Opinions

Produire marocain et consommer marocain : qui dira mieux, qui voudra plus ?

Par Abdeslam Seddiki
économiste et ex-ministre de l’Emploi et des affaires sociales

S’il y a une leçon à retenir des expériences de développement, c’est bien celle-ci : les nations qui se sont développées et se sont mieux intégrées par la suite dans le marché mondial, sont celles qui ont su dynamiser le marché local et valoriser leur potentiel national à travers la mobilisation de leurs propres moyens.

Le marché national constitue à la fois un espace de développement, un ferment de la souveraineté économique et de l’intégration nationale. Autrement dit, le marché est d’abord national avant d’être mondial. Par conséquent, se jeter prématurément dans les bras du capital international et laisser les portes grandes ouvertes à la pénétration des marchandises de toutes sortes, peut conduire à l’impasse. La crise que le monde traverse actuellement, a montré, encore une fois, les limites d’un tel choix. La souveraineté économique est devenue le maître-mot, avec tout ce que cette notion suppose comme mesures de politiques économiques.

Le Maroc n’est pas absent de cette nouvelle orientation, d’autant plus qu’il fait partie de la catégorie des pays qui n’ont pas tiré profit comme il se doit de la mondialisation et des multiples accords de libre-échange qui le lient à différents pays et ensembles régionaux. Ainsi, il est question de plus en plus de la préférence nationale et du recours aux mesures tarifaires pour protéger le tissu économique national d’une concurrence jugée déloyale. Il s’agit en quelque sorte d’un retour au modèle dit d’import-substitution ou d’industries de substitution aux importations. Il faut rappeler que ce modèle a eu déjà cours dans les années 1960, porté par la ferveur de l’indépendance politique et inscrit dans une politique volontariste d’édification d’une économie nationale indépendante et «autocentrée». Mais ce modèle a fait long feu et a été soudainement abandonné au bénéfice d’un modèle de croissance orienté fondamentalement vers l’exportation, en misant sur les vertus de la fameuse loi des «avantages comparatifs» chère à Ricardo.

Cet échec du modèle d’import-substitution est dû, à notre avis, au fait que le Maroc ne s’est pas donné les moyens de sa politique, à savoir la mise en place d’une véritable industrialisation qui passe nécessairement par la production des biens d’équipement et, par conséquent, la création d’une base technologique nationale seule à même de réduire les rapports de dépendance vis-à-vis des pays dominants. À cela s’ajoute l’étroitesse du marché intérieur qui ne favorisait pas l’émergence des économies d’échelle exigées par une industrie rentable et performante.

Pourtant, l’élargissement du marché intérieur n’était pas impossible. Il fallait pour cela procéder à une réforme agraire et à une transformation du monde rural, à une salarisation de la population et à une répartition équilibrée des revenus entre le capital et le travail. Mais de telles réformes se sont heurtées aux blocages politiques et aux intérêts de classe qui les sous-tendent, sans perdre de vue une certaine connivence d’une partie de la bourgeoisie, qualifiée de compradore, avec le capitalisme mondial eu égard à la convergence de leurs intérêts. Qu’on «retourne aujourd’hui au pays», après avoir fait le tour du monde, personne ne trouvera à redire. Pourvu que ce choix ne soit pas vu comme une simple échappatoire ou un abri pour se protéger de la tempête, mais un choix stratégique qui s’inscrit dans une dynamique qui est celle du nouveau modèle de développement, en tirant les enseignements qui s’imposent de nos expériences précédentes. Le pays ne peut plus tenir avec le modèle en cours. Il ne peut plus se permettre le luxe de continuer à consommer ce qu’il ne produit pas et de supporter le déficit abyssal de sa balance commerciale. Notre souveraineté économique doit être notre première préoccupation. Ce faisant, il ne s’agit pas de fermer les portes et de s’isoler. Personne ne peut envisager une telle alternative. Mais entre une ouverture voulue et une ouverture subie, il y a un monde. Des partenariats mutuellement bénéfiques sont à encourager et à diversifier. La protection de l’entreprise nationale ne doit pas s’éterniser. Elle ne saurait être plus qu’une mesure transitoire, le temps que le bébé grandisse et arrive à voler de ses propres ailes. D’où la nécessité de se doter des moyens à même de densifier notre tissu productif et de le rendre concurrentiel en interne et compétitif, par la suite, à l’international. Le marché national est une étape d’apprentissage. Il faut des investissements massifs en recherche-développement et innovation pour édifier une économie fondée surtout sur le travail complexe, mettant fin au low-cost.

Si le Maroc peine à gagner des parts de marché à l’international, c’est en raison de cette politique de low-cost, entraînant dans son sillage la précarisation de la force de travail.

Le contenu technologique de nos exportations évolue très lentement. Ainsi, les exportations basées sur la haute technologie ont vu leur part stagner à un niveau ridiculement bas dans le commerce mondial, soit à peine 0,05%, quand les produits à faible technologie représentent 0,4%. Seuls les produits à technologie moyenne, correspondant aux métiers mondiaux du Maroc, ont vu leur part s’améliorer de 0,06% en 2000 à 0,24% en 2007.

D’un autre côté, nos exportations ont un contenu élevé en importations qui dépasse pour certaines branches 50%. En d’autres termes, pour exporter 100 $, on doit importer 50 $. Ce qui réduit d’autant les gains pour le pays et occasionne des fuites vers l’extérieur. Ces importations induites se composent essentiellement des demi-produits et des biens d’équipement finis. La leçon à retenir est claire comme l’eau de roche : le pays doit mettre à profit cette nouvelle orientation pour réduire sa dépendance vis-à-vis de l’extérieur, non seulement en produits de consommation courante, mais aussi et surtout en biens d’équipement. La Corée du Sud, le Vietnam et d’autres pays encore, montrés aujourd’hui en exemple, sont passés par là. 


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