Que faire de notre patrimoine naturel ?
Abdeslam Seddiki
Économiste et ex-ministre de l’Emploi et des affaires sociales
L’Académie Hassan II des sciences et techniques vient d’organiser sa session plénière annuelle 2020 sur le thème «Patrimoine naturel et développement durable» en privilégiant trois domaines particuliers : la géologie, la forêt et l’eau. Deux jours durant, les académiciens ont débattu sur la base des exposés nourris et fouillés de cette problématique du patrimoine et de ses composantes.
Dans un milieu scientifique prestigieux, les concepts et les savoirs accumulés ont leur importance. La note de présentation a tenu à définir le patrimoine naturel pour savoir de quoi on parle : «la patrimonialisation est le processus par lequel des éléments de la culture ou de la nature deviennent à un moment donné de l’histoire des sociétés investis de la qualité de bien patrimonial digne d’être sauvegardé, mis en valeur au profit des générations actuelles et transmis aux générations futures».
Ce patrimoine ainsi défini se présente au Maroc sous une forme riche et diversifiée. Ainsi, le Maroc est considéré comme «le paradis des géologues» de par sa diversité géologique, la présence de stratotypes, de fossiles particuliers et spectaculaires ainsi que de curiosités géologiques. Les images exposées par les intervenants nous ont fait découvrir une partie de ce trésor caché dans le sol et le sous-sol marocains. Force est de constater cependant que ce «géo patrimoine» non seulement demeure insuffisamment connu et cartographié, à peine 15% le sont, mais il fait l’objet d’une exploitation sans vergogne et d’un pillage sauvage donnant lieu à un commerce clandestin florissant tant sur le marché local que sur le marché mondial. Cette dégradation n’épargne pas non plus nos forêts et tout particulièrement la cédraie de l’Atlas, l’arganeraie qui s’étend sur 830.000 hectares et les chênes de la Maâmora.
Ces forêts se sont développées à travers des siècles en parfaite harmonie avec la civilisation humaine et contribuaient à assurer le bien-être aux populations dans un équilibre quasi-parfait entre l’homme et les ressources naturelles. Autrement dit, l’homme se nourrissait de la forêt sans la détruire. Ce n’est plus le cas avec le développement de l’économie marchande et des pratiques prédatrices. Un exemple parmi tant d’autres nous est fourni justement par l’arganier. Alors que dans le passé, les coopératives locales assuraient 80% de la production, elles ne réalisent plus aujourd’hui que 13% ! Ce sont des acteurs externes à la région qui en tirent profit.
D’ailleurs, ce phénomène d’appropriation de la valeur et de l’exploitation des producteurs directs est largement étudié par les Économistes d’obédience marxiste. Il s’agit en fait d’une soumission formelle du travail au capital.
La forêt de la Maâmora subit le même sort suite à l’extension d’une urbanisation désordonnée et au développement de l’habitat clandestin. La superficie couverte de chênes se dégrade continuellement dans l’indifférence totale des autorités chargées de veiller à la sauvegarde et à la protection de ce patrimoine. Face à ce diagnostic, que faire pour redresser la situation ? Il faut d’abord inventorier le patrimoine naturel et notamment sa composante géologique. Cela nécessite une volonté politique réelle et une mobilisation conséquente des moyens à la fois financiers et humains. Il faut ensuite compléter notre arsenal juridique pour mieux protéger le patrimoine contre les pillages de toutes formes et le commerce illicite. Il faut enfin valoriser plus ce patrimoine en faisant essentiellement profiter les populations locales à travers le repeuplement des forêts dévastées, le développement des géo-parcs, à l’instar du géo-parc de M’Goun et du géo-tourisme.
Ce faisant, on fera du patrimoine naturel l’un des leviers du développement durable et un moyen de sauvegarde de notre diversité biologique. Les scientifiques ont fait leur travail. Il appartient aux politiques de faire le leur. Le chef du gouvernement s’y est engagé solennellement devant les académiciens. Va-t-il tenir ses engagements en mettant en œuvre les recommandations issues de cette rencontre scientifique ?
Espérons-le.