres actions.
Dans l’environnement de l’entreprise, où les processus sont longs, interdépendants et souvent critiques, ce changement de paradigme est déterminant. L’IA agentique se prête particulièrement aux scénarios d’exécution de bout en bout : traitement de dossiers complexes, coordination de chaînes d’approvisionnement ou gestion d’un support technique à plusieurs niveaux.
Ces agents agissent, interagissent et s’améliorent au fil du temps. Bien entendu, l’autonomie ne dispense pas de la supervision humaine, en particulier dans les secteurs fortement réglementés comme la santé. Mais elle redéfinit le rôle de l’IA, qui n’est plus un simple outil, mais un véritable membre de l’équipe, capable de prendre en charge les tâches répétitives et d’amplifier la capacité collective.
Une nouvelle compétence fondamentale
Au-delà du monde de l’entreprise, l’enjeu est désormais sociétal. L’intelligence artificielle générative devient une compétence de base pour de nombreux professionnels, au même titre que l’usage de l’ordinateur ou d’Internet. Les systèmes éducatifs ont un rôle déterminant à jouer.
La simple sensibilisation ne suffit plus : une véritable culture de l’IA doit être développée pour préparer les futurs diplômés à un marché du travail où la maîtrise de ces outils sera une condition préalable. C’est à la fois une occasion unique de renforcer l’employabilité et l’innovation, et un risque majeur si l’on reste en surface.
Les métiers de demain — et déjà beaucoup de ceux d’aujourd’hui — exigeront cette familiarité. Formation, accompagnement, ancrage éthique : ces dimensions doivent devenir des responsabilités partagées entre les entreprises, les systèmes éducatifs et les pouvoirs publics.
Au-delà de l’engouement : vers une maturité responsable
L’histoire nous enseigne que chaque vague d’euphorie technologique finit par céder la place au réalisme. L’IA générative ne fait pas exception. Ce n’est pas un échec, mais bien le début d’une phase de maturité. Cette étape nous invite à dépasser les effets d’annonce pour concentrer nos efforts sur la formation, l’accompagnement et la construction de cas d’usage responsables et solides.
La révolution ne se produira pas du jour au lendemain, mais elle est bel et bien en marche. Notre responsabilité collective est désormais de veiller à ce qu’elle soit durable, inclusive et véritablement créatrice de valeur pour tous.