Ports-Najib Cherfaoui : “La facture de transport maritime devrait chuter de moitié”
Dans cette interview, l’expert maritime, le professeur Najib Cherfaoui, fait le point sur l’évolution des plus importants dossiers relatifs au secteur maritime : fret maritime, opération Marhaba 2023, chantier naval du Port de Casablanca, activité portuaire, etc.
Comment se porte le secteur maritime au Maroc, au regard des évolutions extérieures, notamment dans le fret maritime ?
Dans le domaine des conteneurs, on assiste à un repositionnement des trois grandes Alliances, en ce sens que les armateurs optent pour une démarche personnalisée. Il s’en suit une grande amélioration dans la marge de manœuvre des freight forwarders du Maroc. Les coûts de transport ont ainsi atteint un niveau plancher qui devrait se maintenir jusqu’au printemps 2024, soit en moyenne 2.000 dollars/evp pour la destination Chine. En conséquence, dans la balance des paiements, la facture de transport maritime devrait chuter de moitié, pour se situer autour de 1 milliard de dollars au titre de l’exercice 2023.
Quels sont les éléments à retenir de l’opération Marhaba 2023 en cours, sur un plan purement économique dans le maritime ?
Pour l’opération Marhaba 2023, sur un total de 10 MMDH, les trois armateurs marocains AML, Intershipping et FRS permettent au pays de réaliser un chiffre d’affaires de 200 millions de DH. Cette contre-performance s’explique par le très faible niveau de participation de nos armateurs. Il n’y a, en effet, que six navires battant pavillon Maroc mis en service : Morocco Sun, Detroit Jet, Boraq, Tanger Express, Morocco Star, Med Star. Cette flotte offre exactement une capacité journalière de 5 397 passagers et 1 448 voitures. Ce qui est insignifiant pour faire face à un pic de 30.000 passagers par jour.
Le Maroc a mis en place une Commission interministérielle sur l’économie bleue. Est-elle sur la bonne voie selon vous ?
Pour se mettre sur la bonne voie, la Commission interministérielle doit commencer par exposer la lecture qu’elle fait de l’avenir. Ensuite, elle doit bien comprendre que, si notre système maritime est plein de richesses et de promesses, il est aussi menacé d’exclusion par les mouvements du monde. Actuellement déconnectée du vivier de l’économie bleue, c’est-à-dire des gens de mer, la Commission doit recadrer ses objectifs autour du développement des énergies de la mer, des biotechnologies marines et de la ressource océanographique. Enfin, elle doit se rapprocher du cœur des métiers transverses : navires, chantiers navals et services portuaires.
On parle souvent de la relance du pavillon national, mais celle-ci peine à se concrétiser. À l’instar de l’aérien avec la RAM, comment l’État peut-il contribuer à relancer ce pavillon ?
Tout d’abord, il doit repenser le rôle de la Marine Marchande pour l’inscrire dans une logique de développement intensif et expansif. En clair, nous avons besoin d’une Marine Marchande forte qui irrigue bien au-delà de son périmètre propre. Pour fixer les idées, il faut bien garder à l’esprit que les trois périodes de prospérité de notre pavillon (1930 ; 1954 et 1989) ont toutes pour origine la volonté de l’État et la confiance des banques. Les trois reculs (1945 ; 1970 et 2006) ont tous pour origine le desengagement de l’État et l’hésitation des banques. Pour ce qui est de la relance du pavillon national, celle-ci est conditionnée par le référentiel des exigences de l’ensemble des besoins à couvrir. Il faut, notamment, veiller à ventiler ces besoins en termes de filières et en termes de capacité par filière. Cela signifie, en particulier, qu’il faut doter le Maroc d’un chantier naval et d’une flotte stratégique garantissant d’une part l’acheminement des Marocains résidant à l’étranger et d’autre part la sécurité des approvisionnements énergétiques et alimentaires.
Casablanca aura bientôt son nouveau chantier naval à l’heure où le Maroc ne dispose plus d’acteur actif dans ce domaine. Quelles solutions préconisez-vous ?
Réalisé grâce à un investissement de plus de 1 milliard de Dirhams, le nouveau chantier naval de Casablanca, composé de la cale sèche, des quais et de la darse pour portique à sangles, sera en principe confié à Piriou. Ayant une taille optimale, cet opérateur dispose de l’expertise nécessaire pour les navires de commerce ou de pêche ainsi que pour les unités militaires.
Enfin, comment jugez-vous l’évolution de l’activité portuaire au terme du premier semestre 2023 ?
L’activité des ports de commerce gérés par l’ANP a atteint, au titre des six premiers mois de 2023, un volume global de 45 millions de tonnes, soit une légère hausse par rapport à la même période de l’année écoulée. Principalement, ce tonnage concerne à la fois l’import (céréales, soufre, ammoniac & vracs énergétiques) et l’export (acide phosphorique & phosphates). Il est important de bien comprendre que le mouvement des vracs est un indicateur du niveau des stocks. Par contre, le trafic conteneurisé est l’indicateur par excellence de la dynamique économique. De ce point de vue, on constate que le nombre de conteneurs (500.000 boites) se maintient. Après un fléchissement qui a commencé en décembre 2022, le tissu économique a donc rapidement retrouvé la voie de la reprise. L’année 2023 se soldera par une augmentation de 6% par rapport à 2022.
Abdellah Benahmed / Les Inspirations ÉCO