Covid-19 : la piste du vaccin 100% marocain tient-elle toujours ?
En novembre dernier, le ministre de la Santé avait donné l’espoir de la production locale et imminente d’un vaccin 100% marocain. Où en est le Maroc par rapport à ce projet ? Quelques éléments de réponses.
Le Maroc s’est imposé comme figure de proue continentale en matière de vaccination contre la Covid-19. A l’échelle internationale, le royaume est également cité en exemple. En effet, le Maroc ne veut rien laisser au hasard dans la gestion de la campagne élargie de vaccination contre le nouveau coronavirus. Le pays déploie des efforts considérables et a réceptionné, à ce jour, des millions de vaccins.
Au 31 mars, 4.320.349 personnes avaient reçu la première dose. Hélas, cette prouesse se heurte aujourd’hui à une dure réalité. Alors que les deux principaux fournisseurs du royaume, Sinopharm et AstraZeneca, sont submergés par les nombreuses et volumineuses commandes de pays plus riches, le stock de vaccins au Maroc s’épuise inexorablement. Ce qui ralentit d’ailleurs l’opération de vaccination lancée en grande pompe. Pour se prémunir contre toutes les éventualités liées aux risques d’approvisionnement en vaccins, le royaume a semblé prendre les devants en adoptant une stratégie évolutive et adaptative. Les acteurs impliqués dans la campagne se mobilisent également comme ils le peuvent pour trouver de nouvelles sources d’approvisionnement. C’est dans cette optique, d’ailleurs, que le Comité technique de vaccination a récemment approuvé les vaccins Spoutnik et Johnson & Johnson. Mais ce n’est pas encore gagné et la tutelle le sait. Des efforts supplémentaires sont nécessaires pour faire face au défi de l’immunisation de la population, à commencer par la fabrication d’un vaccin made In Morocco.
Un projet mort-né ?
L’idée a été brandie par le ministre de la Santé en novembre dernier, promettant la fabrication d’un vaccin «made in Morocco» dans les plus brefs délais. En effet, dans un entretien accordé à l’agence de presse russe Sputnik, Khalid Ait Taleb avait affirmé que des vaccins seraient produits depuis une plateforme de production vaccinale de haute technologie dans la ville de Tanger. Mais depuis, aucune nouvelle annonce n’a été faite à propos de ce projet. Où en est le Maroc à ce sujet? Tout ce que l’on sait, pour le moment, c’est que le Maroc est techniquement prêt à produire son propre vaccin. C’est du moins l’avis d’Abdel Majid Belaïche, analyste des marchés pharmaceutiques pour qui «il reste néanmoins un certain nombre de prérequis», à savoir la garantie d’avoir un marché large pour l’écoulement rapide du produit en question.
A ce propos, le spécialiste a sa petite idée. L’Etat, qui reste pour le moment l’unique client pour ce produit, doit donner davantage de gages aux fabricants nationaux, en mettant en avant le principe de la préférence nationale et en limitant les importations, recommande-t-il. Une stratégie non sans risque quand on sait qu’il faudra attendre au moins un an pour voir sortir de nos laboratoires nationaux le fameux vaccin.
Outre Majid Belaïche, un autre spécialiste, en l’occurrence Myriam Lahlou-Filali, directrice générale de Pharma 5, croit également en la capacité du Maroc à fabriquer son propre vaccin.
«Nous sommes en pole position pour la fabrication de vaccins au Maroc», avait-t-elle déclaré début mars dernier dans une interview accordé à Les Inspirations ECO.
Toujours selon cette dernière, au-delà du Maroc, « notre continent africain bénéficie d’atouts stratégiques en matière d’installations industrielles, d’expertise et de compétences humaines. Ceci lui confère toute la légitimité pour relever ce défi dans un avenir proche, sous certaines conditions». En guise d’exemple, le Sénégal fabrique actuellement le vaccin contre la fièvre jaune et le Maroc a aussi fabriqué, par le passé, des sérums et vaccins à travers l’Institut Pasteur.
En gros, selon Lahlou-Filali, «certains laboratoires maîtrisent déjà la technologie de l’injectable stérile, préalable indispensable à la fabrication des vaccins. Notre pays est donc en mesure de fabriquer rapidement des vaccins, moyennant quelques adaptations des installations existantes.» Cela étant, avait-t-elle nuancé, «ce n’est malheureusement pas suffisant». Pour Myriam Lahlou-Filali, au-delà du besoin en financement et en expertise pour voir naître une unité de production de vaccins, il faut surtout en assurer la pérennité. «Compte tenu de l’étroitesse et de la fragmentation du marché marocain de vaccins, cela impose donc d’instaurer la préférence nationale et régionale, comme l’ont fait, par exemple, les Indiens pour construire leur indépendance en la matière», soulignait-t-elle.
D’autres blocages sont également à prendre en compte, à savoir le coût très élevé de l’investissement qui est non flexible car les unités doivent être dédiées aux vaccins pour des raisons de risques de contamination. De plus, les pays d’Afrique subsaharienne sont fournis en vaccins exclusivement par le fonds mondial qui se procure les produits auprès des géants asiatiques, américains et européens via des appels d’offres mondiaux. S’y ajoute la pré-qualification OMS, très longue et coûteuse à obtenir, qui est exigée pour pouvoir soumissionner aux appels d’offres du fonds mondial.
Khadim Mbaye / Les Inspirations Éco