Eau potable et assainissement à Casablanca-Settat : un schéma directeur régional pour 2045

Face à la pression démographique, aux déséquilibres territoriaux et aux défis climatiques, la région Casablanca-Settat s’engage dans un chantier stratégique de long terme : il s’agit de la refonte intégrale des réseaux d’eau potable et d’assainissement liquide d’ici 2045. Porté par la Société régionale multiservices, le nouveau schéma directeur couvre 140 communes. Il vise à sécuriser la ressource, à anticiper les besoins, à renforcer la gouvernance locale et à préparer le territoire aux enjeux du siècle. Une démarche inédite, à la croisée de l’ingénierie, de la planification et de la résilience.
Face à l’urgence hydrique qui s’intensifie au Maroc, la région Casablanca-Settat engage une refonte structurelle de sa politique d’alimentation en eau potable et d’assainissement liquide.
La Société régionale multiservices Casablanca-Settat (SRM-CS), opérateur public nouvellement créé dans le cadre de la réforme de la gouvernance locale des services essentiels, pilote l’élaboration d’un schéma directeur stratégique à l’échelle régionale, avec un horizon de projection allant jusqu’à 2045.
Ce document ne se limite pas à un exercice technique : il incarne une approche territoriale intégrée, mêlant planification, gouvernance, adaptation climatique et anticipation des besoins sociaux. Ce projet couvre l’ensemble des communes de la région, laquelle s’étend sur 20.166 km², regroupant deux préfectures et neuf provinces. Elle compte au total 140 communes, dont 28 urbaines et 112 rurales.
Cette couverture englobera, notamment, les territoires des provinces de Nouaceur, Médiouna, El Jadida, Sidi Bennour, Benslimane, Settat, Berrechid, ainsi que les préfectures de Casablanca et Mohammedia. À eux seuls, ces territoires hébergent 7,7 millions d’habitants, selon les dernières projections du HCP, soit près de 20% de la population marocaine.
Une ambition à la hauteur des déséquilibres territoriaux
Casablanca, en tant que capitale économique du pays, concentre une bonne partie des besoins en eau potable, mais les autres territoires — de Berrechid à El Jadida et de Mohammedia à Sidi Bennour — connaissent eux aussi des mutations accélérées, avec l’émergence de zones industrielles, la périurbanisation croissante, et le développement des réseaux de transport (autoroutes, lignes ferroviaires, extensions urbaines). Cette évolution est souvent asymétrique : les communes rurales restent sous-dotées en infrastructures d’assainissement, avec un accès très limité à un service collectif, tandis que certaines zones urbaines connaissent des situations de saturation ou de vétusté des équipements. Le schéma directeur vise donc à rétablir un équilibre territorial, en priorisant les investissements selon des critères de vulnérabilité, de densité et de projection démographique. À l’horizon 2045, la région pourrait atteindre plus de 10 millions d’habitants. Cette croissance démographique exige non seulement une augmentation de la capacité de production d’eau potable, mais aussi une transformation structurelle des réseaux d’évacuation des eaux usées, y compris en zone rurale.
Des contraintes de terrain lourdes mais incontournables
L’un des volets techniques cruciaux du projet réside dans les contraintes logistiques liées à la vérification des infrastructures existantes. Le TDR spécifie que les prestataires devront effectuer un travail de terrain rigoureux, notamment des visites d’inspection physique des ouvrages, des relevés topographiques, des entretiens avec les techniciens de terrain et des campagnes de mesure des débits, pressions, volumes ou pertes en réseau.
L’accès aux infrastructures est soumis à autorisation préalable, parfois dans des zones enclavées, voire non cadastrées. Cette complexité logistique est amplifiée par la diversité des régies locales, qui disposent de bases de données hétérogènes, souvent non harmonisées, voire lacunaires. La collecte de données, l’analyse de leur fiabilité et leur intégration dans des bases interopérables sont des défis à part entière.
L’uniformisation de l’information — qu’il s’agisse de plans, de fichiers SIG, de cartographies de réseau, ou de données d’exploitation — constitue une phase déterminante. Elle conditionne ensuite la qualité des modélisations hydrauliques, qui seront conduites via des logiciels de référence comme EPANET, Mike Urban ou equivalents.
Anticiper les chocs climatiques et construire la résilience
L’autre dimension fondatrice du schéma directeur réside dans l’intégration des projections climatiques et des risques extrêmes. Le document impose une approche systémique d’évaluation de la vulnérabilité territoriale, incluant les effets attendus du changement climatique sur la ressource en eau, la montée des températures, la récurrence des sécheresses, et les risques d’inondation.
Ces phénomènes sont de plus en plus fréquents dans la région, notamment dans les bassins versants de l’Oum Er-Rbia et de la côte atlantique. Les modélisations devront donc prendre en compte non seulement les consommations humaines et industrielles, mais aussi l’évolution de la recharge des nappes phréatiques, l’érosion des sols et la fragilité du littoral face à la montée des eaux.
Une carte régionale des zones à risque hydrique, accompagnée d’un plan d’action hiérarchisé, est prévue parmi les livrables. Elle devra inclure des scénarios de rupture : rupture d’alimentation, pollution accidentelle, effondrement d’un tronçon de réseau, défaillance d’une station de traitement. Des solutions d’adaptation seront évaluées selon des critères de faisabilité, de coûts, mais aussi de résilience, à travers des matrices de risques type AMDEC et des arbitrages multicritères.
Une coordination multi-acteurs sous l’égide de la SRM-CS
Le pilotage du projet repose sur une architecture institutionnelle exigeante. La SRM-CS est désignée comme maître d’ouvrage, avec une autorité pleine sur l’organisation, la supervision, la validation et la réception des prestations.
Mais elle devra articuler son action avec une multitude d’acteurs institutionnels : les communes concernées, les services déconcentrés des ministères (notamment Intérieur, Équipement, Environnement, Santé), les régies historiques (RADEEC, Lydec, etc.), l’ONEE, ainsi que les agences de bassin hydraulique et les opérateurs privés. Le succès du schéma directeur dépendra largement de la capacité à faire converger ces multiples parties prenantes, souvent dotées de systèmes de gouvernance, d’objectifs et de temporalités différents.
Des comités techniques et de pilotage sont prévus tout au long de la mission, avec des phases de validation intermédiaires. Un cadre de concertation est également instauré avec les collectivités territoriales, pour garantir que les solutions proposées s’inscrivent dans les Plans de développement communaux (PDC), les Schémas directeurs d’aménagement urbain (SDAU) et les projets d’investissements structurants.
Une vision de long terme au service du développement durable
Au-delà des défis techniques et institutionnels, cette feuille de route se veut un outil de gouvernance territoriale durable. Elle traduit une volonté de planifier plutôt que de subir, d’anticiper plutôt que de réagir. En donnant la priorité à l’équité territoriale, à la performance des services et à la résilience climatique, elle trace les contours d’un modèle de gestion publique renouvelé.
Le cas de Casablanca-Settat pourrait faire école pour d’autres régions du Royaume. À l’heure où le Maroc ambitionne de renforcer sa souveraineté hydrique, tout en se positionnant comme hub régional pour l’investissement, l’innovation et l’écologie, la gestion de l’eau devient un révélateur de ses capacités de projection.
H.K. / Les Inspirations ÉCO